Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Forum social mondial 2016 à Montréal

FSM Montréal 2016 : diverses contributions

Montréal 2016 - Le Forum social mondial n’a plus pour certains d’impact politique et se limite à des espaces de débat sans conséquence. D’autres se questionnent : le déplacement du FSM au Nord présente plusieurs obstacles à la participation. Du coup, une pression énorme s’exerce sur la préparation du FSM 2016 à Montréal en août prochain. Plus que les autres éditions, on jugera le FSM 2016 sur son impact en regard des luttes menées par les mouvements sociaux.

Sans faire l’économie de l’implication d’individus dans les FSM, il est essentiel d’asseoir le processus sur les réseaux et les organisations de manière autonome et souveraine. L’ambition du projet étant inclusive, la stratégie doit se préoccuper continuellement de chercher l’équilibre entre individus et organisations, en évitant l’atomisation du processus. Le point d’appui sur lequel on peut le mieux asseoir une stratégie de transformation demeure celui qui, à ce jour, a caractérisé le mieux les assises des Forums sociaux, celui des réseaux et mouvements sociaux organisés. Le défi du FSM de Montréal est de tenir un évènement qui saurait réunir les secteurs significatifs des mouvements sociaux du Canada, du Québec et d’ailleurs, tout en répondant aux besoins de convergence des luttes. Les prochains FSM pourraient de ce point de vue constituer des relais dans la construction d’un tel partenariat mondial.

Ronald Cameron (Montréal)

Le FSM doit se réinventer

Au début des années 2000 lors de l’avènement du Forum social mondial, les mouvements populaires un peu partout dans le monde résistaient aux assauts du néolibéralisme. Quelques années plus tard, dans le contexte des nouvelles alliances encouragées par les mouvements populaires, des gouvernements progressistes ont été élus, surtout en Amérique latine. Une décennie plus tard, la situation est donc transformée. Les mouvements populaires axés sur la résistance doivent maintenant relever de nouveaux défis en développant davantage leurs capacités de développer des alternatives qui sont non seulement nécessaires, mais réalistes dans le nouveau contexte. C’est en partant de là que le Forum social mondial doit et peut se réinventer.

Meena Menin (Mumbai)

Parlons stratégie

Le capitalisme régente les relations humaines du local au planétaire, en s’appuyant à la fois sur la logique de la concurrence, sur une hégémonie idéologique et sur de puissantes institutions à différentes échelles territoriales. Plusieurs cibles transnationales peuvent alors servir de levier entre le local/national et le global :

Il est urgent de construire un « espace politique européen » porteur d’un renversement démocratique, égalitaire et écologique des logiques et institutions actuelles, appuyant les résistances nationales sur des objectifs européens et internationalistes.

Mettre l’accent sur des thématiques structurantes :

Changer la société, pas le « climat »

Agir en défense de la « souveraineté alimentaire » contre les règles de l’OMC.

Œuvrer pour une nouvelle architecture de droits européens et mondiaux s’imposant aux FMN.

Protester contre les « dettes illégitimes, illégales et odieuses ».

Contre tous les rapports de domination et d’exclusion, des formes d’auto-organisation sur les lieux de travail doivent pouvoir être consolidées par des formes d’auto-organisation « territoriales », pour reconstituer des tissus sociaux de solidarité dans la production et la distribution de « communs », unir des populations variées souvent précaires ou privées d’emplois – notamment femmes, jeunes, immigrés et populations « racialisées » servant de boucs émissaires – préfigurant d’autres rapports humains possibles.

Catherine Samary (Paris)

Une autre Bolivie est possible

La Bolivie peut abandonner progressivement l’extractivisme et se placer à l’avant-garde d’une véritable révolution énergétique communautaire. Si la Bolivie se le proposait, un investissement de 1 000 millions de dollars pourrait produire 500 MW d’énergie solaire, ce qui représente presque un tiers de la demande nationale actuelle. De plus, la Bolivie pourrait soutenir une énergie solaire communautaire, municipale et familiale qui convertirait le consommateur d’électricité en producteur d’énergie. De cette façon, on démocratiserait et décentraliserait la production d’énergie électrique. Le Vivre Bien commencera à être une réalité quand on donnera un pouvoir économique à la société (comme producteurs et pas seulement comme consommateurs ou bénéficiaires). La véritable alternative à la privatisation n’est pas l’étatisation, mais la socialisation des moyens de production. Très souvent, les entreprises d’État se comportent comme des entreprises privées en l’absence de participation sociale effective et de contrôle social. Faire le pari de la génération d’énergie solaire communautaire, municipale et familiale contribuerait à donner du pouvoir à la société plutôt qu’à l’État et aiderait à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le thème de l’énergie solaire communautaire et familiale n’est qu’un exemple auquel nous pouvons penser hors des modèles traditionnels du « développement ». Le pays peut franchir des étapes s’il sait laisser le vieux développementisme du XXe siècle. Personne ne pense cesser immédiatement d’extraire et exporter du gaz. Cependant, il n’est définitivement plus possible de faire des plans pour accroître l’extractivisme quand existent d’autres alternatives qui seraient plus compliquées à mettre en œuvre, mais qui, à moyen terme, seraient beaucoup plus bénéfiques pour l’humanité et la Mère Terre.

Pablo Solon (La Paz)

Tunisie : Un accord de libre-échange contre le peuple

À l’occasion du vote du Parlement européen sur l’ouverture des négociations pour un accord de libre-échange entre la Tunisie et l’Union européenne, les organisations de la société civile déplorent le manque de perspectives de développement social que permettre un changement de stratégie permettant à la Tunisie de répondre aux défis de développement équitable et aux revendications de travail et de justice sociale, principales revendications de la population durant le soulèvement de 2010-2011. Le risque qui pèse sur la société tunisienne est d’autant plus grand que l’ouverture des marchés aux entreprises étrangères n’est pas soumise à l’obligation de recruter localement le personnel, de soutenir le tissu industriel local, ou encore de transférer les technologies. Nous réclamons que cet accord commercial soit placé dans un cadre de coopération équitable, tenant compte de la compétitivité inégale des deux économies et de la persistance des aides publiques européennes accordées à certains de leurs secteurs stratégiques.

Forum Tunisien des droits économiques et sociaux (Tunis)

L’irruption de la foule comme réveil politique

Des organisations associatives, politiques et syndicales débordées par l’irruption spontanée dans l’espace public, d’une foule massive exprimant son désaccord avec la classe politique : il y a là comme un air de déjà-vu. Des Indignés à Occupy Wall Street, à Istanbul comme à Sao Paulo ou Hong Kong, les mobilisations s’enchainent depuis 2011, marquant un net retour de la conflictualité. Elles connaissent depuis des fortunes diverses qui s’expliquent en partie par l’épreuve de la durée et par la difficulté à construire, à partir de l’occupation temporaire d’un espace public, un mouvement qui parviendrait à transformer durablement la société. Il est tentant de concevoir la signature d’une pétition, la participation à une mobilisation et le fait de militer au sein d’un mouvement comme trois choses différentes – la dernière étant la plus aboutie des trois, le passage d’un stage à l’autre constituant autant d’épreuves : du clic à la rue, de la rue à la durée. Selon certains, il faudrait ajouter à ces épreuves celle du pouvoir : nul changement durable et profond possible sans que la foule pénètre dans la sphère politique et se saisisse des échéances électorales. Il nous semble toutefois nécessaire de ne pas minimiser l’importance et la signification de l’irruption de la foule – qu’elle occupe durablement une place publique ou qu’elle s’assemble en ligne autour d’une « simple » pétition importe ici peu.

Christophe Aguiton et Nicolas Haeringer (Paris)

Gramsci : le prince et le parti

Le prince moderne gramscien ne désigne aucune forme politique préexistante, mais représente, comme chez Machiavel, une proposition en faveur d’une nouvelle forme d’organisation politique. Le prince moderne n’est pas un « individu concret », encore moins un sujet politique. C’est un processus dynamique qui, en tant qu’organisation de nouveaux rapports sociaux et politiques, ne vise rien de moins que l’expansion totalisante dans l’ensemble de la formation sociale. Le prince moderne constitue ainsi à la fois le point de départ et la sommation du processus d’« immense concentration d’hégémonie » indiqué par Gramsci comme l’objectif d’une guerre de position offensive contre la logique de la révolution passive et d’un type proprement prolétarien d’hégémonie, c’est-à-dire de direction sociale et politique. C’est pourquoi le prince moderne ne saurait être limité à son articulation en forme-parti, aussi nécessaire cette dimension institutionnelle soit-elle à son devenir historique et à son efficacité. La différence spécifique du prince moderne en tant que forme-parti consiste dans le fait que son niveau institutionnel ne représente que la face émergée d’un iceberg d’activation politique collective des classes populaires, dans toutes les instances délibératives et décisionnaires de la société. Si le prince moderne comme forme-parti n’est pas un exemple de formalisme politique, c’est précisément parce qu’il s’agit d’une forme qui excède continuellement et constitutivement ses propres limites. Il ne saurait donc être conçu en termes de « droit constitutionnel de type traditionnel », mais seulement dans les termes non étatiques d’un pouvoir constituant expansif (Cahiers de prison).

Peter Thomas (Londres)

Le réalisme de l’audace

La reprise en main de la souveraineté populaire requiert un récit anticapitaliste élaboré, pas seulement un agrégat de revendications anti-austérité. Aussi indispensable une condition macroéconomique « keynésienne de gauche » soit-elle, sous la forme d’une réappropriation de la souveraineté monétaire et d’une augmentation des dépenses publiques, elle ne suffit pas. Nous devons penser la « reconstruction productive » non comme un « retour à la croissance », mais comme un processus de transformation et de confrontation intense avec le capital, basé sur la propriété publique, l’autogestion et des formes de contrôle ouvrier. Cela doit être un processus d’expérimentation et d’apprentissage. Les formes contemporaines de solidarité, d’autogestion, de réseaux de distribution non commerciaux alternatifs, d’accès libre aux services, les discussions sur la façon d’utiliser le secteur public ou comment faire fonctionner les services publics ne sont pas seulement des moyens de répondre aux problèmes sociaux urgents. Elles sont aussi les laboratoires de formes alternatives de production et d’organisation sociale, basées sur les « traces de communisme », d’inventivité collective et d’ingéniosité dans les résistances contemporaines et les gestes quotidiens de solidarité – dont la myriade d’actes de solidarité auxquels on assiste actuellement en Grèce à l’occasion de la crise des réfugiés.

Panagiotis Sotiris (Athènes)

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