22 avril 2021 | tiré du site alencontre.org
https://www.contretemps.eu/hongrie-orban-economie-inegalites-neoliberalisme/
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Le 10 décembre 2020, Gladden Pappin, professeur de théorie politique à l’université catholique de Dallas, atweeté sur sa rencontre avec la Ministre hongroise des familles, Katalin Novák. Le tweet de Pappin faisait l’éloge des politiques familiales hongroises, qui visent à inverser le déclin démographique dans un pays où le taux de natalité est parmi les plus bas d’Europe. La Ministre Novák est également vice-présidente du parti Fidesz du premier ministre Viktor Orbán. L’enthousiasme de Pappin peut sembler inhabituel à première vue. Après tout, au cours de ses trois mandats consécutifs depuis 2010, M. Orbán a plus souvent fait la Une des journaux en plaçant le petit pays postsocialiste au premier rang de la droite radicale mondiale qu’en raison de sa politique économique.
La même semaine, le Texas Monthly a publié un article sur Pappin, le décrivant comme un partisan de la refonte du Parti républicain pour qu’il soit plus conciliant avec les revendications de la classe ouvrière et les dépenses publiques. En dehors des salles de classe, Pappin est également le rédacteur en chef adjoint d’American Affairs, un journal connu pour son appel à la droite étatsunienne à prendre un virage « populiste économique » avec plus de politique industrielle, de protection des employés et une augmentation des impôts.
Pappin n’est pas le seul rédacteur d’American Affairs à avoir récemment exprimé sa fascination pour la Hongrie d’Orbán. Au moment de sa visite dans ce pays, le rédacteur en chef Julius Krein a participé à une table ronde organisée par le Mathias Corvinus Collegium de Budapest, un établissement d’enseignement et un groupe de réflexion financé par le gouvernement. Dans son intervention, Krein a félicité la droite hongroise de ne pas s’être laissée séduire par le libertarisme reaganien, à ses yeux le plus grand obstacle à l’introduction de « politiques économiques populistes » sous Donald Trump.
Pappin n’a pas non plus été le premier éminent « conservateur social » autoproclamé à faire l’éloge de la politique familiale d’Orbán : en 2019, Tucker Carlson a évoqué de généreux dispositifs de soutien aux familles mis en place en Hongrie pour inciter les couples mariés à avoir des enfants. Patrick Deneen, théoricien politique conservateur et auteur de l’ouvrage très lu Why Liberalism Failed, a exprimé des vues similaires après une rencontre privée avec M. Orbán lors de sa visite à Budapest en 2019.
Pourtant, alors qu’ils louent la Hongrie comme un pays conservateur qui se soucie encore des citoyens ordinaires, le régime d’Orbán contredit leurs affirmations sur des questions clés. Les nouveaux programmes d’aide aux familles, qui sont la signature des politiques sociales de l’ère Orbán, sont délibérément conçus pour exclure les familles à faible revenu. Pour ce faire, la plupart des aides aux familles avec enfants ne sont accessibles que sous la forme d’avantages fiscaux et de prêts commerciaux et hypothécaires subventionnés par l’État. Ces produits financiers ne sont disponibles que par l’intermédiaire de banques commerciales qui appliquent les critères habituels de solvabilité, excluant les bas salaires.
En réalité, les prêts hypothécaires ne peuvent être utilisés que pour acheter des maisons d’une taille hors de portée de la plupart des familles dans le besoin. En attendant, le montant de l’allocation familiale universelle en espèces est resté inchangé depuis 2008. Ces mesures ont clairement désavantagé les travailleurs pauvres et les chômeurs, y compris l’écrasante majorité des Roms, qui représentent environ 8 % de la population hongroise.
Ces politiques contrastent fortement avec la Loi sur la Sécurité Familiale récemment proposée par Mitt Romney [sénateur républicain ultra-conservateur mais opposé à Trump], qui promet des paiements mensuels directs universels et qui bénéficierait aux familles indépendamment de leur situation professionnelle. Néanmoins, dans son articlerécemment publié dans le New York Post, Gladden Pappin continue de plaider en faveur de ce projet de loi en faisant référence aux politiques familiales hongroises.
Cette admiration persistante semble d’autant plus étrange si l’on considère qu’il n’aurait pas eu à chercher trop loin de la Hongrie pour trouver un pays où les aides à l’enfance sont également accessibles aux familles à faibles revenus. En 2016, la formation populiste de la droite polonaise, le Parti de la loi et de la justice (PiS) – un proche allié d’Orbán, a introduit un nouveau régime universel d’allocations familiales qui a permis de réduire la pauvreté des enfants.
Pappin, Krein, Deneen et Carlson illustrent l’intérêt croissant que porte depuis peu un groupe particulier de conservateurs américains à la Hongrie d’Orbán. Ces hommes font partie des « post-libéraux », un vague mouvement intellectuel et politique allant du chroniqueur Rod Dreher aux membres du Congrès Josh Hawley et Marco Rubio. Ce qui les réunit en fin de compte, c’est leur position critique à l’égard de la « politique identitaire libérale » (liberal identity politic) et de l’orthodoxie libre-échangiste des républicains de l’establishment, une approche présentée comme un rejet du libéralisme tant sur le plan culturel qu’économique.
Alors que beaucoup de ces personnalités ont salué le « populisme économique » de Steve Bannon, les réductions d’impôts sur les sociétés poursuivies par la présidence Trump et le manque d’engagement concret envers les préoccupations économiques de la classe ouvrière ont déçus. Pour eux, la Hongrie peut apparaître comme l’utopie post-libérale : la répression tant vantée d’Orbán contre le « politiquement correct », ses politiques d’immigration strictes et ses attaques contre la laïcité et les droits des minorités ont été combinées avec ce qui, de l’autre côté de l’Atlantique, pourrait sembler être un programme économique en direction des classes populaires et orienté à gauche.
Il est permis de penser que tous les républicains « sociaux » n’ont pas une opinion favorable d’Orbán : des figures clés de ce courant, comme Michael Lind et Oren Cass, se sont jusqu’à présent totalement abstenus de faire publiquement l’éloge d’Orbán. Alors que Marco Rubio a signé une lettre publique exprimant son inquiétude quant à l’état de la démocratie hongroise, selon les médias hongrois, les directeurs de campagne de Fidesz ont été autorisés à avoir un aperçu de sa campagne sénatoriale de 2016 lors de leur visite sur le terrain.
Cette vision favorable d’Orbán est cependant tout sauf un reflet exact de la réalité politique hongroise, où la logique d’exclusion qui sous-tend les politiques familiales n’est pas un bug mais une caractéristique du programme économique du gouvernement. Le soutien généreux apporté aux oligarques nationaux, au nom du renforcement de la propriété nationale dans des secteurs stratégiques, rend la politique économique des « Orbanomics » plus interventionniste que ne le prescrirait la politique reaganienne conventionnelle. Mais elle est restée pour l’essentiel attachée au credo économique néolibéral. Pourtant, alors que le bilan lamentable du régime en matière d’État de droit, de liberté des médias et de corruption a été largement discuté dans la presse américaine, le mythe de son économie anti-néolibérale a persisté.
La réalité des Orbanomics
Après la transition vers l’économie de marché, l’orthodoxie économique à la façon d’un manuel a régné en maître dans le bloc de l’Est. La coalition sociale-démocrate et libérale qui a gouverné la Hongrie avant 2010 a adopté sans réserve le fondamentalisme du marché : le premier ministre de l’époque, Ferenc Gyurcsány, a même été qualifié de Tony Blairhongrois. La comparaison a étonnamment bien résisté à l’épreuve du temps, dans la mesure où tant le New Labour que le Parti socialiste hongrois réformateur ont réussi à aliéner leurs électeurs de la classe ouvrière pendant des décennies.
Par rapport à eux, l’accent mis par Orbán sur la souveraineté économique et sa critique acharnée du FMI et du capital international pourraient être confondus avec un rejet du néolibéralisme. Son gouvernement a introduit une réglementation financière stricte et a réussi à réduire la vulnérabilité financière en restructurant la dette publique, de sorte qu’elle est aujourd’hui principalement détenue en monnaie nationale plutôt qu’en devises étrangères. Les membres du gouvernement eux-mêmes ont également flirté avec l’idée d’une politique économique étatiste de gauche : en 2012, György Matolcsy, alors ministre des finances et actuel gouverneur de la Banque centrale, a qualifié la politique économique hongroise de « keynésienne », tandis que le secrétaire d’État à la stratégie économique, László György, parle souvent de la Hongrie comme d’un État interventionniste [agissant en faveur du développement].
Cette image a également dominé la réception des politiques économiques hongroises par les post-libéraux américains : dans le portrait de Christopher Caldwell publié dans Claremont Review en 2019, Orbán est dépeint comme un commandant féroce, aidé par des politiques économiques radicales qui lutte avec succès contre la volonté des investisseurs internationaux et des bureaucrates non élus.
Toutefois, les modèles politiques d’Orbán permettent de caractériser de manière plus réaliste sa politique économique. Alors que son prédécesseur était un fan de Blair, les véritables sympathies d’Orbán vont à Margaret Thatcher. Il a été l’un des rares chefs d’État étrangers hors du Commonwealth à assister à ses funérailles en 2013 et il cite encore fréquemment la « Dame de fer » dans ses discours. Son gouvernement finance également généreusement fournit également un financement généreux l’Institut du Danube, un groupe de réflexion néoconservateur basé à Budapest, dirigé par nul autre que l’ancien rédacteur des discours de Thatcher, John O’Sullivan. La notion de thatchérisme a été utilisée par des personnes comme l’anthropologue social Kristóf Szombati pour expliquer le régime néolibéral de politique sociale d’Orbán, officiellement appelé « société de travail » :
« Orbán a adopté le point de vue de Thatcher selon lequel le meilleur moyen de revigorer une économie en difficulté, outre l’application de restrictions budgétaires, est de libérer le pouvoir créatif de l’entreprise privée en réduisant les impôts et en encourageant l’investissement productif et d’extraire le maximum de main-d’œuvre de la population active en réduisant drastiquement les allocations de chômage, en stigmatisant et en punissant l’oisiveté, et en récompensant ceux qui acceptent un travail dans les secteurs faiblement rémunérés de l’économie ».
Au nom de la restauration de la « dignité du travail » et de la répression des « parasites de l’aide sociale », une des premières mesures de politique sociale du gouvernement Fidesz a réduit la période de perception des allocations de chômage à trois mois, la plus courte de l’Union européenne. L’éligibilité n’a pas non plus été étendue en réponse au choc de la COVID-19. De plus, la nouvelle constitution adoptée par la super-majorité parlementaire du Fidesz en 2011 a omis les références précédentes aux droits sociaux. Il n’est donc pas surprenant que, malgré sa popularité auprès des post-libéraux, les idoles américaines d’Orbán ne soient pas issues de leurs rangs. Au contraire, sous son mandat des statues de Ronald Reagan et de George Bush père ont été érigées sur une place centrale de Budapest.
À certains égards, la politique économique hongroise depuis 2010 a suivi la recette de l’orthodoxie reaganienne beaucoup plus fidèlement qu’elle ne l’a fait au cours de la décennie précédente. Fidesz a introduit un impôt sur le revenu à taux unique (flat income tax) (y compris une taxe sur le salaire minimum) et le taux d’imposition effectif le plus bas d’Europe pour les multinationales, qui bénéficient également de généreux avantages fiscaux spéciaux. En conséquence, plusieurs grands fabricants allemands ont bénéficié en Hongrie de subventions de l’État bien plus importantes, par travailleur, que dans leur propre pays, ce qui contredit les attaques rhétoriques féroces d’Orbán contre le capital international.
Bien que le régime d’Orbán ait vivement critiqué les mesures d’austérité des sociaux-démocrates précédents, depuis 2010, ses propres réductions d’impôts et sa « prudence » fiscale ont en pratique maintenu une politique d’ austérité. Alors que les post-libéraux ont simultanément loué Orbán et poussé les républicains à adopter les dépenses publiques, la part des dépenses sociales et éducatives dans le PIB a diminué en Hongrie depuis 2010. Alors que la propagande du gouvernement ne parle que de succès, la croissance globale des salaires corrigés de l’inflation au cours des dix dernières années n’a pas été particulièrement impressionnante en comparaison régionale et européenne, tandis que les salaires du secteur public ont perdu une grande partie de leur valeur réelle.
Selon l’économiste politique Gábor Scheiring, cela équivaut à rien de moins qu’à un système pervers de protection sociale pour les riches :
« Le gouvernement a non seulement sabré dans les dépenses sociales, mais il l’a fait de manière très inégale, en redistribuant les ressources aux personnes à haut revenu. Entre 2009 et 2017, la composante sociale des revenus individuels, par exemple, les prestations, les pensions, les allocations, a diminué de façon spectaculaire pour les déciles de revenus inférieurs et a augmenté considérablement pour les déciles de revenus supérieurs. »
En effet, malgré les affirmations de Krein, rédacteur en chef d’American Affairs, la Hongrie n’est pas un grand exemple d’État fort. Au contraire, comme l’a fait remarquer, entre autres, le critique social marxiste Gáspár Miklós Tamás, le Fidesz a déconstruit la capacité administrative du pays, tandis que la détérioration de la qualité des prestations publiques a poussé la classe moyenne à opter de plus en plus pour des services privés, en particulier pour les soins de santé et l’éducation.
Dans Why Liberalism Failed, Deneen s’inspire largement du théoricien socialiste Karl Polanyi pour déplorer la destruction des liens sociaux par les forces du marché débridées. Mais les relations de travail sous Orbán contrastent fortement avec les visions des conservateurs américains « sociaux ». Outre les réductions d’impôts, le régime d’accumulation depuis 2010 a été construit sur la restriction des salaires et la répression de l’auto-organisation des travailleurs. Le nouveau code du travail adopté en 2012 a vidé de leur substance les institutions de la négociation salariale tripartite, a proscrit les grèves dans le secteur public et est globalement considéré comme l’un des plus favorables aux employeurs en Europe.
En 2019, le Parlement a également adopté la tristement célèbre « loi sur l’esclavage », qui garantit l’autorité des employeurs sur l’attribution des heures supplémentaires et des congés. En réaction, le pays a connu une grosse vague de protestation de la part des syndicats. Il n’est pas surprenant que la Hongrie soit à la traîne par rapport à presque tous les membres de l’UE en termes de droits du travail : selon l’indice CSI des droits dans le monde 2020 publié par la Confédération internationale des syndicats, les droits des travailleurs en Hongrie sont régulièrement violés, ce qui place le pays dans le même groupe que l’Afrique du Sud et la Russie.
En conséquence de ces politiques, au cours des onze dernières années du gouvernement Orbán, la Hongrie a vu l’inégalité des revenus monter en flèche alors même qu’elle diminuait dans les pays voisins. Si le niveau absolu d’inégalité n’atteint pas encore celui du monde anglophone, il est préoccupant de constater que la Hongrie a le plus faible niveau de mobilité sociale de tous les pays développés : selon une étude de l’OCDE de 2018, il faudrait actuellement sept (!) générations à une famille à faible revenu pour atteindre le niveau de revenu moyen.
Les responsables gouvernementaux expliquent généralement les fréquentes interventions en faveur de leurs copains comme des tentatives pour atteindre la « souveraineté économique », en mettant l’accent sur la nécessité de maintenir des secteurs stratégiques comme les banques et l’énergie dans la propriété nationale et sur l’objectif de créer des entreprises hongroises compétitives au niveau mondial. Bien que cet argument puisse séduire les post-libéraux qui exigent une politique industrielle à grande échelle, plus d’une décennie de politique de développement sous l’égide du Fidesz n’a produit aucune réussite comparable à celles de pays comme la Corée du Sud. Malgré les affirmations selon lesquelles la Hongrie est en train de créer un nouvel État interventionniste – et l’allusion d’Orbán au succès de Singapour dans son tristement célèbre discours de 2014 sur la démocratie illibérale – rien ne prouve que la Hongrie a progressé dans les GVC, (chaines de valeurs mondiales).
Entre-temps, les chasseurs de rente proches du pouvoir ont amassé d’énormes fortunes dans des secteurs à faible valeur ajoutée comme la construction et l’agriculture, qui se trouvent également être ceux qui reçoivent le plus d’investissements et de subventions des fonds européens. Bien que la Hongrie ait connu des taux de croissance élevés ces dernières années, elle est à la traîne par rapport à la plupart des économies régionales présentant un profil similaire. Dans l’ensemble, les promesses de la politique industrielle sont vidées de leur substance par le fait que les petites et moyennes entreprises nationales sont soumises à des taux d’imposition effectifs plus élevés que les multinationales. Le désinvestissement dans la formation du capital humain en général, et dans l’éducation en particulier, n’est pas non plus la manière habituelle de créer un avantage comparatif.
Le pèlerinage à Budapest
À l’heure où les experts du monde entier ont annoncé la fin du néolibéralisme en réponse aux efforts sans précédent déployer pour atténuer la crise COVID-19, la Hongrie illibérale devrait servir de mise en garde. Comme le montre la dernière décennie du pays, l’orthodoxie du marché libre et les dispositions punitives en matière de protection sociale peuvent être rapidement combinées à des interventions économiques ciblées sans pour autant céder la place à un régime politique keynésien et militant qui viserait principalement à accroître le niveau de vie des travailleurs. Malgré quelques gestes rhétoriques, le Fidesz n’est pas l’ami des travailleurs hongrois et sa quête de « souveraineté économique » se résume essentiellement à des tentatives de subventionner les oligarques locaux.
Les apologistes d’Orbán n’ont pas tort lorsqu’ils affirment que son électorat principal est composé de personnes en situation d’insécurité économique. Selon une étude récente, le soutien au Fidesz est inversement proportionnel au revenu, les classes défavorisées ont une opinion plus favorable du parti. Cependant, tout comme dans l’Amérique de Trump, ces électeurs affichent leur soutien à un gouvernement dont ils ont reçu peu d’avantages matériels. Comme le dit Gábor Scheiring, en Hongrie, « les pratiques autoritaires sont utilisées pour favoriser l’enrichissement de l’élite, tandis que les discours populistes autoritaires sont utilisés pour rendre la redistribution des ressources de la base vers le sommet plus acceptable pour les masses ».
Hormis Boris Johnson et Benjamin Netanyahou, peu de politiciens actuellement en fonction ont reçu plus d’applaudissements de la droite américaine que Viktor Orbán. Cependant, à la lumière des politiques réelles du régime, l’amour des post-libéraux pour Orbán n’est qu’un vœu pieux. Ce n’est pas par hasard qu’Orbán a endossé le rôle de véritable héritier de Reagan lors de la conférence du National Conservatism à Rome en février 2020. Pour lui et ses alliés, l’approbation d’éminents conservateurs américains ayant des sympathies « pro-travailleurs » contribue à blanchir leur image. Mais lorsque les enjeux sont élevés, ils auront toujours des affinités avec les républicains des grandes entreprises et les conservateurs de la vieille école. Les post-libéraux peuvent critiquer le soutien hypocrite des marxistes occidentaux aux régimes répressifs de l’ancien bloc de l’Est. Mais leur incapacité à reconnaître les réalités des Orbanomics les condamne à un sort similaire.
Cependant, certains apologistes américains d’Orbán ne font peut-être pas le pèlerinage à Budapest par naïveté, mais parce que le véritable attrait du régime réside dans son conservatisme culturel et non dans les mesures économiques « pro-travailleurs » qu’ils saluent tant. En cela, ils ne seraient pas si différents de Steve Bannon : malgré son image soigneusement cultivée de « populiste économique » exemplaire de la droite américaine, il ne s’est pas soucié de faire trop d’efforts pour mettre ses idées en pratique une fois arrivé à la Maison Blanche. Comme l’a dit Joshua Green, « il a essayé pendant quelques jours seulement d’obtenir un soutien interne en faveur d’une augmentations des impôts des multimillionnaires », consacrant plutôt son énergie à mobiliser le sentiment anti-immigrant et à construire le mur à la frontière mexicaine.
Des partisans d’Orbán plus réfléchis, comme Sohrab Ahmari du New York Post, ont reconnu à juste titre que les politiques sociales et économiques hongroises « ne rendent pas le pays populaire auprès des progressistes », tandis que d’autres, comme Rod Dreher, ont toujours souligné l’engagement d’Orbán envers les valeurs chrétiennes. En effet, avec des mesures allant de la construction d’un mur à la frontière à la suppression des départements d’études sur le genre et à l’interdiction de l’adoption par des couples de même sexe, Orbán s’est livré bien plus à une guerre culturelle qu’à des changements économiques. La sincérité de l’adhésion des conservateurs post-libéraux à une économie solidaire a déjà été mise en doute. Aujourd’hui, leur attitude envers la Hongrie d’Orbán est un test de leurs véritables engagements.
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Marton Vegh est un étudiant en master de sciences politiques à l’Université d’Europe centrale de Vienne. Il est originaire de Budapest.
Traduit par Christian Dubucq.
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