Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/21/laffaire-de-mazan-vu-a-travers-du-prisme-du-terrorisme-masculiniste/
Le procès ouvert le 2 septembre 2024 à Avignon bouleverse les perceptions collectives des violences sexuelles. Cette affaire de viols de masse mobilise l’appareil judiciaire pour une durée de quatre mois, en raison de la gravité et de l’ampleur des crimes commis. Entre 2011 et 2020, un total de 92 viols a été perpétré sur une seule victime. L’exploitation des fichiers saisis chez Dominique Pélicot, maître d’œuvre, a permis aux enquêteurs de cartographier un réseau tentaculaire de 83 violeurs présumés, dont 54 ont été formellement identifiés. Parmi ces hommes, 23 avaient des antécédents judiciaires, certains pour violences conjugales et d’autres pour violences sexuelles. Au total, 49 accusés sont poursuivis pour viol aggravé, un pour tentative de viol, et un autre pour agression sexuelle. De plus, cinq d’entre eux sont inculpés pour possession massive d’images pédopornographiques, renforçant ainsi la dimension criminelle transnationale du dossier.
Ce procès a ouvert des débats publics sur des enjeux essentiels liés à la sécurité des femmes et la justice sociale, aussi autour de la soumission chimique, de la culture du viol et des stratégies employées par les avocats des accusés. À cela s’ajoute une réflexion sur la liberté d’informer, lorsqu’une victime, courageuse, refuse le huis clos pour briser l’omerta. Mais l’enjeu sécuritaire le plus préoccupant, à mes yeux, reste celui de la radicalisation masculiniste qu’on voit ici à l’œuvre. Mon objectif, ici, n’est pas de créer une nouvelle figure du « monstre », alors que l’affaire Mazan révèle la banalité déconcertante des profils de ces agresseurs, mais de mettre en lumière l’expansion rapide des foyers de terrorisme masculiniste sur notre territoire, ainsi que la diffusion de leur discours extrémiste.
Rebondissons sur une phrase polémique lancée par Me Guillaume de Palma, l’un des avocats de la défense, pour qui il existerait « viol et viol ». Si l’avocat a tenté de minorer la gravité des faits commis par son client, nous pourrions aussi proposer leur aggravation en les qualifiant de terroristes. En effet, l’article 421-1 du code pénal, qui définit ce qui constitue l’acte terroriste, s’applique aussi aux atteintes à l’intégrité de la personne, dont les crimes de viol. Les violences sexuelles, bien que rarement pensées comme mode d’action terroriste, n’en sont pas pour autant exclues. Pourquoi ne pas envisager alors ces viols de masse en termes sécuritaires, tant ils portent gravement atteint à l’ordre public ? Encore faudrait-il que les services de l’État entendent que l’« ordre public » serait troublé par la commission de ces viols…
Il est vrai que le terrorisme masculiniste n’opère en général pas par la mise en scène publique de la violence ni ne cherche à augmenter sa notoriété par ses attentats (ce qui constitue le terrorisme dans l’imaginaire collectif). Il travaille à normaliser les violences fondées sur le genre dans une volonté de transformation sociétale vers le renforcement de la domination masculine. Minorer la gravité des violences commises ainsi que la portée symbolique de leur action, est, pour la plupart des milieux radicaux masculinistes, l’objectif stratégique.
Dans l’imaginaire collectif, toujours, un attentat n’en est un que si l’auteur ne connaît pas sa cible. Dans le cas des actes terroristes masculinistes, choisir une cible de proximité, d’opportunité, est le choix du moindre risque, permettant de tenter de réduire la gravité de ces crimes par la confusion faite entre violences interpersonnelles et les leurs fondées sur l’idéologie violente de l’effacement totale de la perspective des femmes.
Les éléments révélés au cours de la procédure judiciaire permettent de replacer cette affaire dans une approche de sécurité publique. Dominique Pélicot n’était pas un loup solitaire, il agissait comme un recruteur au sein d’une entreprise collective. Pour démontrer la dimension terroriste de ces viols, nous nous appuierons sur des caractéristiques clés des milieux radicaux élaborées par les sociologues de la violence politique Stefan Malthaner et Peter Waldmann :
Communauté Partagée : Offrir un espace où les individus partagent des croyances et des valeurs similaires, favorisant un sentiment d’appartenance. Dans l’affaire Pélicot, c’est le salon au titre explicite « à son insu » sur le site coco.gg, un site visé par plus de 23 000 procédures judiciaires et fermé depuis peu. La valeur partagée est celle de la performance technique pour contourner le consentement des femmes.
Soutien Mutuel : Créer un environnement de solidarité, où les membres s’encouragent mutuellement à adopter des comportements extrêmes. Les récits faits à l’audience, montrent le partage d’un savoir-faire pour neutraliser la cible (sans pour autant la tuer, ce qui pourrait éveiller des soupçons). Cette solidarité, masculine, s’exprime aussi lors du déroulement du procès, avec une complicité nouée lors des pauses, et une hostilité partagée à l’égard de la presse et des soutiens féministes de Gisèle Pélicot.
Normes et Idéologies : au sein de ces milieux sont promues des idées radicales qui justifient l’utilisation de la violence. L’idéologie, ici, est celle de la déshumanisation des femmes, une misogynie collective et caractérisée par l’apologie de la violence sexuelle. Lorsque l’un des complices, un infirmier, fournit à Pélicot les dosages exacts pour garantir l’efficacité des substances chimiques utilisées dans les violences, il agit comme un artificier au service d’une cause terroriste. Cette transmission de savoirs, loin de susciter des remords, vient renforcer leur sentiment de légitimité. Les actions sont méticuleusement organisées, et donc justifiées.
Cohésion Sociale : L’engagement et la loyauté envers le groupe sont renforcés par des rituels et des pratiques collectives, dont celui du partage des faits d’armes – le contournement du consentement –, par le récit ou l’image. Par ailleurs, Dominique Pélicot instaurait un protocole strict pour la mise en œuvre des actions violentes, et documentait systématiquement la commission de viols.
Contrôle Social : Il existe un mécanisme de surveillance interne qui sanctionne les comportements déviants, renforçant l’idéologie collective. Lorsque le protocole mis en place par Dominique Pélicot n’était pas respecté, ce dernier ne ré-invitait plus. La captation par l’image de la commission des viols, lui permettait également de contrôler les actions de ses adeptes. Le silence mutuel devient une règle absolue : personne ne trahit, garantissant ainsi la pérennité du groupe.
Dans mon essai La Terreur Masculiniste (Éditions Du Detour, 2024), j’ai analysé en profondeur la manière dont la misogynie ordinaire peut évoluer en un passage à l’acte violent du fait de milieux radicaux, et l’affaire Pélicot en est une illustration parfaite. J’ai notamment élaboré des outils d’identification de ces milieux. Le salon « À son insu » se distingue comme un exemple typique de ce que je désigne par « milieu flexeur ». Dans cet espace, Dominique Pélicot recrutait des complices et orchestrait des actions violentes, tout en structurant une masculinité hégémonique fondée sur la maîtrise technique du viol et la perpétuation de l’impunité. La transmission de ce savoir-faire destructeur devient ici un outil de pouvoir.
Comprendre ces dynamiques est une étape essentielle pour pouvoir les combattre. Sans ces clés d’analyse, nous ne pourrons jamais endiguer la normalisation de cette forme de violence, qui relève d’une forme de terrorisme. Dans l’affaire Mazan, Gisèle Pélicot n’est pas seulement une survivante de viols de masse, elle est aussi une rescapée héroïque d’attentats. Masculinistes.
Stephanie Lamy
Féministe, chargée d’enseignement, chercheuse
https://blogs.mediapart.fr/stephanielamy/blog/181024/laffaire-de-mazan-vu-travers-du-prisme-du-terrorisme-masculiniste
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