Me revient alors en mémoire, qu’au cours de l’été, son nom est revenu au cours de discussions avec des ami.es, lors de rencontres pour Fugues avec des personnes du communautaire ou même dans la bouche de politicienne comme Manon Massé, au cours d’une rencontre des élu.es ou ex-élu.es ouvertement LGBTQ et les avantages mais aussi les écueils d’être sorti.es du placard.
Marie-Marcelle a marqué plusieurs générations de personnes trans, bien sûr, mais aussi de personnes cisgenres qui, comme moi, ont toutes et tous été frappées au cœur par la grande dame qui tenait salon dans son appartement d’Hochelaga-Maisonneuve, entourée des photos de son mari, de son fils, et de ses deux petits enfants. Une vie de famille qui était pour elle comme une consécration. Elle tenait salon, mais s’arrêtait dans nos conversations pour répondre au téléphone. Marie-Marcelle, toujours en première ligne depuis qu’elle avait fondé l’Aide aux Trans du Québec en 1980 et la ligne d’écoute… qui était en fait son numéro personnel.
Elle a été une des premières femmes trans à être invitée à des émissions de télé, ou à se retrouver en pleine page dans les journaux il y a presque 40 ans. Bien sûr, elle parlait de sa propre histoire de femme trans mais aussi des difficultés, des obstacles, de la discrimination et de la stigmatisation dont souffraient à l’époque les personnes trans ou qui s’engageaient dans une transition. Marie-Marcelle était toujours prête à répondre aux entrevues, ne se fâchait pas quand les questions de son interlo- cuteur.trice étaient parfois condescendantes, voire méprisantes.
Marie-Marcelle Godbout a connu les grandes heures de la Main, étant sur scène comme magicienne travestie sous le nom de Mimi de Paris avant de se lancer dans l’aide aux personnes trans. Elle a eu plusieurs métiers sur le long chemin qui l’avait conduite de son Abitibi-Témiscamingue natale à Montréal. Quand elle crée l’Aide aux trans du Québec (ATQ) dans les années 80, la question trans était la parente pauvre de nos communautés, l’oubliée de nos revendications, la marginalité de la marginalité.
Et pour les gais et les lesbiennes de l’époque, les personnes trans faisaient un peu tache dans l’image de respectabilité et d’accessibilité recherchées. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, enfin presque. Marie-Marcelle Godbout, seule dans son coin, pendant trois décennies, a donné avec peu de moyens le goût d’espérer et de continuer à de nombreuses personnes trans qui dé-sespéraient d’être ce qu’elles étaient profondément dans un monde particulièrement transphobe.
Marie-Marcelle Godbout nous a quitté.es le 15 juillet 2017. Lors d’une de ces dernières prises de parole publique, elle avait dit comme un présage, qu’elle pouvait partir tranquille. Elle avait réussi sa vie, d’une part d’avoir fondé une famille, d’autre part, de voir combien son travail était enfin reconnu, et bien évidemment, de se rendre compte que les personnes trans étaient en voie de ne plus être les parias de nos sociétés, mais aussi de nos communautés.
Comme je le disais, nombreux ont été les témoignages qui évoquaient la mémoire, le travail, mais surtout l’humanité de cette femme au grand cœur, mettant un peu de tristesse sur ces dix jours de fierté, où plus que jamais Marie-Marcelle avait sa place, où elle aurait été comme de nombreuses années au kios-que de l’ATQ lors de la Journée communautaire, toujours aussi accueillante et disponible. Reste un peu de mélancolie à ne plus être reçu chez elle autour d’un café, à jaser de tout et de rien.
Défilé de la fierté : conférence de presse avec sur la scène, à droite, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, le premier mi-nistre du Québec, Philippe Couillard, et le premier ministre fédéral, Justin Trudeau. À gauche, les coprésident.es 2018 de Fierté Montréal dont deux personnes trans. La première mairesse trans au Canada, Julie Lemieux, et comme aux deux bouts d’une chaîne, Miss Major Griffin-Gracy, militante et leader communautaire pour le droit des personnes trans racisées aux États-Unis. Miss Major Griffin-Gracy est une pionnière de notre histoire collective puis- qu’elle fut de celles et ceux qui ont résisté au harcèlement poli-cier contre le bar le Stonewall à New York en... 1969. Son combat n’a jamais cessé depuis, une source d’inspiration pour toutes et tous.
Encore une femme trans, direz-vous, pour vous dire que, comme Marie-Marcelle, ici au Québec, les personnes trans ont été aussi des acteurs et des actrices pour la reconnaissance de nos droits à toutes et tous, indépendamment de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, pour la reconnaissance des droits humains, en somme. Nous devons nous en souvenir.
Marie-Marcelle souhaitait faire changer les mentalités, aussi bien de la population que des décideurs, par l’information et l’éducation. Elle avait une phrase qu’elle reprenait souvent quand elle prononçait une conférence : L’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne. Elle pensait que nous pouvions toutes et tous évoluer à condition de faire le premier pas et que cela ne faisait pas mal, bien au contraire. Voilà, Mimi n’est plus, mais elle reste présente dans le cœur de beaucoup.
Au moment où l’on déboulonne des statues de premier ministre, qu’on rebaptise des rues pour reconnaître l’apport des fem-mes, des autochtones dans notre histoire, une avenue ou un grand parc au nom de Marie-Marcelle serait pleinement justifiée. Mieux, en ces temps où l’on célèbre à grand coup de murales les artistes québécois.es, une murale représentant Marie-Marcelle dans le Village aurait toute sa place. Artiste, elle l’a été, défenseure des droits des personnes trans, aide-soignante, conférencière, que sais-je encore, elle n’avait, comme elle le disait, que l’amour de l’autre, que l’amour des autres, que l’amour pour se battre. Et toutes celles et tous ceux qui l’ont un jour approchée en sont persuadé.es.
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