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« L’affaire Assange crée un dangereux précédent pour tous les journalistes » : Kristinn Hrafnsson et Stella Assange témoignent

Stella Assange, l’épouse de Julian Assange, et Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de WikiLeaks, témoignent du combat mené durant quatorze années par le journaliste australien, Julian Assange, pour sa libération. Conscient du climat d’autocensure que sa condamnation instaure au sein de la profession, le lanceur d’alerte entend continuer la lutte.

Tiré de l’Humanité

Publié le 22 novembre 2024
Vadim Kamenka
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« Je suis libre aujourd’hui parce que j’ai plaidé coupable de journalisme », a déclaré Julian Assange, à Strasbourg, devant le Conseil de l’Europe, le 1er octobre.
©️ JOHANNES SIMON / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP

Depuis sa libération le 26 juin, Julian Assange a tenu à réaliser sa première visite hors d’Australie en France, à Strasbourg. « C’est bon d’être de retour », a même souligné le cofondateur de WikiLeaks. Le journaliste de 52 ans a voulu surtout témoigner devant le Conseil de l’Europe et tenir son premier discours public depuis 2019. Julian Assange a soutenu la résolution adoptée qui en fait un prisonnier politique et alerte sur le dangereux précédent que son affaire crée à l’encontre de la presse.

L’extraterritorialité des lois, notamment états-uniennes, permet désormais à n’importe quel éditeur, journaliste, d’être poursuivi. Une situation insupportable pour le Conseil de l’Europe et Julian Assange, qui a rappelé : « Je ne suis pas libre aujourd’hui parce que le système a fonctionné. Je suis libre aujourd’hui parce que, après des années d’incarcération, j’ai plaidé coupable de journalisme. »

L’Australien en effet a pu retrouver la liberté en plaidant coupable afin d’éviterl’extradition aux États-Uniset une procédure lancée en 2019 qui lui faisait encourir 175 ans de prison, pour 18 chefs d’inculpation en vertu des lois anti-espionnage, après une détention arbitraire entamée le 7 décembre 2010 et 1 901 jours de prison à Belmarsh. Le rédacteur en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, et sa femme, Stella Assange, témoignent de son quotidien et d’un combat qui doit se poursuivre.

Après quatorze années de détention au Royaume-Uni, dont 1 901 jours dans une prison de haute sécurité à Belmarsh, dans quel état de santé se trouve Julian Assange ?

Stella Assange

Son état de santé s’améliore, mais il a manifestement besoin de beaucoup plus de temps pour récupérer. Je pense que tous ceux qui ont écouté Julian, à Strasbourg devant le Conseil de l’Europe, ont pu constater que son intelligence était intacte. Son témoignage durant plus d’une heure a confirmé que sa passion pour la vérité et les droits de l’homme n’a pas faibli. Mais il est évident que les années d’emprisonnement ont eu un impact considérable sur lui et qu’il a besoin de retrouver ses forces, et il n’en est qu’au début de ce processus.

Il a donc pris le temps d’interrompre sa convalescence en Australie et pris le risque d’un long périple de quarante-huit heures en raison de l’importance capitale du rapport rédigé par la commission des Questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée du Conseil de l’Europe sur son cas et les conséquences pour d’autres. La résolution votée est complète.

Elle reconnaît le statut de prisonnier politique, son traitement disproportionné, les persécutions vicieuses et dégradantes et les implications plus vastes enmatière de liberté de la presse. Après le plaider-coupable, Julian ne peut demander réparation à aucune instance judiciaire, mais il peut répondre à des initiatives politiques, notamment à une Assemblée parlementaire qui représente 46 nations. Cela permet d’informer les élus et de les sensibiliser à ces graves précédents.

Depuis sa libération en juin dernier, à quoi ressemble le quotidien de Julian Assange ?

Stella Assange : II peut enfin profiter de la vie d’un homme libre en Australie après quatorze années de détention. Il se rend à l’océan presque chaque jour pour nager et surfer. Julian apprend aussi à être un père de famille et à vivre avec les siens, notamment ses deux enfants. Il lit et s’informe sur tout ce qu’il a pu rater avec l’évolution prise par l’intelligence artificielle. Il prend le temps de se ressourcer et de redécouvrir le plaisir de manger.

Quel message a voulu défendre Julian Assange en prenant pour la première fois la parole en public, en France ?

Kristinn Hrafnsson

Ce rapport et le fait que Julian Assange ait été reconnu comme prisonnier politique par l’Assemblée plénière s’avèrent primordiaux. C’est une étape fondamentale pour la protection des journalistes. La résolution a pu dévoiler les persécutions subies sur la base de motifs politiques par Julian Assange au Royaume-Uni. Il a été poursuivi pour son travail journalistique et ses révélations sur les crimes de guerre commis par les armées américaine et britannique en Irak ou en Afghanistan.

Son cas et le plaider-coupable nécessaire à sa libérationcréent un précédent très dangereux pour les rédacteurs, reporters, journalistes d’investigation, éditeurs dans le monde entier. Face à ce danger, le signal envoyé par le Conseil de l’Europe s’avère très important pour tous les États. Car il s’agit d’une institution qui incarne une forme de conscience et de vigie face aux dérives antidémocratiques des nations et aux attaques contre les droits de l’homme. Il s’agit de défendre le droit à la liberté d’expression, sans ingérence. C’est pour cette raison que Julian Assange a souhaité entreprendre ce voyage éprouvant vers l’Europe.

Depuis cette résolution adoptée le 2 octobre, les autorités britanniques ont-elles réagi ?

Stella Assange : Le gouvernement n’a rien fait. Il entend étouffer l’affaire, comme seul un coupable le ferait en faisant obstruction au rapport indépendant du Conseil de l’Europe. Son Assemblée parlementaire, dont le Royaume-Uni est membre, a réclamé que les autorités britanniques procèdent à un examen « en vue d’établir s’il (Assange) a été exposé à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, conformément à leurs obligations internationales ».

Aucune enquête n’a été lancée et aucune réaction n’a été exprimée. D’ailleurs, nous savons que le Crown Prosecution Service, qui est chargé des poursuites judiciaires, a fait disparaître des documents clés relatifs à l’emprisonnement de Julian, et a refusé de fournir des informations au tribunal, qui pourraient faire la lumière sur l’aspect politique de la persécution de Julian au Royaume-Uni.

Malgré le plaider-coupable qui a clos l’affaire judiciaire avec les États-Unis, Julian Assange est-il prêt à poursuivre la lutte pour éviter que d’autres affaires, d’autres cas se répètent afin de contraindre la liberté de la presse ?

Kristinn Hrafnsson : Oui, comme il l’a mentionné lui-même, Julian va continuer ce combat pour que cela ne se reproduise plus jamais. Le Conseil de l’Europe a été clair sur l’impact de cette procédure, qui « crée un effet dissuasif dangereux et un climat d’autocensure affectant tous les journalistes, éditeurs et autres personnes qui signalent des questions essentielles au fonctionnement d’une société démocratique ».

Aujourd’hui, nous devons encourager les législateurs et les organisations à s’unir et à faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais, par le biais de leurs processus législatifs, d’accords internationaux, etc. Nous savons tous qu’un précédent a été créé : Julian est le premier journaliste à être condamné sur la base de l’Espionage Act (loi sur l’espionnage). Il ne sera certainement pas le dernier, à moins qu’il n’y ait une forte réaction et une influence politique exercée sur les États-Unis pour dissocier l’Espionage Act de toute possibilité d’abus contre les journalistes.

Mais il faut également mettre en place des garanties dans les pays européens, car il y va de l’intérêt des journalistes du monde entier. Vous ne voulez pas que les journalistes européens risquent d’être extradés ou même appréhendés n’importe où dans le monde parce qu’ils ont enfreint une loi aux États-Unis pour avoir fait leur métier. Il faut neutraliser cette possibilité.

Le manque de protection de la presse vis-à-vis des États-Unis et de leur extraterritorialité est-il un danger suffisamment pris en compte par l’Europe ?

Stella Assange : Je pense qu’il est très important que la commission des Questions juridiques et des droits de l’homme ait produit ce rapport, parce qu’il crée non seulement une enquête indépendante sur ce qui s’est passé, mais aussi un consensus politique sur l’urgence avec laquelle les législateurs doivent examiner le danger que pose ce précédent. En fait, comme Julian l’a dit dans sa déclaration, s’il est libre, ce n’est pas parce que le système a fonctionné, mais parce qu’il n’a pas voulu sacrifier d’autres années de sa vie pour un système qui ne fonctionnait pas et qui n’allait pas lui permettre de retrouver la liberté.

C’est à cela qu’il faut s’attaquer : à la fois l’absence de garanties efficaces en cas de répression transnationale lorsqu’un État étranger abuse du système juridique pour harceler un journaliste en représailles de ce qu’il a publié, ainsi que le fait que l’espace européen n’est pas équipé pour protéger les journalistes victimes d’une répression transnationale. Et le cas de Julian, je pense, est le cas emblématique de la répression transnationale, parce que vous avez non seulement des outils juridiques, mais aussi une criminalité extralégale et étatique utilisée contre lui et documentée.

Et si nous en savons autant sur cette affaire, c’est grâce aux lanceurs d’alerte, parce qu’elle a été très médiatisée. Il y a donc beaucoup à en apprendre, mais il y a aussi d’autres cas, moins sous les feux des projecteurs, où des individus sont tout aussi vulnérables. Les ONG européennes, les hommes politiques, etc., doivent donc se réveiller et s’attaquer à ce problème. Le système européen prétend offrir un lieu sûr pour la publication, l’exposition de la vérité, etc. En réalité, son incapacité à mettre en œuvre les garanties qui étaient sur le papier a conduit à l’incarcération de Julian.

Est-ce que Julian Assange pourrait reprendre ses fonctions au sein de WiliLeaks ?

Kristinn Hrafnsson : Aujourd’hui, l’accent est mis sur son rétablissement, qui n’a commencé qu’il y a quelques semaines, et Julian a besoin de plus de temps. Il lui faut rassembler des informations sur le monde d’aujourd’hui. Cela fait quatorze ans qu’il est privé de liberté. Cela fait cinq ans qu’il n’est pas au courant de l’évolution du monde. Il pourra prendre position sur la direction à prendre après cela.

Bien sûr, cela prendra un peu de temps, mais je suppose que cela se fera sur la base des mêmes principes et des valeurs qui ont toujours motivé Julian, la justice et la rigueur journalistique. Oui, je pense que Julian a émergé dans un monde très différent et qu’il entame seulement son rétablissement, mais il y a beaucoup de travail à accomplir.

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