Édition du 17 décembre 2024

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Racisme

Allemagne

Juger les réfugiés sur leurs actes, pas sur leur appartenance

11 janvier 2016 | tiré de Mediapart.fr

Des réfugiés impliqués dans les agressions de femmes de Cologne ; des indices selon lesquels l’homme tué devant le commissariat de Paris vivait dans un foyer de demandeurs d’asile en Allemagne : la politique d’ouverture de Berlin est mise en cause. Les réfugiés dans leur ensemble aussi. Quelle position tenir ? Refuser les accusations généralisantes.

Les informations sur l’implication de réfugiés dans des actes répréhensibles se succèdent. Samedi 9 janvier tard dans la nuit, l’AFP diffuse une dépêche déclarant que l’homme tué le 7 janvier par la police, après s’être présenté « menaçant » muni d’un couteau de boucher devant un commissariat du XVIIIe arrondissement de Paris, vivait « dans un foyer de demandeurs d’asile » dans l’ouest de l’Allemagne, selon les forces de l’ordre allemandes qui ont perquisitionné le foyer en question.

Vendredi 8 janvier, le gouvernement allemand reconnaît que les suspects identifiés dans les violences ayant eu lieu dans la nuit du nouvel an à Cologne et dans d’autres villes allemandes seraient pour certains des réfugiés (22 sur 32 suspects identifiés). Selon les derniers décomptes, 40 % des agressions, pour lesquelles pas moins de 516 femmes ont porté plainte, auraient un caractère sexuel.

En France, dans le sillage de l’enquête judiciaire portant sur les attentats du 13 novembre, il a été établi que deux des terroristes sont entrés dans l’Union européenne par la mer Égée en suivant la route des Balkans, la même que celle empruntée par la plupart des réfugiés venus de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan.

Ces faits sont de nature différente. Dans le premier cas, l’individu reconnu par ses proches comme un Tunisien de 24 ans a été tué après avoir été jugé dangereux par les forces de l’ordre ; dans le deuxième des hommes sont suspectés d’agressions ; dans le troisième les kamikazes décédés n’ont rien de « réfugiés » au sens où ils n’ont pas fui leur pays parce que leur vie était en danger mais dans le but de participer à des attentats. Mais, tous, d’une manière ou d’une autre, brouillent la représentation que les Européens se font des réfugiés.

Alors que l’Allemagne a vu affluer 1,1 million de demandeurs d’asile en 2015, faisant de cette année un record historique, les pourfendeurs de ce qui serait une invasion non contrôlée constituée de terroristes et de violeurs en puissance trouvent là des arguments à leur vision xénophobe. Les défenseurs d’une Europe ouverte sont renvoyés à leur supposée naïveté coupable. À Cologne, une manifestation d’extrême droite a réuni 1 700 personnes le 9 janvier, se terminant en affrontements avec les policiers. Sur les réseaux sociaux et dans l’espace public, les représentants du mouvement islamophobe Pegida (pour « Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident »), à l’origine du rassemblement, jubilent.

Mais l’opprobre dépasse largement ces cercles fascisants, obligeant la chancelière à modifier son discours. Lors des vœux pour la nouvelle année (sous-titrés sur Internet en arabe et en anglais), Angela Merkel s’est adressée à ses concitoyens en les exhortant « à ne pas suivre ceux qui, le cœur froid ou plein de haine, se réclament seuls de l’identité allemande et veulent exclure les autres ». Justifiant sa politique d’ouverture, en décalage avec celles de la plupart des chefs d’États de l’UE, parmi lesquels François Hollande, elle a fait l’éloge de son pays, doté d’une « économie robuste et innovante », et appelé les Allemands à « avoir confiance en eux, être libres, humanitaires et ouverts au monde ».

Neuf jours plus tard, en réaction au scandale de la Saint-Sylvestre, elle s’est prononcée en faveur d’un durcissement des règles d’expulsions de demandeurs d’asile condamnés par la justice, les autorisant également pour les personnes condamnées à une peine avec sursis.

En France, les réactions n’ont pas tardé non plus après la révélation du parcours de l’assaillant du commissariat. Le vice-président du FN et conseiller de Marine Le Pen, Florian Philippot, s’est précipité sur Twitter dimanche matin : « Voilà où nous conduisent l’UE, Schengen et les gouvernements français soumis à ces dogmes. Nos frontières vite ! » Nicolas Bay, secrétaire général du FN et eurodéputé, a surenchéri à quelques heures d’intervalles. D’abord sur Cologne : « On nous a rabâché que l’accueil de ces prétendus “réfugiés” était une “chance”, une “opportunité”, une “richesse”. C’est l’exact inverse. » À propos du commissariat de Paris : « L’islamiste qui a attaqué le commissariat à #Barbès était un demandeur d’asile. Et l’UE continue de vouloir accueillir des “réfugiés”… » Il est probable que d’heures en heures, l’extrême droite ne soit plus seule à se répandre de la sorte, reprochant à l’ensemble des réfugiés des actes pourtant individuels.

Des échos se font entendre jusqu’aux États-Unis, où le milliardaire américain Donald Trump a enflammé le débat. « Pauvre Allemagne, [les réfugiés] créent une émeute dans les rues de Cologne ! », a lancé le candidat aux primaires du Parti républicain pour l’élection présidentielle de 2016. « Ce qui se passe est incroyable, avec les crimes et les viols (...), les gens arrivent par millions et ce qui se produit en Allemagne est inconcevable », tonne-t-il.

Le backlash promet d’être terrible pour les centaines de milliers de personnes qui ont fui leur pays ces derniers mois, ainsi que pour les innombrables citoyens européens qui leur ont témoigné leur soutien au cours cet exode, qui, au regard des chiffres recensés par l’Organisation des Nations unies, constitue le plus important déplacement de population depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce retour de bâton n’a toutefois pas lieu d’être.

Il est dommageable, voire insupportable, comme l’a souligné l’éditorialiste du Guardian, Gaby Hinsliff, qu’à Cologne la révélation du profil des attaquants mis en cause (ils n’ont pas encore été jugés) ait troublé la communication officielle sur cette affaire. Appelant les responsables politiques et les journalistes à ne pas s’autocensurer dans la recherche de la vérité, notamment lorsque celle-ci les place en porte-à-faux avec leurs propres opinions, elle fustige dans le même temps les « dinosaures misogynes » (allemands) qui ne trouvent rien de mieux que de soutenir les droits des femmes dans la mesure où cela leur permet de dénoncer l’immigration. « Les victimes sont des victimes, y compris lorsqu’elles sont défendues par les mauvaises personnes pour des mauvaises raisons », indique-t-elle.

Être soi-même une victime (ayant fui la guerre par exemple) n’excuse en rien d’être un criminel, serait-on tenté de poursuivre, de la même manière que faire partie d’une minorité n’empêche pas d’être raciste. En la matière, la seule ligne de conduite qui vaille est de traiter les réfugiés comme des justiciables comme les autres. S’ils ont commis des crimes et des délits, ils les ont commis en tant qu’individus et non en tant que réfugiés. Et doivent être condamnés pour cela, comme tout un chacun. S’il est avéré qu’ils se sont entraînés les uns les autres, des facteurs aggravants existent : agir en bande organisée est puni par la loi en Allemagne comme en France.

Les accuser « en tant que réfugiés » ou faire peser leur responsabilité sur l’ensemble d’un groupe humain relève en revanche du racisme pur et simple. C’est en effet le propre de la xénophobie de prendre un membre d’une communauté étrangère ou minoritaire pour son tout. Lors de la tragédie d’Utoya en Norvège le 22 juillet 2011 perpétrée par Anders Behring Breivik, à la suite de laquelle 77 personnes ont trouvé la mort, il n’est venu à l’esprit de personne d’accuser les Norvégiens en général, ni les Blancs. Le lien avec son idéologie ultra-nationaliste (qu’il revendique lui-même) a, lui, été fait : à raison. Les personnes sont comptables de leurs idées et de leurs actes. Elles doivent être poursuivies si ceux-ci contreviennent à la loi, et non pour ce qu’elles sont ou au nom de leur appartenance, réelle ou supposée, à un groupe.

Les réfugiés ne sont ni des anges, ni des démons. Ce n’est pas parce qu’ils ont fui leur pays dans des conditions souvent atroces qu’ils sont pour autant des héros, même s’il faut leur reconnaître une forme de courage pour avoir surmonté les difficultés rencontrées en chemin – au moins 3 771 personnes ont péri en traversant la Méditerranée en 2015, selon le décompte de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Mais, à l’inverse, il n’y a statistiquement aucune raison que cette population ne contienne ni criminels, ni terroristes, ni violeurs, ni truands. Il est pourtant curieux de constater que les sociétés d’accueil ont tendance à attendre des étrangers qu’ils se comportent avec exemplarité. Mieux que le reste de la population, en tout cas, en apportant des preuves de leur allégeance à leur patrie d’adoption.

Pendant quelques semaines, l’afflux de réfugiés a fait l’objet d’une compassion inédite de la part des opinions publiques européennes. La diffusion partout dans le monde de la photo du petit Aylan, cet enfant syrien de trois ans dont le corps a été retrouvé échoué sur une plage turque le 2 septembre, a créé une prise de conscience. Et si c’était nous ? Et si c’était nos enfants ?

Cette empathie, que n’avaient pas connue les milliers de migrants sub-sahariens morts noyés en Méditerranée ces dernières années, a été de courte durée. Il est à craindre que les révélations actuelles ne participent à faire naître un racisme anti-réfugiés, allant à l’encontre d’un des principes démocratiques fondamentaux visant à refuser toute essentialisation des personnes en fonction de leur groupe d’appartenance.

Carine Fouteau

Médiapart

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