10 octobre 2020| tiré du site A l’encontre
Aube dorée, un gang paramilitaire nazi qui se livrait à des activités criminelles violentes depuis les années 1980 et le début des années 1990, a connu une ascension inquiétante après 2010. Il est entré au Parlement grec [en mai 2012, il obtient 7% des suffrages et 21 sièges ; en septembre 2015, 7% des suffrages et 18 sièges ; en juillet 2019 il obtient 2,93% des suffrages et aucun siège]. Il a tenté de terroriser les immigrants, les militant·e·s, les anarchistes, les LGBTQ, etc. ; accompagnant ses actions avec un discours islamophobe, antisémite, négationniste, homophobe, etc.
Dans le contexte international d’une montée des partis d’extrême droite ou des « populistes de droite » qui « jouent selon les règles » (plus exactement le prétendent) des régimes dits libéraux, le monde a assisté en Grèce à la montée plutôt unique d’une force qui bénéficiait d’une représentation parlementaire et d’un appui de masse, cela combiné avec une idéologie ouvertement fasciste et un « squadrismo » (escadrons fascistes) criminel et violent dans les rues.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Lors des élections du 7 juillet 2019, ils ont finalement été expulsés du Parlement (n’ayant pas réussi à franchir le seuil des 3%). Pendant les cinq années qu’a duré le procès, Aube dorée a connu une série de scissions, de crises politiques et de désintégration organisationnelle. Le jugement du tribunal a porté un coup de grâce suite à une décision historique. Cela bouche les perspectives d’une « renaissance ».
Le verdict du 7 octobre a rendu justice et a donné raison à la famille
Justice a été rendue pour Pavlos Fyssas (34 ans), alias Killah-P : le rappeur antifasciste qui s’est opposé à un « escadron » nazi afin de protéger ses amis et qui a été brutalement assassiné (poignardé) le 18 septembre 2013. A l’époque, Aube dorée était en pleine expansion. La résistance de Pavlos Fyssas et son assassinat ont changé la donne et ont ouvert la voie à la chute d’Aube dorée. Un extrait d’une de ses chansons qui, en gros peut se traduire, ainsi « Il n’y a pas moyen que j’aie peur », est devenu un slogan, un autocollant, un hashtag. « Pavlos vit ! » est devenu un cri de guerre pour le mouvement antifasciste et des milliers de jeunes (et pas seulement).
La mère de Pavlos, Magda Fyssas, est devenue une figure tragique, une héroïne singulière et un symbole antifasciste qui a suscité un espoir grâce à son admirable persévérance, sa résilience et sa combativité dans la poursuite de la justice au cours de ces sept dernières années – depuis le meurtre de son fils. Un jour elle a déclaré : « J’ai perdu un enfant, mais j’en ai retrouvé des milliers d’autres. » Cette femme bien-aimée est connue comme « la mère de nous tous ».
Parmi les 43 personnes condamnées pour « appartenance » à une telle organisation se trouvent les deux meurtriers du jeune Pakistanais Sahzat Luckman. Il se rendait simplement à vélo à son travail, le 17 janvier 2013, lorsqu’il a été brutalement assassiné par deux membres d’Aube dorée. Il avait la peau sombre et n’était pas grec, donc – tragiquement– son meurtre n’a pas provoqué la même condamnation publique générale.
Le père de Sahzat Luckman, Hadim Hussein, a voyagé du Pakistan à la Grèce pour demander justice pour son fils. Une figure imposante et très respectée durant le procès. Il fut toujours présent au tribunal (bien que « l’affaire » de son fils ait été jugée séparément dans le passé), au côté de Magda Fyssas, lors des protestations antifascistes. Il garda un silence assourdissant jusqu’à ce qu’il murmure le 7 octobre : « Nous avons gagné. »
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Ce verdict résonne pour toutes les victimes – et leurs proches – de la violence néonazie au cours des 30 dernières années. Mais aussi pour tous ceux et celles d’entre nous qui ont participé à la lutte contre le fascisme pendant toutes ces années. Les « vétérans » qui ont consacré leur temps et leur énergie à affronter Aube dorée depuis le début des années 1990. Ainsi que les générations suivantes de militant·e·s qui, depuis lors, ont fait le choix de ne pas tolérer le fascisme et se sont opposées à cette force criminelle pendant toute cette période. Ils l’ont fait dans les rues, dans leurs écoles, dans leurs quartiers, sur leurs lieux de travail. Chacun d’entre eux, en plaçant une petite pierre à la construction du mur qui, aujourd’hui, a arrêté les nazis.
Il convient également de noter le rôle des avocats militants qui ont conjointement formé l’« Action civile » pendant le procès. Ils ont mené une dure bataille juridique au cours des cinq dernières années. Il en va de même pour les courageux témoins qui ont défié les menaces ouvertes ou les conseils « amicaux » de « s’occuper de leurs affaires ». Ils se sont présentés volontairement pour témoigner. Il convient également de mentionner les réseaux de journalistes libres qui ont couvert le procès alors que les médias de masse gardaient le silence à ce sujet. Leur engagement et leurs efforts ont été étonnants. Or, le résultat n’était pas acquis d’avance. Le procureur avait suggéré l’acquittement de tous les chefs d’accusation pour les membres et dirigeants d’Aube dorée. Cela relevait d’une dernière tentative des secteurs de ce qu’on appelle « l’État profond » pour sauver leurs voyous et d’un dernier rappel qu’aucune confiance ne peut être placée dans « le système judiciaire » pour qu’il fasse le travail tout seul. Comme l’ont admis les défendeurs des nazis devant le tribunal, « sans les avocats de l’Action civile, vous n’auriez pas eu ce verdict ».
Ces avocats ont tous fait leur tâche dans les salles d’audience, tandis que le reste d’entre nous a fait la nôtre dans les rues. Nous n’oublierons jamais la révolte antifasciste massive lorsque des milliers de personnes (et pas seulement les « suspects habituels » de l’activité antifasciste) ont protesté devant les locaux d’Aube dorée, dans toute la Grèce, lorsque la nouvelle du meurtre de Pavlos Fyssas a été diffusée. Cette mobilisation a joué un grand rôle pour « forcer la main » de l’État à porter plainte contre les nazis, après des années et des années de protection.
Mais le 7 octobre, le pouvoir judiciaire a reconnu officiellement ce que le mouvement antifasciste criait depuis des années : « Ce sont des criminels ! »
Tous les dirigeants d’Aube dorée ont été reconnus coupables d’être membres d’une « organisation criminelle ». Nikos Michaloliakos, le « Führer » de longue date du groupe, et tous ses hommes de main de haut rang ont été reconnus coupables de diriger une « organisation criminelle ». L’« escadron » de Nikaïa, dans la banlieue d’Athènes (le plus connu depuis des années) a été reconnu coupable du meurtre de Pavlos Fyssas (sauf deux de ses membres). Les salauds qui ont attaqué les pêcheurs égyptiens en 2012 ont tous été reconnus coupables de tentative de meurtre [« Justice a été rendue », a déclaré Kostas Papadakis, avocat des pêcheurs égyptiens]. Les voyous qui ont attaqué des syndicalistes du Parti communiste alors qu’ils posaient des affiches dans une zone « contestée » ont été reconnus coupables (mais seulement pour avoir infligé des blessures graves et non pour avoir tenté d’assassiner). Le verdict ne paralyse pas seulement Aube dorée et son « Führer », mais aussi les perspectives politiques de ses différentes scissions, toutes récemment fondées par les anciens sbires de Nikos Michaloliakos [l’ancien porte-parole d’Aube dorée, Ilias Kassidiaris, condamné, avait déjà créé un autre parti], lorsque chacun d’entre eux a tenté de sauter du navire en perdition comme les rats qu’ils sont. « Tous coupables ! » [L’eurodéputé Yiannis Lagos, a quitté Aube dorée en 2019.]
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En dehors des salles d’audience, dès le petit matin, ceux qui croient en la solidarité, ceux qui croient en l’antifascisme avaient fait savoir plus qu’il n’était clair que le peuple avait déjà décidé avant les juges. Ils ont massivement manifesté leur verdict : « Le peuple exige de mettre les nazis en prison pour leurs crimes ! » C’était la plus grande manifestation antifasciste que la plupart d’entre nous ayons jamais connue. C’était l’une des plus grandes manifestations de ces dernières années en général. Pour une fois, toutes les forces de la gauche se sont rassemblées et se sont tenues côte à côte. Syndicats, écoles, universités, organisations de la gauche radicale, groupes anarchistes, collectifs féministes, artistes, fans de football, tous ont appelé à la manifestation et des dizaines de milliers ont répondu. La police a annoncé 20’000 manifestants : c’est une sous-estimation grossière. Une rivière antifasciste humaine a rempli la longue avenue Alexandras et s’est déversée dans les rues et les ruelles environnantes. Il était difficile de faire un seul pas à cause de la densité de la foule !
L’ampleur, la passion et la vitalité de la manifestation ont évoqué les souvenirs des moments les plus inspirants et les plus édifiants de l’histoire récente de la résistance sociale en Grèce. Le tonnerre puissant des célébrations et des acclamations lors de l’annonce du verdict par mégaphone a été électrisant et palpitant. Ce fut notre cri collectif de vindicte et de joie.
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Pendant ce temps, le gouvernement a décidé de mettre en pratique son discours sur « l’existence de deux extrêmes, qui sont tout aussi dangereux ». Ce type de discours est promu depuis ces derniers jours par les membres du parti au pouvoir (Nouvelle Démocratie de Kyriakos Mitsotakis) – alors que le procès touchait à sa fin – afin d’assimiler la terreur nazie au militantisme de gauche.
Ainsi, au moment où la justice condamnait les criminels fascistes, la police a déclenché une attaque totalement non provoquée contre les dizaines de milliers d’antifascistes qui étaient rassemblés pour exiger la condamnation des criminels fascistes.
L’ampleur de la manifestation a rappelé à ceux qui gouvernent qu’il y a une force à prendre en compte. Elle a également rappelé à ceux et celles qui sont dirigés qu’ils sont puissants lorsqu’ils se mobilisent. Le gouvernement a donc essayé de « chasser » ce « démon », en tentant de terroriser les personnes qui sont descendues dans la rue et se sont senties en confiance. Le but était d’envoyer le message « ne vous faites pas d’illusions ».
Ainsi, quelques secondes après l’annonce du verdict, alors que les acclamations et les célébrations étaient encore en cours, des canons à eau ont commencé à viser avec leurs puissants jets la foule, puis la police antiémeute s’est mise à lancer des gaz lacrymogènes. La police antiémeute a été déployée très vite dans l’avenue Alexandras. Elle a attaqué les manifestants et – avec le soutien de quatre véhicules blindés équipés de canons à eau – elle les a poursuivis sur des centaines de mètres, loin du tribunal et dans les rues avoisinantes. Il était plus qu’évident qu’il y avait un plan et un ordre d’en haut pour « nettoyer les rues ».
Mais il était également plus qu’évident que les agents de police étaient plus que prêts à suivre ces ordres, faisant preuve d’un « zèle excessif » dans leurs tâches. Les policiers étaient évidemment déçus par la décision de la justice contre leurs amis nazis et fâchés de voir les manifestations antifascistes devant eux. L’opération policière contre les manifestants ressemblait plus à une « vengeance ». Mais les larmes causées par les gaz lacrymogènes sont bien fades en comparaison de nos larmes de joie d’aujourd’hui.
Laissons les médias grand public continuer à faire circuler les photos de quelques poubelles dispersées au milieu de la rue et de quelques déchets qui brûlent ici et là, après que des cocktails Molotov aient été lancés pendant la retraite des manifestants. Cela leur permet de clamer : « Protestataires violents ! »
Or, les photos qui résument bien la signification du 7 octobre sont les vues étonnantes de la mer de personnes manifestant contre les nazis. Elles circulent sur Internet. Comme les photos de Magda Fyssas, enfin récompensée, enfin vengée, levant les poings devant le tribunal et criant « Pavlos, tu l’as fait ! Tu as réussi, mon fils ! ».
Peu importent les efforts déployés pour tenter d’« effacer » notre journée de protestation, pour nous refuser le droit de célébrer notre victoire, des milliers et des milliers de manifestants se sont regroupés et ont défilé depuis le tribunal jusqu’à la place Syntagma, au centre d’Athènes, devant le Parlement grec.
Le procès comportera encore quelques épisodes à venir. La défense juridique des nazis présentera des « circonstances atténuantes » et une décision doit être prise sur les sanctions qui découlent du verdict. Nous devons exiger et faire pression pour que les peines soient les plus élevées possible et que tous les coupables soient punis de manière exemplaire pour leurs actes.
La lutte contre le fascisme, le racisme, l’intolérance ne s’arrête bien sûr pas là. Nous avons de nombreux combats à mener, tant que le système qui produit et bénéficie de ces turpitudes reste en place. Mais les personnes avec lesquelles nous pouvons mener ce combat étaient présentes aujourd’hui et elles ont déclaré qu’elles resteraient présentes. Le verdict contre les nazis a offert un grand souffle. Le mot « Victoire ! » qui circule dans la bouche de milliers de personnes est quelque chose de précieux et d’inestimable dans les moments difficiles que nous vivons. Mais l’autre grande respiration que nous avons prise aujourd’hui, ce sont les images des rues à l’extérieur de la salle d’audience, et aussi dans les rues de nombreuses villes et villages de toute la Grèce qui étaient remplies de manifestant·e·s, une démonstration de notre force collective.
Nous devrons déployer cette force sociale encore et encore, dans les luttes à venir. Nous savons que nous avons encore un long chemin à parcourir pour lutter contre toutes sortes d’injustices. Mais juste pour aujourd’hui, nous pouvons nous asseoir et sourire joyeusement. « Pavlos Fyssas : Presente ! » Nous avons fait notre part, mon frère. Et ils n’ont pas réussi. (Article reçu le 9 octobre 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre)
Panos Pétrou est rédacteur du bimensuel Ergatiki Aristera et membre de DEA.
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