Tiré du blogue de l’autrice.
Mercredi soir avait lieu le vernissage de l’exposition des œuvres de Hossein Hadjizadeh Siboni, artiste Iranien qui poursuit actuellement sa formation en France.
Le sujet de son travail (les prisonniers politiques iraniens) et la présence d’artistes et militants, au micro (la poétesse Mahtab Ghorbani, et des membres de l’association Homa) comme au bar, ont fourni de nombreuses occasions d’approfondir le questionnement sur l’art, l’oppression et la privation de liberté.
Je vous propose de prendre part à cette réflexion à travers un entretien accordé par l’artiste, et il est encore temps de faire un tour à l’exposition, ainsi que de lire et de partager les autres contenus que nous vous proposons sur la question des prisonniers politiques en Iran, et plus généralement, sur le combat du peuple iranien contre la dictature (par exemple ici, ici, et là, où encore là).
Sirine Alkonost : Ce projet semble vous accompagner depuis longtemps. Comment l’idée vous est elle venue ?
Hossein Hajizadeh Siboni : Oui, le projet des prisonniers politiques est une énorme partie de ma vie. Il trouve sans doute son origine dans ma propre histoire : celle d’un enfant qui est forcé de travailler, de vivre dans la rue, privé de ses droits les plus élémentaires.
Les enfants travailleurs, encore aujourd’hui, sont victimes de viols, torturés, persécutés, ils ne reçoivent ni soins ni éducation, s’endorment affamés, se réveillent effrayés, vivent dans la marge et meurent dans le silence
Des personnes comme Nargess Mohammadi, Atena Daemi, Nasrin Sotoudeh, ont voulu être leur voix, et se battre pour leurs droits, et à cause de cela, elles souffrent, sont torturées et enfermées dans les cellules d’isolement de la dictature, où elles meurent à petit feu.
S. A : Dans quelle mesure ces tableaux, au delà de l’hommage évident rendu aux prisonniers politiques, reflètent ils aussi votre propre rapport à la privation de liberté ?
H.H.S : J’aime la littérature, surtout la littérature française, la plus grande chance de ma vie, c’est sans doute quand, au plus fort de la misère, quand j’étais un enfant travailleur, j’ai trouvé un livre abandonné, au coin d’un immeuble en ruine.
C’était une traduction de "Émile, où l’éducation", par Jean-Jacques Rousseau. Après avoir lu ce livre, qui traite de l’éducation des enfants, mais a été écrit par un père qui a abandonné les siens, j’ai découvert les plus grands écrivains du monde, un nouvel univers dont je n’avais jamais imaginé l’existence.
L’un de ces grands écrivains était Victor Hugo. J’y pense encore, des années plus tard, quand je vois un homme rire à pleine bouche dans ce monde plein de misère. Je me souviens quand j’ai lu pour la première fois un roman de Victor Hugo intitulé Claude Gueux, qui est l’histoire d’un homme qui est obligé de voler une miche de pain dans une boulangerie pour nourrir sa famille ce qui le conduit en prison, puis sur un chemin qui se termine par son exécution.
J’ai été transformé par cette lecture à la fois instructive et très impressionnante pour moi, qui dormais à l’époque à même le sol dans les rues du sud de Téhéran. Parfois je me levais tôt le matin avant d’entendre l’appel à la prière et j’assistais à des scènes d’exécution en public.
Après avoir lu cet ouvrage de Victor Hugo, il était encore plus inadmissible d’assister à la souffrance et à la mort d’un être humain, mais j’ai vu les tortionnaires rire et profiter de cette douleur et de ces tortures, comme au spectacle.
Une scène qui est restée gravée à jamais dans mon esprit depuis cette période amère de ma vie est l’exécution d’une jeune femme qui a été pendue sous mes yeux en compagnie de deux autres hommes, pour le crime d’adultère.
Les hommes étaient déjà morts, suspendus à leurs cordes mais les jambes de la femme tremblaient encore, pendant que la vie la quittait.
Bien des années ont passé depuis, mais quand je vais au bord de la mer, ce que je vois en contemplant les vagues s’échouer sur le rivage, c’est encore ce visage de femme, avec l’écume blanche au coin de ses lèvres meurtries.
S. A : L’exposition propose 7 tableaux, comme 7 portes de cellules individuelles dans un couloir de prison. Je me demande comment vous avez choisi les personnes qui occupent les cellules, et les éléments symboliques qui les accompagnent.
H.H.S : Un morceau de pain et une bouteille de Coca, c’est le plus grand souhait d’un enfant qui dort dans la rue. Et c’est cette même bouteille de Coca qui est utilisée comme outil de torture et de viol dans les prisons de la République Islamique.
Ce projet autour des prisonniers politiques, parle aussi de vivre l’exil dans son propre pays. La vie de Zeynab Jalalian, qui s’est enfuie de la maison d’un père qui ne lui permettait pas d’aller à l’école, c’est une tentative d’échapper à la prison à domicile. Quand Zeynab s’enfuit, elle ignore encore qu’elle entre dans une plus grande prison, la société iranienne, et que bientôt elle devra se contenter d’une petite cellule humide où il y a à peine la place pour respirer, et où sa santé se dégrade , année après année, sans perspective de libération et sans qu’aucune permission ne lui ait été accordée.
La mise en scène des médicaments, et des fauteuils qui rappellent les interrogatoires télévisés où les prisonniers politiques font leurs confessions forcées, et la longue chevelure coupée qui barre le tableau en son milieu inscrivent en quelque sorte son histoire dans le panorama général des crimes du régime.
Nasrin Sotoudeh est le sujet du premier tableau de ce projet, qui date de janvier 2020. Pour le réaliser, je me suis tourné vers une forme de réalisme magique inspiré notamment par "Cent ans de solitude" de Gabriel Garcia Marquez et pour dépeindre le demi sourire sur les lèvres de cette avocat, et grande défenseure des droits de l’homme, j’ai regardé plusieurs fois le film Taxi Téhéran de M. Jafar Panahi, un artiste lui-même en prison aujourd’hui, dans lequel elle apparaît.
Mon but en créant ce sourire sur ses lèvres était de montrer que derrière les barreaux,elle sourit, face à toutes les souffrances et tortures qui lui ont été infligées, comme à ses codétenues, car envers et contre tout, elle ne doute pas d’une chose : ces monstres tomberont.
Je me suis familiarisé avec le bouddhisme à travers l’étude de la philosophie de Schopenhauer et de Nietzsche, plus tard j’ai commencé à l’étudier et j’ai réalisé comment les états énergétiques affectent l’existence humaine, alors j’ai commencé à étudier les chakras et leurs effets dans l’existence humain.
J’ai imaginé sept panneaux aux couleurs des sept chakras et j’ai essayé d’inclure les couleurs dans mes œuvres et de montrer que rien n’est à sa place dans les régimes dictatoriaux et fascistes.
J’imagine qu’en montrant la souffrance et la torture de Saba Kordafshari, Yassaman Aryani et Hossein Ronaghi et en plaçant des objets brisés et noirs en forme de croix au milieu du tableau, c’est comme si tout le poids du tableau était sur une canne dont le manche ressemble à une tête de serpent, qui attaquerait le spectateur en face.
S. A : Justement, vos tableaux sont figuratifs, montés sur des châssis en bois classiques, et votre trait est parfois presque Naïf. Quel a été le cheminement, à partir de toiles qui auraient pu être très simples, vers les installations en volume, complexes et "déconstruites" que vous présentez dans cette exposition ?
H.H.S : C’est un processus en évolution constante. Au début c’étaient des toiles simples et blanches, progressivement les couleurs sont apparues pour montrer les souffrances d’un être humain au sein de la communauté, puis les cellules des prisons sont apparues et ensuite les raisons pour l’emprisonnement de ces personnes.
J’ai voulu en quelque sorte illustrer la première phrase du contrat social, avec cette vérité que Rousseau décrit avec la limpidité d’une eau claire au fond d’un puits : "L’homme est né libre, et partout il est dans les fers".
C’est pour cela que ce projet change constamment de forme, de simples peintures à une animation, puis à une cabane sur roues, d’un studio de quatorze mètres carrés en résidence à une performance itinérante.
Ces œuvres sont allées dans les rues de Paris et puis elles sont allées aux manifestations, elles sont montées dans un camion et ont commencé à défiler en public, et maintenant elles sont sur les murs du Dissident Club.
En fait, je voulais changer l’emplacement des prisonniers politiques en déplaçant physiquement les toiles. J’ai alors consulté trois de mes professeurs à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris sur le projet, Christophe Bourguedieu, Natacha Lesueur et Brice Dellsperger, et chacun d’eux m’a donné une nouvelle idée, ce qui a finalement abouti à ce que les peintures soient découpées en différentes parties, et dans chaque oeuvre , plusieurs nouveaux panneaux sont apparus.
Brice, le professeur de cinéma à l’école, avait défini un projet pour les étudiants, où il fallait créer une autre œuvre à partir d’une œuvre d’art, et moi j’avais filmé l’intégralité du processus, du début à la fin de ce projet, et en plus ce projet changeait lui-même constamment de forme, comme s’il voulait évoluer, ce qui est peut-être aussi une manifestation de l’évolution de la souffrance humaine et de la compassion.
Ce projet artistique est ma prison, et moi, son prisonnier, je savoure la souffrance que j’endure sur le chemin de ce projet, car je sais bien de quoi parle Hegel lorsqu’il parle de l’exaltation de l’âme par l’art.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, l’art a changé ma vie, transformant un enfant sauvage qui vivait dans la forêt et travaillait dans les rues en une personne civilisée qui aime vivre avec les gens, malgré toutes les horreurs de la société.
Ma vie et mon art continuent donc à changer et la forme que ce projet a pris aujourd’hui, elle n’est que pour aujourd’hui.
Quand on organise un vernissage et qu’on présente une exposition, on peut avoir l’impression qu’un projet est terminé, mais ce projet ne sera jamais terminé : sitôt que la forme se stabilise, et que je sens qu’il est fini, une nouvelle idée se présente et le transforme à nouveau. Dans le film sans fin que j’ai enregistré, qui documente tout le processus de création de ce projet, une phrase revient sans cesse, et c’est : "ça ne finit jamais !"
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Vous pouvez venir à la rencontre du travail de Hossein Hadjizadeh Siboni, (du moins dans sa forme actuelle) jusqu’au 14 février à cette adresse :
The Dissident Club, 58 Rue Richer, Paris 9
Du lundi au samedi de 18:00 à 2:00
Retrouvez également Hossein sur son site internet personnel ou sur instagram, et si vous avez des questions sur son travail, ou des propositions de partenariat, écrivez-lui : sibonihossein@gmail.com
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