Cette élection serait, bien entendu, célébrée dans l’ensemble du monde démocratique comme un exemple à suivre. Il faut, d’ailleurs, souligner que parmi les trois principaux candidats au premier tour, deux étaient des femmes, le Parti vert étant représenté par Marina Silva.
A elles deux, Dilma et Marina ont recueilli 66 % des voix. Ce résultat signifie-t-il pour autant que le Brésil a cessé d’être machiste ? Dans un pays où une femme noire gagne, en moyenne, quatre fois moins qu’un homme blanc, la portée symbolique de leur leadership est à nuancer. Le parcours de ces dirigeantes est, chacun à leur manière, l’histoire d’une émancipation. Marina, issue d’un milieu très pauvre et analphabète jusqu’à l’adolescence, a été ministre de l’écologie. De son côté, Dilma est une « pionnière » de la vie politique brésilienne : après avoir rejoint la guérilla contre la dictature et passé plusieurs années en prison, elle devient tour à tour la première femme à occuper la fonction de ministre des mines et de l’énergie et celle de Chefe da Casa civil, l’équivalent de notre premier ministre.
Toutefois, la campagne électorale a diffusé, en partie, une image conservatrice de la femme. Le rejet par les deux candidates de la légalisation de l’avortement en est une preuve tangible. Marina s’est positionnée, dès le début de la campagne, comme la représentante des évangélistes dont elle a adopté l’apparence et le discours sobre et puritain. Quant à Dilma, sa posture a pu étonner de la part d’une ancienne militante d’extrême gauche.
Connue pour son fort caractère, les stratèges du Parti des travailleurs (PT) ont préféré propager l’image d’une femme soumise à un homme : le président Lula. Plusieurs raisons expliquent ce choix. Tout d’abord, Lula a choisi une novice électorale pour lui succéder. Dilma ne s’était jusqu’alors jamais présentée à une élection et ne bénéficie, par conséquent, d’aucun fief politique. Elle doit sa légitimité et sa popularité au président qui l’a adoubée. Sans cette figure tutélaire, elle n’aurait jamais été choisie par le PT, qu’elle n’a rejoint que tardivement. Dans le couple Dilma-Lula popularisé par la propagande du parti, c’est bien l’homme qui dirige. Tout au long de la campagne, Lula a investi un rôle offensif, répondant à la place de Dilma aux attaques de leurs adversaires. Cette attitude a donné l’impression qu’il avait du mal à passer le relais à son héritière.
UN RÔLE CONTRE-NATURE
Par ailleurs, en devenant candidate, les conseillers en communication ont encouragé Dilma à coller davantage à l’image traditionnelle de la femme brésilienne pour ne pas effrayer une société qui reste marquée par le machisme. Pour « se féminiser », elle a eu recours à la chirurgie esthétique et adopté une garde-robe sophistiquée. Ces transformations, qui visent à séduire un électorat sensible à l’apparence, ne concernent toutefois pas que les femmes, Lula ayant eu recours aux mêmes artifices pour se faire élire en 2002.
L’omniprésence du président et les transformations physiques de Dilma ont provoqué le sarcasme de l’opposition qui s’est moquée de leur couple atypique. Plínio de Arruda du PSOL l’a accusé d’être un produit politique « inventée », tandis que José Serra du PSDB a reproché à Lula de « parler à sa place ». Dilma est présentée par ses adversaires comme une femme faible et incompétente, une idée infondée pour tous ceux qui la suivent depuis des années. Pourtant, à force de brider sa personnalité, la candidate du PT a pu transmettre l’image d’une femme soumise. Ce rôle contre-nature et son manque de spontanéité ont sans doute détourné une partie des votes, ce qui explique la tenue d’un second tour qui semblait encore inenvisageable quelques jours auparavant.
— -
Raphaël Gutmann, consultant à Terra Cognita et professeur affilié à l’ESG Managment School
GUTMANN Raphal
* LEMONDE.FR | 08.10.10 | 10h19
* Raphaël Gutmann est l’auteur de « Entre castes et classes » (L’Harmattan, 2010).