19 mai 2021 | tiré d’Europe solidaire sans frontières
Mardi 18 mai, le département des enquêtes financières du KGB – les services de sécurité biélorusses – a investi la rédaction du plus important portail d’information indépendant du pays, TUT.by. Ils ont bloqué l’accès au site, arrêté des dirigeants et des journalistes, dont la rédactrice en chef Maria Zolotova. Des perquisitions ont eu lieu au domicile de certains d’entre eux.
Officiellement, la direction est accusée de fraude fiscale. Mais c’est surtout un site qui a largement couvert les manifestations de 2020 contre le président Alexandre Loukachenko – au pouvoir depuis 1994 –,ainsi que la répression qui a suivi.
L’opposant Viktor Babariko, qui devait être le principal adversaire du président Alexandre Loukachenko lors de la présidentielle biélorusse d’août 2020 jusqu’à son arrestation en juin, a aussitôt manifesté son soutien. Depuis le tribunal où il est actuellement jugé pour blanchiment d’argent, il a déclaré mardi au site biélorusse Nacha Niva :
“La persécution de la direction et des journalistes de TUT.by, ainsi que le blocage de l’accès au portail d’information que des millions de Biélorusses lisent tous les jours, est un coup porté à la possibilité et au droit de toute personne de se forger une opinion, au droit de toute personne de penser. Ce n’est pas un retour à l’ère pré-Internet, c’est un saut dans le Moyen Âge.”
Maria Zolotova ne pourra donc pas fêter ce mercredi 19 mai la libération de la journaliste de TUT.by Katia Borissevitch, comme elle l’espérait encore la veille sur le site biélorusse de la Deutsche Welle. Cette journaliste avait été condamnée fin 2020 à six mois de prison pour “divulgation de secret médical” : elle avait écrit un article révélant que Roman Bondarenko, manifestant battu à mort par les forces de l’ordre en novembre 2020, n’avait pas d’alcool dans le sang au moment de son décès.
Après la politique et la société civile, le tour des médias
“Ce n’est pas la première attaque contre TUT.by. Mais la principale raison de celle-ci est le rôle considérable qu’a joué le portail dans l’éclairage de la crise politique actuelle, analyse pour le site Salidarnast le politologue Arseni Sivitski. Compte tenu du fait que le pouvoir a totalement perdu la bataille pour les esprits et les cœurs et que ses propres médias ne sont pas à la hauteur, seule la répression est désormais à l’œuvre. C’est d’abord le champ politique et la société civile qui ont été nettoyés ; c’est maintenant au tour des médias.”
Le caractère répressif du régime se durcit de manière générale. Lundi 17 mai, la veille de la descente de police dans les locaux de TUT.by, Alexandre Loukachenko a signé une loi autorisant officiellement les forces de l’ordre à “utiliser des armes à feu et du matériel militaire pour disperser les actions de masse”.
“Le régime biélorusse continue de défendre les siens et de faire le nettoyage parmi ceux qui lui déplaisent”, écrit le site indépendant Biélorousski Partizan. “Auparavant, l’utilisation de la force était restreinte par le risque d’occasionner des dommages sur des personnes ou des biens. Aujourd’hui, les forces de l’ordre ont les mains libres, elles peuvent tirer et utiliser les engins militaires sans limitation”, explique Andreï Porotnikov, directeur du centre analytique Belarus Security Blog .
L’impunité assurée des forces de l’ordre
La Loi sur la défense de l’État “s’inscrit dans le prolongement de la politique de protection des forces de l’ordre contre la colère populaire”, écrit le quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta. Les policiers ont également le droit d’interdire aux citoyens de prendre des photos ou des vidéos et d’enregistrer des sons lors des opérations de maintien de l’ordre. Ils sont toujours masqués et gardent toujours l’anonymat.
L’impunité qui leur est accordée, poursuit le titre russe, a déchaîné la colère de nombreux citoyens, anonymes ou non, qui les dénoncent ou tentent parfois de les punir eux-mêmes, pour se faire justice. Les juges biélorusses ont sévèrement châtié les citoyens ayant écrit sur les forces de l’ordre, et a fortiori ceux qui les ont agressés. Les citoyens peuvent aussi encourir des peines de prison pour avoir causé des “souffrances morales” à des policiers.
“On assiste à l’achèvement de la formalisation législative de la terreur en Biélorussie, juge le politologue biélorusse Pavel Oussov, cité par la Nezavissimaïa Gazeta. Le but de la politique de Loukachenko, comme celui de toute tyrannie, est de lier par le sang le plus de gens possible au sein des structures, c’est-à-dire d’en faire des criminels. La terreur collective et la dictature constituent le meilleur moyen de stabiliser le système. Plus il y aura d’exécutants dociles, plus le régime perdurera.”
Laurence Habay
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P.-S.
Courrier International
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