Europe Solidaire Sans Frontières
mercredi 10 février 2021
Par Uraz Aydin
Crédit Photo Kilicbil
Cette nomination inhabituelle d’un recteur qui ne fait pas partie du corps enseignant de l’université – et par ailleurs accusé de plagiat – s’inscrit dans le cadre de toute une série d’interventions menées par le président et son clan islamo-fasciste depuis plusieurs années afin de réformer l’enseignement supérieur à l’image de son régime autocratique.
Mobilisation massive
L’université du Bosphore était une des dernières à échapper à l’emprise de la sphère politique et à conserver une certaine autonomie et une culture démocratique doublée d’une qualité académique largement supérieure à la moyenne du pays. Pour briser l’isolement de son recteur Melih Bulu et surmonter la crise, Erdogan a fini par « fonder », vendredi dernier, par décret (!) deux nouvelles facultés (de communication et de droit) au sein de Bogazici, dont le futur personnel universitaire procurera donc à Bulu le soutien dont il a besoin au niveau administratif.
La mobilisation massive d’abord des étudiantEs, puis des professeurEs qui, chaque jour, manifestent en tournant le dos au bureau du recteur (surnommé « Kayyum » en référence aux administrateurs placés à la tête des villes kurdes pour remplacer les maires élus, la plupart emprisonnés) a aussi obtenu le soutien actif de larges couches de la population, même si au niveau directement politique les principaux partis d’opposition ont mis du temps à s’y joindre. Le fait que les étudiantEs conservateurs – et de façon visible, les jeunes femmes voilées – fassent partie des manifestantEs est aussi un évènement important à souligner car ceci déconstruit complètement la représentation idéologique de toute contestation du pouvoir comme un coup monté des adversaires de la nation et de la religion.
Féroce répression
Coups de pied, coups de poing, balle en caoutchouc, étudiantEs traînés par terre… la répression policière a été brutale. Des centaines d’étudiantEs et de manifestantEs solidaires de leur combat ont été interpellés tout au long de ces dernières semaines à Istanbul comme dans d’autres villes ; huit parmi eux ont été mis en détention provisoire (qui peut durer plusieurs années avant de comparaitre au tribunal) et 24 personnes ont été assignées à résidence avec menotte électronique au pied – ce qui semble être le nouveau mode de châtiment préféré par le régime.
Au niveau idéologique, le régime a mobilisé les pires arguments du populisme autoritaire à commencer par « l’élitisme » de cette université – où l’enseignement est en anglais – qui ne serait pas accessible « au peuple ». Ensuite ce fut au tour de la communauté LGBTI de l’université d’être criminalisée pour « profanation », sous prétexte qu’une image de la Mecque avec des drapeaux arc-en-ciel aurait été exposée dans la cour de l’université. Face au rejet massif de Melih Bulu, le pouvoir a cru ainsi bon de jouer sur la polarisation entre les « dégénérés LGBT » (dixit le ministre de l’Intérieur S. Soylu) et la nation pieuse. Ce fut un déchainement de violence verbale homophobe initiée par le président lui-même et repris bien entendu sur les réseaux par ses hordes de trolls. Et Erdogan a finalement expliqué à l’opinion publique que ceux qui manifestaient n’étaient pas des étudiantEs mais des… terroristes, bien entendu à la solde des États occidentaux qui veulent empêcher l’ascension (sic) de la Turquie. Son principal allié fasciste, Devlet Bahceli (chef des « Loups Gris ») a surenchéri en expliquant que ces « barbares et vandales » n’étaient pas des enfants de la nation mais « des serpents venimeux dont il faut écraser la tête ».
Mais pour le moment rien n’y fait, les étudiantEs et enseignantEs de Bogazici restent soudés et montrent, par leur détermination, leur créativité, leur unité à travers le respect des différences, un exemple de résistance qui, toutes proportions gardées, n’est pas sans rappeler celle du Parc Gezi…
Uraz Aydin
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