24 février 2009
Jusqu’ici, ces déclarations étaient essentiellement un catalogue des thèmes principaux tels que les mouvements sociaux les percevaient et une liste des principales actions à venir. Les mouvements sociaux et les différentes campagnes y présentaient leurs principaux rendez-vous de mobilisation.
La déclaration qui a été adoptée à Belém, est d’une nature différente. Elle comprend une position de fond en terme de diagnostic de la crise du système capitaliste et de positionnement sur l’issue de celle-ci. Le titre et le sous titre synthétisent d’ailleurs bien cela : « Nous ne payerons pas la crise ! Que les riches la paient ! Pour des alternatives anti-impérialistes, anti-capitalistes, antiracistes, féministes, écologistes et socialistes ! »
Cette déclaration a donc un caractère programmatique en ce qui concerne l’alternative. Pour être plus précis, la déclaration indique que la crise du capitalisme ne pourra pas être solutionnée, du point de vue des intérêts des opprimés, si on se limite à réinstaurer quelques mécanismes de régulation. La solution à la crise implique une rupture avec le système capitaliste. « Pour faire face à la crise, il est nécessaire d’aller à la racine du problème et d’avancer le plus rapidement possible vers la construction d’une alternative radicale qui en finisse avec le système capitaliste et la domination patriarcale. » [1]
De plus, cette déclaration exprime des revendications immédiates pour faire face à la crise : « Nous devons lutter pour impulser la plus large mobilisation populaire par une série de mesures urgentes comme : la nationalisation sans indemnisation et sous contrôle social du secteur bancaire ; la réduction du temps de travail sans réduction de salaire ; des mesures pour garantir la souveraineté alimentaire et la souveraineté énergétique ; l’arrêt des guerres, le retrait des troupes d’occupation et le démantèlement des bases militaires étrangères ; la reconnaissance de la souveraineté et de l’autonomie des peuples afin de garantir le droit à l’autodétermination ; la garantie du droit à la terre, au territoire, au travail, à l’éducation et à la santé pour toutes et tous, la démocratisation des moyens de communication et de connaissance. » [2]
Enfin, ce texte propose un calendrier global unifiant, en particulier avec la semaine d’action mondiale du 28 mars au 4 avril 2009. Cela inclut le refus de payer la crise, l’opposition au G20 qui se réunira à Londres le 2 avril 2009, la solidarité avec le peuple palestinien le 30 mars 2009, l’opposition à la commémoration du 60e anniversaire de l’OTAN et la demande de sa dissolution. Ainsi, il s’agit bien d’une semaine d’action mondiale puisqu’il y a, à la fois, un accord sur les dates et sur les thèmes d’actions. De plus, ce calendrier reprend les dates traditionnelles de mobilisation sur des grands thèmes : la journée des femmes le 8 mars, la journée des paysans le 17 avril, la journée des peuples indigènes le 12 octobre (date d’arrivée en 1492 de Christophe Colomb dans ce que les Européens ont appelé les Amériques).
Enfin, ce calendrier contient également les grandes mobilisations à l’occasion du G8 prévu sur l’île de la Madeleine en Sardaigne en juillet 2009, le sommet de Copenhague sur les changements climatiques en décembre 2009 et la semaine mondiale d’action contre la dette et les Institutions Financières Internationales du 8 au 15 octobre 2009.
Ont été particulièrement actifs dans l’élaboration de la déclaration des mouvements sociaux, le CADTM qui avait fait la proposition de rédaction collective, la Marche Mondiale des Femmes (MMF), Via Campesina et en particulier son organisation brésilienne : le Mouvement des Sans Terre (MST), l’organisation des étudiants latino américain (OCLAE), des représentants de mouvements sociaux européens, africains, asiatiques, et les représentants d’organisation indigènes d’Amazonie et des Andes.
Habituellement, lors des Forums, les conclusions de l’assemblée des mouvements sociaux (AMS) sont rendues publiques le dernier jour. Cette année, comme il y avait l’assemblée des assemblées, sur laquelle nous reviendrons, et les assemblées thématiques, l’assemblée des mouvements sociaux a eu lieu le 30 janvier, c’est-à-dire 2 jours avant la fin du Forum. Lors de la présentation des conclusions de l’AMS, Joao Pedro Stedile du MST, a estimé que cette déclaration prouve la maturité de l’AMS dans la mesure où elle définit une politique claire.
Dans ce Forum, l’AMS a continué à jouer un rôle d’aiguillon en posant de manière radicale les problèmes et en renforçant une dynamique, déjà présente dans tout le Forum, qui consistait à la recherche d’explications et de solutions globales et radicales.
Si on lit les déclarations adoptées par une majorité des 11 assemblées thématiques qui ont eu lieu le 1er février au matin, on constate que, de manière répétée, la crise est analysée comme une crise du capitalisme. C’est particulièrement frappant quand on lit la déclaration des peuples indigènes, celle des mouvements anti-guerre ou encore celle de l’assemblée des femmes « Face à ces crises, les réponses palliatives basées encore dans la logique du marché ne nous intéressent pas. Ceci ne peut seulement mener qu’à une survie du même système. Nous avons besoin d’avancer dans la construction d’alternatives (…) pour nous opposer au système patriarcal et capitaliste qui nous opprime et nous exploite. » [3]
La déclaration des peuples indigènes exprime, avec des termes semblables à ceux de la déclaration de l’AMS, des revendications pour une alternative anti-raciste, anti-machiste, respectant la terre mère et socialiste. En voici un extrait : « La crise du modèle de développement capitaliste, eurocentrique, machiste et raciste est totale et nous conduit à la plus grande crise sociale et environnementale de l’histoire de l’humanité. La crise financière, économique, énergétique, productive aggrave le chômage structurel, l’exclusion sociale, la violence raciste, machiste et le fanatisme religieux. De si nombreuses et si profondes crises en même temps configurent une véritable crise de la civilisation occidentale, la crise du « développement et de la modernité capitaliste » qui met en danger toutes les formes de vie. Face à cela cependant, il y en a qui rêvent encore d’améliorer ce modèle et qui ne veulent pas reconnaître que ce qui est en crise, c’est le capitalisme, l’eurocentrisme avec son modèle d’Etat destiné à une nationalité, d’homogénéité culturelle, de droit positif occidental et de marchandisation de la vie. » [4]
Alors que certains mouvements sociaux ou campagnes, notamment européens, hésitent, voire sont carrément réticents à parler d’alternative socialiste, l’assemblée des peuples indigènes, elle, l’exprime de manière tout à fait explicite. Or l’élaboration de ces deux déclarations s’est faite par des personnes différentes, en des lieux différents du Forum, même si la déclaration de l’AMS a été soumise en assemblée générale à tous les représentants des mouvements présents y compris bien sûr ceux des peuples indigènes (qui étaient venus nombreux à l’AMS).
Dans le comité de rédaction, nous avons eu une discussion sur la manière de marquer l’apport des organisations indigènes à la lutte contre la globalisation capitaliste. Dans la première version, la formule retenue, et qui ne me satisfaisait pas, parlait d’une « réapparition » des mouvements indigènes au cours des 15 dernières années. Or, dès la lecture du texte en assemblée générale, plusieurs représentant(e)s des mouvements indigènes ont demandé que le texte soit amendé pour parler d’une « nouvelle rencontre » entre les mouvements indigènes et les mouvements sociaux au cours des dernières années. Les peuples indigènes ont justement fait remarquer qu’ils n’ont pas attendu que les autres mouvements sociaux les découvrent pour entamer leur lutte. Depuis cinq siècles, ils sont en résistance face au capitalisme et aux différentes formes de domination qui leur ont été imposées. L’assemblée leur a donné raison et le texte a été amendé comme le souhaitaient les représentants des peuples indigènes