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L’Algérie de Bouteflika en fin de cycle, l'armée toujours aux affaires

C’est l’habituelle entrée en matière des opposants algériens exilés à Paris, ceux qui ont quitté le pays après avoir frayé au plus niveau comme homme d’affaires, membre de l’armée ou des services de renseignements. Pour comprendre l’Algérie actuelle, disent-ils, il faut considérer ce pays davantage comme une république soviétique que comme un État-nation classique, doté d’un système politique pluraliste dont répondrait une batterie de contre-pouvoirs virtuels ou effectifs.

22 mai 2013 | Mediapart. Fr

En soixante ans d’existence, la République populaire d’Algérie a eu le temps de roder son système : un parti unique, une assemblée nationale populaire où rien ne se décide, puis une ouverture au multipartisme maîtrisée, une presse parfois impertinente mais toujours tenue ou réduite à un petit milieu intellectuel francophone. Derrière cette vitrine, un régime pyramidal complexe, d’abord organisé autour de l’Armée de libération nationale, puis d’une poignée de généraux et de membres des services de renseignements, le fameux DRS (pour Département renseignements et sécurité). Ce sont eux qui construisent, en dehors de tout cadre législatif, leurs boîtes de nuit gigantesques le long de la côte, en banlieue d’Alger ou d’Oran ; eux qui captent l’essentiel de la prébende et de la manne pétrolière, quand l’Algérie dispose aujourd’hui de 200 milliards de dollars de réserve de devises grâce aux revenus du pétrole.

« Bouteflika était arrivé en promettant de réduire l’influence des militaires et des services de renseignements dans la politique, explique le politologue Mohamed Chafik Mesbah, lui-même ancien officier de l’armée avant de se tourner vers les sciences politiques. Il a totalement échoué sur ce plan, si bien qu’aujourd’hui, les partis n’ont aucune consistance, le FLN est en crise, et les militaires sont plus présents que jamais. »

C’est dans cette perspective qu’il faut envisager la potentielle vacance à la présidence de l’État algérien, alors que Abdelaziz Bouteflika, admis le 27 avril dernier à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris, demeure soigné en France, à l’abri des regards mais pas des spéculations. Hospitalisé depuis le 27 avril, il a été transféré mardi dans un autre établissement militaire de la capitale, « afin d’y poursuivre sa convalescence », a annoncé le service de santé des armées dans un communiqué. Le nom de l’établissement n’a pas été précisé

Abdelaziz Bouteflika n’a jamais été aussi longtemps absent des affaires, et le premier ministre a beau clamer que sa maladie ne sera bientôt qu’« un mauvais souvenir », personne n’est dupe. Deux quotidiens ont d’ailleurs été saisis pour avoir envisagé ouvertement, dans leurs éditions du 19 mai, le départ d’un président plongé selon eux dans un « état comateux ».

Au-delà des rumeurs, plusieurs personnalités politiques ont déjà demandé que soit appliqué l’article 88 de la constitution, qui prévoit le régime de transition en cas d’incapacité du président. Le texte exact de l’article est celui-ci : « Lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement. Le Parlement siégeant en chambres réunies déclare l’état d’empêchement du Président de la République, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et charge de l’intérim du Chef de l’État, pour une période maximale de quarante-cinq (45) jours, le Président du Conseil de la Nation. En cas de continuation de l’empêchement à l’expiration du délai de quarante-cinq (45) jours, il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit, selon la procédure visée aux alinéas ci-dessus et selon les dispositions des alinéas suivants du présent article. »

Et après ? Comment imaginer l’Algérie post-Bouteflika ? Une ouverture politique est-elle possible, quand le pays demeure secoué par une vague de mouvements sociaux qui, depuis l’automne 2010, n’a épargné aucune des 48 wilayas (préfectures) du pays, malgré les 30 milliards de dollars promis et/ou distribués par le gouvernement algérien depuis le printemps 2011 ?

« La lutte entre les clans, militaires, lobbyistes, est bien plus dure qu’il y a dix ans »

Aujourd’hui, pour les éditorialistes et la poignée de politologues algériens qui s’expriment, et que la presse francophone – dont Mediapart – se dispute, la question n’est plus de savoir si Bouteflika pourra revenir, mais d’anticiper le scénario de sa succession, dans un contexte interne particulièrement compliqué.

La relève n’est pas prête. Le FLN est lui-même plongé dans une crise de succession (le secrétaire général actuel se nomme… Abdelaziz Bouteflika). À force de noyauter les partis, d’offrir des ministères aux partis islamistes pour mieux les discréditer auprès de la population, le FLN n’est pas parvenu à faire émerger de figure charismatique qui emporte l’adhésion populaire. Du temps de Bouteflika, c’était d’ailleurs sans doute le but. Mais cette stratégie se retourne aujourd’hui contre le parti quand, pour le régime algérien, l’actuel président représentait l’unique candidat possible à sa propre succession. « Nous étions même déjà entrés en campagne, c’est dire si le pouvoir misait sur lui, explique le politologue Rachid Tlemcani. Pour ce professeur à l’université d’Alger, la succession de Bouteflika s’annonce très compliquée, « parce que l’Algérie actuelle est beaucoup plus complexe que celle des années 1970, parce que les luttes d’influence entre les clans, militaires, lobbyistes, sont bien plus dures qu’il y a dix ans ».

Si la plupart des analystes demeurent aveugles sur les tempêtes politiques qui éclatent au sommet de l’État algérien, et les arbitrages des généraux qui trustent la rente pétrolière – une opacité semblable à celle qui entourait les affaires internes du parti communiste d’union soviétique et de l’actuel parti communiste chinois – certains, comme Rachid Tlemcani, jugent que le départ de Bouteflika ne se fera pas en douceur, sans une « irruption » qui pourrait bousculer le régime à la faveur d’une contestation sociale croissante. Après les médecins généralistes, les enseignants contractuels et tant d’autres professions des secteurs publics et privés, ce sont cinq syndicats hospitaliers qui ont à nouveau manifesté cette semaine. Et les grèves se multiplient dans le sud du pays.

Mohamed Chafik Mesbah, lui, n’exclut pas totalement la possibilité d’un changement de régime, résultat des options contradictoires choisies par une junte qui vieillit, et gère le pays tels des officiers formés en Urss dans les années 1970. Le général Toufik, que l’on décrit comme le véritable premier dirigeant de l’Algérie, est lui-même à la tête des services de renseignements depuis plus de vingt ans.

Si le statu quo paraît l’hypothèse la plus probable, avec une gouvernance aménagée – « collégiale », comme l’avance Rachid Tlemcani – le temps de se mettre d’accord sur le nom d’un nouveau président, Mohamed Chafik Mesbah avance une hypothèse qu’il pense aujourd’hui la plus réaliste : une « transition graduelle », avec l’ancien premier ministre Mouloud Hamrouche, dont le nom circule beaucoup cette semaine dans la presse algérienne, ou le retour à la présidence de l’Algérie de Lamine Zeroual, président de 1994 à 1999, qu’il connaît personnellement pour avoir été son conseiller à la présidence, en pleine décennie du terrorisme. Faire du neuf avec du vieux pour éviter de tout changer, dans un pays dont 50 % de la population a aujourd’hui moins de trente ans, c’est peut-être aujourd’hui encore la solution privilégiée à Alger pour achever le cycle Bouteflika, député en 1962, puis ministre, et qui aura représenté l’Algérie pendant quatorze ans.

Pierre Puchot

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