La lutte contre le réchauffement climatique fera de nouveau l’actualité ce week-end et en début de semaine prochaine. Ban Ki Moon, le secrétaire général de l’ONU, a en effet convoqué un sommet spécial le 23 septembre prochain. Il réunira plus de 120 chefs d’État et de gouvernement à New York afin de « donner un nouvel élan à la lutte contre les changements climatiques ».
Pour mettre les participants à ce sommet de l’ONU sous pression, plusieurs centaines d’organisations de la société civile appellent de leur côté à organiser une gigantesque marche à New York, à l’avant-veille du sommet. Elle se déclinera également en initiatives locales un peu partout dans le monde – à Paris, notamment, où elle aura une importance particulière puisque la France accueillera la prochaine conférence de l’ONU réellement décisionnaire en la matière à la fin 2015.
Des centaines de milliers de personnes se retrouveront donc ce dimanche dans les rues du monde entier sous la bannière « des actes, pas des mots » ; ainsi que « pour tout changer, nous avons besoin de tout le monde » – marquant ainsi l’une des plus grosses mobilisations citoyennes à ce jour autour des enjeux climatiques.
La séquence 2014-2015 est, de fait, cruciale : il s’agit de la dernière fenêtre d’action pour prendre les mesures adéquates pour rester sous la barre des 2°C de réchauffement global (seuil au-dessus duquel les conséquences du réchauffement seront réellement dramatiques).
Il faut donc bien prendre la mesure des mots d’ordre du sommet onusien comme des manifestations de la société civile : plus de vingt ans après le sommet de la Terre de Rio, après 19 conférences onusiennes sur le changement climatique (et plusieurs dizaines de sommets intermédiaires) la « communauté internationale » n’a rien fait de significatif. Les émissions de gaz à effets de serre (GES) n’ont cessé de s’accroitre. L’extraction de ressources fossiles s’étend à des gaz et pétroles non conventionnels, des sables bitumineux de l’Aberta (Canada) au boom de la fracturation hydraulique (aux États-Unis notamment, et bientôt en Europe), ce qui laisse présager d’une poursuite de l’augmentation des émissions mondiales...
Après deux décennies de processus onusien dense et inclusif, la société civile demande encore aux États de « passer à l’action »... De son côté, Ban Ki Moon vient d’annoncer qu’il participerait à la marche de New York et se « serrerait les coudes » avec les manifestants. Il donne ainsi du crédit à l’idée que pour « tout changer », nous avons besoin de « tout le monde ». Mais, ce faisant, il brouille les choses plus qu’il ne les clarifie..
Son annonce est pour le moins curieuse – on imagine par exemple mal le secrétaire général de l’ONU rejoindre une manifestation visant à faire pression sur les États membres afin qu’ils prennent toutes les mesures nécessaires pour endiguer Ebola.
Mais le climat fait, une fois de plus, exception – et c’est peut-être là l’une des clefs du problème : dès lors que l’on parle climat, les responsabilités apparaissent comme diffuses, sinon diluées, les rôles et statuts s’entrecroisent et les genres se mélangent.
Tout le monde n’a pas intérêt à ce que ça change, nous n’avons pas intérêt à ce que tout le monde continue à agir
Deux ouvrages, parus ces derniers jours, permettent de mieux saisir ce qui se joue derrière les slogans des manifestations de dimanche prochain, aident à clarifier les enjeux et les positions, et offrent des pistes pour peser réellement sur le cours des choses : This Changes Everything, Capitalism vs the Climate de la journaliste canadienne Naomi Klein (qui paraîtra ce printemps en français, chez Actes Sud) et Je crise climatique. La planète, ma chaudière et moi de la journaliste de Mediapart Jade Lindgaard (lire les “bonnes feuilles” ici : http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/090914/crise-climatique-elle-est-domicile).
Dans son étude roborative sur les liens entre capitalisme et changement climatique, Naomi Klein met en effet en évidence à quel point les processus de dérégulation des échanges internationaux sont indissociables de l’augmentation des émissions de GES. Son enquête minutieuse lui permet de montrer que l’inaction des gouvernements n’est pas due à leur sidération ou à l’absence d’alternatives, mais aux pressions exercées par les lobbies représentant les intérêts des industries polluantes ou encore du secteur de l’assurance. Plus généralement, explique-t-elle, le changement climatique arrive au pire moment qui soit : la mondialisation néolibérale est parvenue à supprimer méthodiquement la plupart des freins à l’action des multinationales tout en décrédibilisant durablement l’action publique... alors même que nous avons plus que jamais besoin de ces freins et de politiques publiques fortes pour gagner la bataille contre le réchauffement. Richard Heede a par exemple montré que que 90 entreprises sont, à elles seules, responsables de 60 % des émissions de GES depuis qu’elles sont comptabilisées.
Le slogan de la manifestation du 21 septembre pourrait ainsi être reformulé : « pour que tout change, nous avons besoin de monde... mais tout le monde n’a pas intérêt à ce que tout change ».
Il est à cet égard urgent de repenser les stratégies de la société civile. Face à des États qui, pour l’heure, se soumettent largement aux velléités dérégulatrices (dont TAFTA ou les politiques d’austérité ne sont que les derniers avatars en date), il est indispensables d’ajuster les revendications. Plutôt que d’espérer un « grand soir » du carbone, et laisser croire que les 192 États membres de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques pourraient, d’ici à fin 2015, s’accorder sur une réorientation aussi brusque que radicale de leurs politiques économiques, fassent le choix de la régulation, et s’engagent avec volontarisme dans la voie de la transition vers une société juste et durable, nous devrions sans doute nous montrer plus réalistes : faire campagne pour que soient supprimées toutes les mesures qui favorisent les industries polluantes contre les initiatives de transition ; exiger un moratoire sur l’ensemble des traités et accords internationaux qui ne feraient pas de la justice environnementale et climatique une priorité par rapport aux impératifs économiques et financiers.
Ces blocages invitent en outre à changer de cible, et à s’attaquer directement aux émissions des grandes entreprises. Les objectifs de réduction de GES pourraient ainsi ne plus être considérés uniquement État par État, mais aussi filière par filière, branche par branche, entreprise polluante par entreprise polluante. Ces objectifs ne sauraient être traduits dans des « droits à polluer » mais s’inscrire dans une logique de sortie de la dépendance à l’énergie fossile.
Mais une telle démarche implique d’accepter de sortir de l’idée que nous aurions besoin de « tout le monde » pour résoudre la crise climatique. Nous avons de fait autant besoin de l’implication de certains que d’empêcher d’autres acteurs de nuire... C’est ce qui se joue, par exemple, dans les campagnes actuellement en cours aux USA ou en Australie de désinvestissement du secteur fossile.
Tout le monde doit agir ? vers une politique des modes de vie
Mais cette approche ne peut fonctionner qu’en l’associant à une autre démarche, plus directement et concrètement transformatrice. Dans son livre, Naomi Klein insiste sur l’importance d’agir sur d’autres blocages, plus personnels et intimes. Cette approche constitue la colonne vertébrale du livre de Jade Lindgaard, et peut se résumer ainsi : le changement climatique se joue aussi chez nous. Dans notre quotidien, dans notre garage comme dans les tuyaux de notre chaudière. La lutte contre le changement climatique passe donc également par notre appartement, notre maison – par ces espaces de proximité. Il n’est ici pas question de faire l’apologie d’une politique des petits gestes qui fasse l’économie d’une analyse des effets de structure, ou de prôner des conversions individuelles. Il s’agit bien au contraire de repenser la manière dont nous existons collectivement – dont nous formons des communautés (de voisinage, d’affinités) et, in fine, dont nous faisons société. Lutter contre le changement climatique implique de fait aussi d’imaginer de nouvelles politiques, qui aient trait aux modes de vie.
C’est le projet que portent, par exemple, les promoteurs de la dynamique Alternatiba, qui appellent, de leur côté, à un grand rassemblement, ce 21 septembre toujours, à Gonesse, pour protester contre la transformation de 700 hectares de terres fertiles en un gigantesque hypermarché.
Construire d’autres rapports à l’énergie que nous consommons, à la chaleur, à notre confort et, partant, à nos modes de consommation, c’est à dire à nos modes de vie : il n’y a là rien de rétrograde. Bien au contraire : le défi est alors de redécouvrir le plaisir de l’action collective (affinitaire comme publique ). Ce que Jade Lindgaard résume ainsi : « agir sur soi pour ne pas rester seul. Et sortir, enfin, de la bulle cotonneuse de son ego climat : se déprivatiser pour fonder de nouveaux collectifs ».
Pour que tout change, nous avons, de fait, plus que jamais besoin d’action collective. Passer à l’action, pour reprendre la main face aux acteurs qui n’ont aucun intérêt à ce que les choses changent – empêcher certains acteurs d’agir, pour retrouver notre propre capacité à peser sur le cours des choses.
C’est ce qui se joue dans les divers rendez-vous de ce week-end, à New York comme ailleurs – Marche pour le Climat à Paris ; Alternatiba à Gonesse.
La position de fond d’Attac France sur les propositions que porte Ban Ki Moon pour ce sommet de l’ONU est accessible à l’adresse suivante : https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports-37/article/nouveaux-mecanismes-financiers