Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Féminismes et Banque mondiale : un mariage « contre-nature » ?

Au début des années 90, une partie du mouvement féministe, généralement liée à la droite comme au néo-conservatisme, a tenté une « stratégie » d’intégration et de participation avec une institution beaucoup moins « sympathique » de la mondialisation : la Banque mondiale.

11 février par Christine Vanden Daelen
tiré de : CADTM infolettre <bulletin-cadtm@cadtm.org

Voulant aménager la mondialisation néolibérale dans un sens plus « égalitaire », cette mouvance clairement réformiste ne développe « aucune position critique face aux politiques d’ajustement structurel ni à la mise en œuvre du néolibéralisme. La mondialisation y est analysée comme un phénomène irréversible et uniquement vue au travers de ses effets positifs et négatifs sur les femmes [1] ». Leur contribution au projet émancipateur du féminisme sera encore plus insignifiante que celle du lobbying des féministes institutionnelles exercé au sein de l’ONU.

Les représentantes de ce type de féminisme se retrouvent en particulier dans les grandes organisations féminines de lobbying politique telle que WEDO (Women’s Environment and Development Organization). Le but premier de ce réseau est de rendre la « gouvernance globale démocratique, responsable, équitable et sensible au genre ». Dans ce dessein, WEDO propose des mesures de régulation de la mondialisation favorisant en particulier la participation des femmes aux décisions néolibérales ainsi que l’encouragement « de politiques de commerce qui soient plus concernées par les besoins des femmes au sein des négociations commerciales de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ». Ainsi, loin de vouloir comme d’autres abolir l’OMC, WEDO s’est fixé comme objectif de la démocratiser et d’y intégrer le genre [2].

Cette approche visant à remodeler le marché mondial, à lui donner une forme plus supportable pour les femmes, n’affronte nullement l’ordre économique international ni l’exploitation sur laquelle il repose. Elle dénonce les violences faites aux femmes dans la sphère du privé sans mentionner la violence structurelle inhérente à la logique d’accumulation capitaliste. De plus, en omettant de placer la féminisation de la pauvreté dans le contexte de l’évolution des relations capitalistes, elle est condamnée à être incomplète et à se faire coopter.

Oubliant leur origine libertaire en tant que mouvement de pression et de critique sociale, prônant de nouveaux rapports et de nouvelles façons d’être hommes et femmes, cette mouvance des féministes institutionnalisées étroitement liée aux promoteurs de la mondialisation s’expose à de nombreux dangers.

Tout d’abord, en s’associant aux IFI (Institutions financières internationales), elles contribuent, presque malgré elles, à la reproduction au sein de leurs organisations de la culture hiérarchique patriarcale prévalant à la Banque mondiale tout comme aux Nations unies. Ainsi, et ce en totale opposition par rapport aux principes éthiques originaux du mouvement, cette conception du féminisme finit par dupliquer, sans autre forme de procès, les formes et les valeurs du système patriarcal.

Ensuite, sous couvert de rendre le « développement » « durable » et « genré », la Banque mondiale espère incorporer les femmes et le mouvement féministe au processus, à les faire « rouler » pour la mondialisation néolibérale [3]. Ce faisant, les IFI bénéficient de la légitimité morale du mouvement des femmes et surtout profitent de leur énergie, si longtemps non reconnue qu’aujourd’hui elle semble inépuisable. L’instrumentalisation des femmes et de leurs mouvements constitue bien une stratégie redoutable dans la mise en œuvre de la mondialisation néolibérale.

Tout en profitant des potentialités des femmes, le « partenariat » que la Banque mondiale prétend instaurer ne représente qu’un subterfuge supplémentaire lui permettant de neutraliser et de dépolitiser le mouvement féministe, de lui ôter toute autonomie idéologique, institutionnelle ou financière et de simultanément le purger de ses propositions radicales. Heureusement que les femmes s’étant lancées dans ce vain et inégal « dialogue » avec les artisans de la mondialisation ne représentent qu’une fraction du mouvement féministe qui est par essence multiple et hétérogène !

Notes
[1] Nalu Faria, « Le féminisme latino-américain : perspectives face au néolibéralisme », REMTE, http://www.cadtm.org/IMG/doc/Le_feminisme_latinoamericain_et_caribeen_-_perspectives_face_au_neoliberalisme.doc

[2] Sabine Masson, « Féminisme et mouvement antimondialisation », dans Nouvelles questions féministes, « A contresens de l’égalité », Lausanne, vol. 22, n°3, 2003, 168p.

[3] Jules Falquet, « De gré ou de force, les femmes dans la mondialisation », Paris, La dispute, 2008, p.123

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