Tiré de El Watan.
Chaïma, Manel, Dahia, Kenza, Amel, Tinhinane, Wassila Zahra ne sont plus de ce monde. Agées entre 17 et 82 ans, elles font partie d’une liste de femmes assassinées depuis le début de l’année en cours, pour la majorité, à coups de couteau, assénés souvent par ceux qui leur sont les plus proches, le mari, le père, le frère ou tout simplement le compagnon. Elles viennent de toutes les catégories sociales : journalistes, femmes au foyer, avocates, étudiantes ou encore lycéennes, et vivent aussi bien dans les zones urbaines que rurales des différentes régions du pays.
En 2020, les services de la gendarmerie ont enregistré 10 758 plaintes pour violences sur des femmes. Les violences physiques occupent la première place avec 8451 cas ayant entraîné la mort, pour 95 victimes. Les enquêtes ont montré que pour 47 des victimes, il s’agissait d’homicide volontaire. Durant les deux premiers mois de l’année en cours, les mêmes services ont enregistré 2003 plaintes pour violences contre les femmes et 741 autres pour atteintes à leurs biens. Les services de la Sûreté nationale ont, pour leur part, affirmé avoir enregistré une hausse de ces violences, avec 5835 cas, durant uniquement les dix premiers mois de l’année 2020, et 43 féminicides.
Les violences à l’égard des femmes ne cessent de progresser. Certains y voient une prise de conscience chez les victimes de plus en plus nombreuses à recourir à la justice, pour d’autres, c’est un fléau inquiétant, qui devient de plus en plus visible, en raison du système patriarcal de la société, qui consacre la domination de l’homme sur la femme et les inégalités, sources de toutes les violences. Les experts s’accordent tous à expliquer ces violences à l’égard des femmes par le regard que porte la société envers elles, mais aussi par le contenu du code de la famille, qui consacre l’iniquité entre l’homme et la femme.
En novembre dernier, le Centre d’information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes (Ciddef) a rendu publics les résultats d’une enquête sur la prise en charge des femmes et des filles victimes de violences durant la pandémie, basée sur les statistiques de la police. Cette enquête fait état d’une prédominance importante des violences physiques avec 71,17% des cas, et une recrudescence des homicides pendant le confinement, avec 32 femmes tuées.
Le mauvais traitement, l’insulte, la négligence, la violence morale et psychique représentent 24,27% des cas, alors que les violences sexuelles constituent 1,37%, le harcèlement sur la voie publique 1,35% et le harcèlement sexuel 0,99% des cas.
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Pour Louisa Aït Hamou, du réseau Wassila, il faut être très vigilant. « Avec le confinement, nous nous sommes rendu compte qu’il y a eu beaucoup de violences, ce qui peut être expliqué mais jamais justifié. La précarité indue par la crise sanitaire n’est pas la seule raison. Les femmes subissent les violences depuis longtemps. Il n’y a pas de raison pour que ce soit uniquement elles les victimes.
Il se trouve que ces violences sont peut-être plus visibles qu’avant. Toutes ces violences ont pour origine la domination des hommes sur les femmes, qui reste liée au système patriarcal de notre société », explique la militante et membre du réseau Wassila, qui milite depuis des années contre les violences à l’égard des femmes et pour les droits de celles-ci. Selon elle, ce système patriarcal, consacré par le code de la famille, est à l’origine de toutes les violences que subit la gent féminine.
« Les femmes ne sont plus protégées dans le milieu familial, puisque c’est là où le nombre des cas de violence contre elles est le plus élevé. Nous ne cessons de le dire depuis longtemps. Certes, en 2015, le code pénal a été amendé et des dispositions sur la violence conjugale qui mène au féminicide ont été introduites.
Mais cela reste insuffisant, puisque les pratiques de domination font que l’agresseur bénéficie toujours de l’immunité au nom des enfants, de la famille, de l’honneur, etc. Il y a un problème d’application de la loi. De tout temps, nous ne cessons de réclamer une loi-cadre avec tous les mécanismes impliquant tous les secteurs, qui prennent en charge ces violences sur les plans pénal, social, juridique et sanitaire, mais nous n’avons pas eu de réponse », explique Mme Aït Hamou, précisant que les petites avancées contenues dans le code pénal restent sans effet, avec cette clause du pardon.
« Si la victime a le courage d’affronter son agresseur, elle est souvent dissuadée par la famille. Le rôle de l’Etat est de punir l’auteur des violences et de protéger la victime. Il faut que la peur change de camp, que l’agresseur soit reconnu comme tel et puni par la loi », souligne-t-elle, en insistant sur le rôle de l’Etat mais aussi de la société qui reste souvent complice, en protégeant l’agresseur au détriment de la victime.
« Le travail doit se faire à tous les niveaux, école, famille, mouvement associatif, médias. Il faut une politique publique qui mette un terme aux inégalités, sources de toutes les violences. C’est vrai, il n’y a pas d’engagement sans douleurs et sans prix. Les femmes ont déjà payé, mais il faut continuer à militer. Avec une vingtaine d’associations, nous avons lancé la campagne contre les féminicides et nous sommes contents que d’autres aient pris des initiatives dans ce sens et dédié une page spéciale à ce combat. »
En dépit des plaidoyers et des campagnes de sensibilisation, le nombre des femmes victimes de violences ne fait qu’augmenter. La situation appelle à une véritable politique de protection légale de cette frange de la société.
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