Geneviève Beaudet — Qu’est-ceque le mouvement Idle No More ?
Mélissa Mollen-Dupuis et Widia Larivière — Le mouvement Idle No More (INM) est un mouvement social, citoyen et pancanadien qui profite aussi d’appuis internationaux. Il a été amorcé à l’automne 2012 par quatre femmes de la Saskatchewan, trois autochtones et une canadienne, qui ont décidé de s’organiser pours’insurger contre deux projets de loi omnibus du gouvernement Harper. C’est important de mentionner cela car, dès le départ, INM a été un mouvement de collaboration entre autochtones et allochtones. Les projets de loi omnibus C-45 et C-38 mettent en péril les droits ancestraux autochtones, la Terre-mère et la démocratie. Au début, les gens ne comprenaient pas l’importance de C-45, qui prévoit notamment enlever plusieurs mesures importantes de protection face aux cours d’eau canadiens. Mais une fois compris, c’est devenu « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » à la suite d’une longue histoire d’oppression et de colonisation que vivent les peuples autochtones et face à un gouvernement fédéral qui ne les respecte pas.
G.B. — Comment le mouvement s’est-il développé ?
M.M.-D et W.L. — Le mouvement INM s’est développé très rapidement grâce aux médias sociaux et il est devenu très médiatisé à partir de décembre 2012, grâce à la convergence avec deux autres événements :la grève de la faim de la chef d’Attawapiskat, Theresa Spence, et les démarches des chefs pour essayer de rencontrer le premier ministre Harper afin de faire entendre leurs préoccupations face aux impacts du projet de loi C-45 sur le mode de vie des peuples autochtones.
G.B. — Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans INM ?
M.M.D. — On était toutes le sdeux des personnes engagées dans nos milieux et on se connaissait. J’ai visité le site d’Occupy [1] et j’ai fait les marches de casserole [2]. Au début, je marchais seulement dans mon quartier sur la rive sud, puis je suis allée dans les grandes marches du centreville. C’est comme un feu de bois, il manquait seulement l’étincelle...
W.L. — J’étais vraiment fière devoir la mobilisation à travers le Canada… il fallait que j’y participe ! Il y a un esprit de solidarité qui se crée avec les gens qui veulent tisser des liens. Le 10 décembre, il y a eu une première grande vague de mobilisation pancanadienne et on a commencé à discuter du fait qu’il fallait que le Québec soit présent et qu’il fallait contourner la barrière de la langue en ouvrant une section québécoise bilingue.
M.M.-D et W.L. — Plusieurs personnes nous « poussaient dans le dos » dans les médias sociaux, en faisant valoir la « réputation du Québec » en matière de mobilisation ! Les 12 et 13 décembre, on était toutes les deux au travail afin de développer la section INM-Québec/Fini l’inertie et on s’est mis en contact avec le comité national INM. Nos deux personnalités se complètent bien ! Nous avons organisé la première manifestation au Québec et plusieurs autres actions à Montréal, ce qui a entraîné aussi une vague d’actions à travers le Québec.
G.B. — Comment fonctionne-t-il ? Qui en fait partie ?
M.M.-D et W.L. — C’est un mouvement un peu déstructuré car il n’a pas de membres comme tels. Au début, il y avait des gens du mouvement Occupy et des gens du mouvement étudiant qui se sont offerts pour aider. Les gens participent spontanément à certaines assemblées pour organiser des événements, et il y a beaucoup de discussions dans les médias sociaux. Le nom francophone « Fini l’inertie », par exemple, a été choisi à la suite d’une consultation et d’un vote sur Facebook ! Du point de vue logistique, on est soutenus par le Cercle des Premières Nations de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et par l’association Femmes autochtones du Québec, dont le bureau est à Kahnawake, et INM est basé à Montréal. Ce sont des partenaires très importants. Mais il n’y aaucun budget de fonctionnement.
G.B. — Quelles sortes d’actions organisez-vous ?
M.M.-D et W.L. — Il y a plusieurs sortes d’événements. D’abord, il y a des appels à l’action qui proviennent du comité national d’INM. Les communications vont du local au national et du national au local via les médias sociaux. C’est un peu comme si on enlevait les lignes imaginaires de séparation entre les provinces… et qu’on réunifiait la Grande Tortue ! On transfère les informations à travers le Québec pour encourager les gens à organiser un événement, et on essaie d’organiser un événement à Montréal. Un exemple récent est l’appel à l’action lors de l’anniversaire de la Proclamation royale, en octobre dernier. Nous prenons aussi quelquefois des positions par communiqué, en fonction de l’actualité. Par exemple : notre prise de position contre le projet de Charte des valeurs québécoises du gouvernement Marois. Même si ce projet de loi ne nous touche pas directement, ce n’est pas parce qu’on est autochtone qu’on ne peut pas avoir notre opinion sur des sujets d’actualité du Québec ! Les valeurs québécoises doivent tenir compte aussi des valeurs autochtones. Troisièmement, INM est aussi un grand « cri de rassemblement » qui permet à tout groupe ou organisme autochtone de démontrer leur solidarité à travers le Québec et le Canada. Les gens n’ont surtout pas besoin de notre permission pour organiser des événements ! Par exemple, lorsque le Centre d’amitié autochtone deVal-d’Or a organisé sa grande marche annuelle Gabriel-Commanda contre le racisme le 21 mars 2013, ils se sont définis « Idle No More ». Finalement, il y a nos participations et prises de parole dans les débats et tables rondes de différents rassemblements, réunions ou colloques. On a reçu beaucoup d’invitations : Alternatives, Équiterre, Greenpeace, la Fédération des femmes du Québec, l’ASSÉ, le Conseil des Canadiens, Amnistie, et plusieurs autres.
G.B. — Quelles sont vos impressions concernant la mobilisation autochtone en général ?
M.M.D. — Il faut faire attention à la généralisation et au « classement » politique. Les pensées sont présentes tout autour de la Roue de médecine…et elles ne sont pas nécessairement linéaires. En tant qu’autochtones, on est souvent associés à la gauche. C’est vrai qu’on est plus pauvres que la moyenne canadienne ! Mais il y a aussi des autochtones plus individualistes, comme dans toute autre société. Idle No More nous permet devoir toute la profondeur et la diversité de la pensée autochtone. W.L. — Bien sûr, tous sont d’accord qu’il faut améliorer les conditions de vie des Premières Nations et qu’il faut être reconnus. Mais on n’est pas nécessairement d’accord sur les moyens. C’est un débat en soi. Le gouvernement Harper répond à cette quête légitime d’individualité et d’identité en nous offrant la possibilité de devenir« propriétaires » de nos terres dans les réserves… alors que cela va à l’encontre de notre mode de vie collectif communautaire traditionnel. Il y a des divisions. Les gens voudraient qu’on soit un “front commun” maison n’est pas un bloc monolithique ; c’est la même chose que dans la société en général. Par contre, cette division est utilisée contre nous par les gouvernements. Pensons aux negociations “à la pièce” du gouvernement Charest avec les communautés innues.
G.B. — Quel est l’impact d’INM dans le monde autochtone, selon vous ?
M.M.-D et W.L. — Certains chefs nous appuient et marchent fièrement avec nous. D’autres chefs sont mal à l’aise car il y a une certaine remise en question de leur leadership sur la place publique, ce qui n’est pas courant dans toutes les cultures politiques autochtones. Pour ce qui est de la population autochtone de base, j’ai remarqué que le mouvement ravive la solidarité et le sentiment de fierté. Le mouvement permet aussi de donner une voix à des jeunes et des femmes autochtones qui ne se sentent pas toujours écoutés ou representés dans les systèmes politiques actuels.
G.B. — Et dans les autres gouvernements ?
M.M.-D et W.L. — Au fédéral, depuis que Harper est au pouvoir, il y a une très mauvaise relation avec les Autochtones. La mobilisation pancanadienne INM a allumé un reflecteur médiatique international sur les injustices causées par ce gouvernement. Sur le plan provincial, d’un autre cote, INM/Fini l’inertie a été invité à participer à la réunion de préparation pour le Plan d’action contre la discrimination envers les autochtones et ce, même si on n’est pas un mouvement enregistré et qu’on est plutôt non traditionnel. Le gouvernement provincial a plus d’ouverture que le gouvernement fédéral. Au fédéral, il n’y a aucun dialogue.
G.B. — Parlez-nous des moments forts de vos activités de ces derniers mois.
M.M.-D et W.L. — Le 21 décembre2012, lors de notre premier événement, il ne faisait pas beau. On s’est dit : “ s’il y a dix personnes, ce sera un succes”. On était 400 ! Le 11 janvier, on avait convie les gens a une “Flash mob/Danse traditionnelle [3] “…mais comme il y avait plus de1000 personnes, c’est devenu une marche spontanée. C’est énergisant ! Dans les marches, il y avait plusieurs personnes des Premièeres Nations, on a fini par se reconnaître les uns les autres, on s’est rapprochés, il y a des liens qui se sont créés. Cela a favorisé un sentiment de fierté et stimulé l’implication des jeunes. Un jour, une jeune femme nous a confié qu’INMl’ avait encouragée à retourner aux études pour pouvoir aider sa communauté. On était vraiment émues. Les appuis des organismes allochtones sont importants aussi. Le 16 novembre, quand les membres de l’assemblée générale de l’organisme Alternatives ont décidé d’arrêter leur assemblée générale pour venir nous appuyer à Oka [4], c’etait un moment fort !
M.M.D. — Je sens que je fais la bonne lutte, que je suis à la bonne place, au bon moment, même si c’est très épuisant et pas payant ! La récompense, c’est l’avancement de la cause qui te la donne. Le 26 octobre, j’ai assisté à la conférence du philosophe Noam Chomsky, le “pape de la gauche” et il y a eu un échange avec le public à la fin. La dernière question retenue par l’animateur de la soirée, le sociologue Eric Pineault, était la mienne “Que pensez-vous de l’impact que les Premières Nations ont eu sur la politique fédérale ?” La question et la réponse ont été “twittées” plusieurs fois. Nous étions très fières.
W.L. — C’est grisant ! Mais on fait bien attention à ne pas être aveuglées par notre propre vérité, à ne pas tomber dans le pièege du narcissisme, ce qui peut arriver quand on obtient une certaine célébrité momentanée.
G.B. — Pour terminer, quels sont vos souhaits pour l’avenir ?
W.L. — En ce moment on créé beaucoup d’alliances circonstancielles autour de différents sujets, par exemple : les sables bitumineux, les femmes. J’aimerais que ça aille au-delà de ça, qu’on établisse des meilleures relations de façon plus permanente, dans un esprit de collaboration entre les peuples.
M.M.D. — Si on avait eu les moyens et les participants de la grève étudiante, cela aurait été fantastique ! Mais la réalité c’est qu’on ne peut pas être en mobilisation 24 heures sur 24. Mon souhait serait que “l’esprit INM “ passe de la rue à la “conscience collective canadienne”, et ce, même si l’expression Idle No More n’est plus utilisée. Un peu comme l’impact permanent créé par la crise d’Oka pour la reconnaissance des droits des Premières Nations. Que le point de vue autochtone soit reconnu au même niveau que celui de la société dominante. Bref, de nation a nation.
[25 novembre 2013]