Harcèlement, la tare
Car n’oublions pas que si la place Tahrir a « réconcilié » momentanément hommes et femmes d’Égypte, elle n’a pu changer miraculeusement une réalité sociale, économique et politique qui n’a que trop duré. L’incident du 15 février 2011, dont a été victime la journaliste Lara Logan de la chaîne américaine CBS, a rappelé le malheureux vécu des Égyptiennes. Le harcèlement sexuel des femmes est en effet une pratique courante et même banalisée sous les cieux égyptiens.
Que ce soit dans la rue, à l’école, sur les lieux du travail ou même dans les moyens de transport, la femme égyptienne ne peut échapper aux assauts multiples d’hommes incapables d’accepter son immersion sur la place publique. Un constat confirmé par les multiples enquêtes menées en Égypte.
Ainsi, en 2008, le Centre égyptien pour les droits des femmes (ECWR) mène une enquête auprès de 1010 femmes. Les résultats sont édifiants : 83% des Égyptiennes et 98% des femmes étrangères ont été victimes de harcèlement sexuel en Égypte. Du côté des hommes, 62% reconnaissaient être coupables de harcèlement à l’encontre d’une femme. Un comportement que certains observateurs expliquent par le désengagement du régime Moubarak de la lutte contre les problèmes sociaux et sa concentration sur l’étouffement de toute tentative de rébellion. Les sociologues, eux, évoquent la montée d’une interprétation ultraconservatrice de l’Islam, qui influence considérablement la condition des égyptiennes.
Le grand écart
La preuve en est qu’en 2010, à Davos, l’Egypte fut classée 125e sur 135 pays quant aux écarts entre hommes et femmes en matière d’économie, de politique, d’éducation et de santé. Un rang qui en dit long sur le vécu des égyptiennes. D’après un rapport du Population Council (organisation internationale non gouvernementale) sorti en 2010, 32% des Egyptiennes âgées entre 15 et 29 ans sont au chômage, contre 12% seulement de leurs compatriotes masculins. De même, le taux d’alphabétisation des femmes reste largement inférieur à celui des hommes avec 59,7% contre 83,3%.
Une forte discrimination qui se reproduit logiquement sur la scène politique. Sous le régime de Moubarak, quatre femmes seulement siègent au parlement contre 450 hommes. Quant au gouvernement, seules quatre femmes étaient ministres et aucun nom féminin ne figure sur la liste des 29 gouverneurs. Ce n’est qu’en avril 2010 que la décision interdisant aux femmes de se présenter pour être juge à la Haute Cour du pays a été enfin abrogée. A ces fortes inégalités s’ajoutent les mutilations génitales féminines. Une pratique très répandue en Égypte, malgré son interdiction par la loi en 1997.
« Recommandée » est un mot faible pour décrire l’attachement de la société et des familles égyptiennes à l’excision de leurs filles. Une opération risquée, doublée d’un traumatisme psychologique certain qu’on inflige aux femmes égyptiennes, pour qu’elles puisent coller à la norme et réussir à trouver un mari.
Aujourd’hui, au bout d’une révolution porteuse de tous les espoirs, les filles du Nil se retrouvent encore une fois exclues du processus de création d’une nouvelle Egypte. En effet, la commission chargée de rédiger la nouvelle Constitution égyptienne est exclusivement masculine. Pas l’ombre d’une femme dans le nouveau paysage politique égyptien.
Pire encore, l’un des huit juristes composant cette commission n’est autre que Sobhi Saleh, avocat et ex-député des Frères musulmans. De quoi inquiéter les Égyptiennes qui protestent déjà contre une clause polémique qui dit que le président égyptien ne peut pas être marié à une « femme non-égyptienne ». Ce qui implique, indirectement, qu’une femme ne peut jamais aspirer à la charge suprême.
L’Histoire se répétera-t-elle ? Ou les héritières de Cléopâtre vont-elle arriver à féminiser la révolution et à prendre enfin leur destin en main ? Les jours à venir apporteront les réponses à toutes ces interrogations.