Édition du 8 avril 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Le Nouveau parti démocratique à la remorque du Parti libéral ?

On connaît le "deal" : le Parti libéral de Justin Trudeau et le Nouveau Parti démocratique de Jagmeet Singh viennent de conclure un accord aux termes duquel le second s’engage à appuyer le premier à la Chambre des communes jusqu’en 2025, à charge pour le cabinet Trudeau de tenir compte de certaines exigences néo-démocrates, notamment celle d’instaurer des programmes pancanadiens de soins dentaires et d’assurance-médicaments, des projets qui empiètent sur les compétences provinciales, comme on sait. Mais du point de vue de Trudeau et de Singh, cela importe peu, puisqu’ils partagent des vues similaires centralisatrices. Ils s’entendent comme larrons en foire.

Chaque parti s’achète du temps : le gouvernement minoritaire de Trudeau ne risque plus d’être renversé par un vote majoritaire de non-confiance aux Communes et la formation de Singh participe jusqu’à un certain point aux décisions de son "partenaire". Elle contribue aussi à bloquer la voie au Parti conservateur, pour sa part encore à la recherche d’un chef.

Mais à long terme, cette orientation profite-t-elle vraiment au NPD ? N’accentue-t-elle pas son glissement vers le statut d’aile parlementaire de gauche du Parti libéral ? Dès qu’il ne sera plus utile aux libéraux, ceux-ci hésiteront-ils à le larguer ?

Elle ne change rien aux faiblesses du parti social-démocrate, mais les souligne plutôt. Il est toujours enfermé dans un ghetto social et national, celui d’une certaine gauche canadienne-anglaise. Le seul député qui reste aux néo-démocrates au Québec, Alexandre Boulerice de Rosemont-la Petite-Patrie ne fait guère le poids au sein du caucus. Il "garde le fort" du NPD dont il forme la seule "garnison" depuis 2019. L’époque qui avait vu déferler la "vague orange" de Jack Layton en 2011 paraît bien loin.

Il vaut la peine d’examiner le cheminement du parti depuis le moment où Jack Layton en a pris les commandes, janvier 2003.

Auparavant, le seul candidat néo-démocrate (le Nouveau Parti démocratique était alors dirigé par Audrey McLaughlin) élu au Québec avait été Phillip Edmonston dans une partielle, celle de Chambly en 1990, mais il ne s’était pas représenté en 1993.

Il faudra attendre Jack Layton pour que le NPD entreprenne résolument de courtiser l’électorat de "la Belle Province". Notamment, il reconnaîtra le Québec comme société distincte et son droit à l’autodétermination sans préciser clairement toutefois s’il négocierait sans détour avec un gouvernement indépendantiste après une éventuelle victoire de l’option indépendantiste lors d’un hypothétique troisième référendum. Le lieutenant de Layton au Québec, Pierre Ducasse, favorisait le "fédéralisme asymétrique" sans trop expliquer à ce qu’on sache ce qu’il entendait par là au juste.

En tout cas, malgré ces ambiguïtés, Layton qui misait sur son image sympathique et celle de Québécois d’origine (né à Hudson) a poursuivi ses efforts pour rallier les progressistes du Québec. À l’élection partielle de 2007, il crée la surprise : Thomas Mulcair, un ancien ministre libéral de l’Environnement dans le cabinet provincial de Jean Charest et rallié depuis peu au NPD, est élu dans la circonscription d’Outremont avec 48% du vote.

En mai 2011, l’impensable se produit : le Nouveau Parti démocratique rafle 44% des voix au Québec et il y récolte 59 députés, ce qui lui permet de former l’Opposition officielle à Ottawa. Une première ! Au Canada pris dans son ensemble, le nombre de députés néo-démocrates monte à 103 (pour 30% des voix au total).

Hélas, Layton meurt d’un cancer peu de temps après sa victoire, le 22 août 2011. En mars 2012, Thomas Mulcair, un type de centre-droit le remplace. Dans une certaine mesure, il rompt avec l’héritage de Layton. Il insiste sur l’importance de budgets gouvernementaux équilibrés. L’ancien ministre libéral perce sous le nouveau chef néo-démocrate.

Cette position dégage une certaine odeur rétrolibérale qui déplaît à l’aile gauche du parti et aussi éloigne de ce dernier des électeurs et électrices progressistes, lesquels vont se tourner alors vers le Parti libéral de Justin Trudeau afin de renverser le gouvernement très conservateur de Stephen Harper. Le Parti conservateur est en effet battu au scrutin de 2015, non sans avoir eu le temps d’infliger beaucoup de dégâts sociaux et économiques durant son mandat. Le séduisant et "progressiste" Justin Trudeau accède donc au pouvoir.

Lors de ce scrutin, le NPD perd bien des plumes. De 30% des voix recueillies en 2011 et 103 sièges, il tombe à 19% et voit sa députation réduite à 44 députés.

Au Québec, le parti voit fondre ses appuis de 43% à 25% pour 16 sièges.
Mulcair n’a donc d’autre choix que de démissionner, mais en attendant que sa formation lui désigne un successeur, il administre les affaires courantes. En octobre 2017, Jagmeet Singh le remplace.

Lors des élections de 2019, la chute du NPD se confirme partout au Canada : il ne va chercher que 15.9% des voix et doit se contenter de 24 députés. La députation québécoise, elle, est laminée, puisque seul Alexandre Boulerice surnage. Le parti ne récolte au Québec que 10% des suffrages.

Lors du scrutin de 2021, le NPD ne convainc que 17.8% des électeurs et électrices de le soutenir pour 25 députés (un de plus qu’en 2019).

Au Québec, sa position demeure stationnaire puisqu’il ne va y chercher que 9.8% des votants et des votantes. Alexandre Boulerice demeure cependant en poste.

Que conclure de cette trajectoire en chute libre ?

Tout d’abord, le NPD a du son ascension avant tout grâce au sens stratégique de Jack Layton et à son acceptation du nationalisme québécois. Sa ténacité a beaucoup joué dans la percée du parti au Québec.

Ensuite, plusieurs électeurs et électrices, au Québec comme au Canada ressentaient une grande lassitude face aux politiques d’inspiration rétrolibérale mises en place par les différents gouvernements à Ottawa depuis la fin des années 1970.

Mais même Layton avait laissé entendre en 2011, peu après la performance électorale du NPD qu’un gouvernement néo-démocrate se préoccuperait de l’équilibre budgétaire. Dans cette optique, l’annonce que Mulcair a faite par la suite sur la nécessité de présenter des budgets équilibrés ne faisait peut-être que formuler au grand jour la politique qu’aurait appliquée Layton s’il était devenu premier ministre.

Thomas Mulcair s’est donc positionné en ce sens plus ouvertement que Layton, sans doute dans le but de soutirer des votes aux libéraux. Mais contre toute attente, le Parti libéral dirigé par Justin Trudeau a mieux saisi les attentes de l’électorat, ce qui a coûté cher aux néo-démocrates.

La grande majorité des néo-démocrates sont les libéraux de gauche, avec une aile marxiste ou marxisante peu influente. Une proportion notable des électeurs et électrices du NPD peut se promener d’un parti à l’autre, au gré des circonstances.

Sous Jagmeet Singh, qui a bénéficié de l’appui de multiculturalistes se méfiant du nationalisme québécois, le NPD s’est éloigné du Québec. Entre autres exemples, son opposition maintenant ouverte à la loi 21 pourtant approuvée par une forte majorité de Québécois et de Québécoises francophones nuit à sa cause dans "la Belle Province" ; et ses politiques sociales centralisatrices heurtent les convictions de la frange la plus nationaliste de l’électorat du Québec.

Le Nouveau Parti démocratique est donc retourné à la case départ. Il se condamne par le fait même à former un continuel parti d’opposition sans espoir de conquérir le pouvoir, du moins tant qu’il restera sous l’influence de Singh et de ses lieutenants.

Dans ce contexte, l’entente conclue avec les libéraux de Justin Trudeau représente-t-elle une véritable percée pour le parti ? Singh a choisi la voie facile d’un certain opportunisme mais à long terme rien n’est assuré pour la formation qu’il dirige.

Cet accord ne consacre-t-il pas en fin de compte le renoncement du NPD à être un jour l’alternative au Parti libéral ?

Sans trop encenser Jack Layton, celui-ci a prouvé en son temps qu’il n’existe pas de fatalité et que le Nouveau Part démocratique peut aspirer à beaucoup mieux que le sort dont il doit se contenter depuis toujours.

Il y a des leçons de l’histoire qui se perdent par aveuglement idéologique...

Jean-François Delisle

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