Tiré du blogue de l’auteur.
En ce qui concerne la concentration des patrimoines, 1 % des ménages les plus riches détient 39 % du patrimoine des ménages (20 % en 1980). Au sein des pays développés, la palme des inégalités revient aux États-Unis. Mais les pays émergents sont également entraînés dans ce mouvement.
La croissance des inégalités se mesure aussi dans la répartition des actifs privés et publics. Partout dans le monde les actifs publics nets (avoirs – dettes) ont reculé, parfois même le solde est négatif (États-Unis, Grande-Bretagne). Pendant ce temps, le capital privé représente aujourd’hui 4 à 7 fois le revenu national des pays, contre 2 à 3,5 il y a quarante ans. On savait que la crise de 2007 avait opéré un transfert massif de l’endettement privé vers l’endettement public. Mais le phénomène de captation et de déversement vient de plus loin. Il est incontestablement lié à cette longue phase de l’évolution du capitalisme mondial que l’on appelle néolibéral ou financier. Certes, les inégalités sont moins fortes qu’au début du XXe siècle, à l’époque où n’existaient pas encore (ou peu) protection sociale, services publics et impôt progressif sur le revenu ou le patrimoine. Mais après une régression des inégalités après la Seconde guerre mondiale, elles ont bondi avec le nouveau cours du capitalisme.
Les graphiques suivants sont extraits de la synthèse du rapport du WWID 2018.[2]
Bien entendu, la publication de ce rapport a été accompagnée d’un concert de lamentations rythmé par un étonnement général dans la presse. Les éditoriaux ont fait assaut d’indignation. Mais personne ne s’est avisé de remarquer que cette indignation de pleureuses venait de tous ceux qui s’étaient, depuis quarante ans (date du retournement sur les graphiques ci-dessus) enthousiasmés pour la mondialisation heureuse, qui avaient applaudi la diminution des impôts pour les riches, qui avaient réclamé la baisse des dépenses publiques, qui avaient émis maintes réserves sur la taxation des transactions financières et sur la régulation des banques, qui avaient approuvé toutes les dérégulations du marché de l’emploi et la démolition des droits sociaux, qui appellent tous les jours à diminuer le « coût du travail » afin que le « coût du capital » qui ne dit jamais son nom progresse, et qui se pâment devant la prétendue nouveauté macronienne qui veut refaire le monde à l’identique.
Il ne faut pas s’y tromper. Le capitalisme est en crise profonde, tant sur le plan social que sur le plan écologique. L’envol des inégalités n’a pas d’autre source que le déchaînement du capitalisme le plus exacerbé, parce qu’il lui faut contourner la baisse des salaires relativement à la production et la barrière des ressources naturelles par la mise en marchandise du monde entier, et, s’il reste un bout de celui-ci qui aurait réussi à échapper (on ne sait jamais) à cette mainmise, sa transformation en produit financier spéculatif réparera l’oubli ![3]
L’année 2017 aura vu un épisode supplémentaire de la révélation du scandale des paradis fiscaux, une débandade de la lutte contre le réchauffement climatique et, pour finir, la mise au grand jour des inégalités, dont on n’aperçoit que la partie émergée de l’iceberg, parce que toutes les inégalités autres que monétaires sont plus difficilement mesurables : accès à la santé, à l’éducation, à la culture, etc. Si on les ajoutait, il est certain que la hotte du Père Noël n’y suffirait pas. Gageons que le Père Noël saura faire illusion : les inégalités sont naturelles, n’est-ce pas ?
Notes
[1] WWID. L’équipe de chercheurs : Facundo Alvaredo, Lucas Chancel (coord.), Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman.
[2] Rapport sur les inégalités mondiales, Synthèse.
[3] Voir Atttac, Par ici la sortie, Cette crise qui n’en finit pas, Les Liens qui libèrent, 2017 ; Attac, Toujours plus pour les riches, Manifeste pour une fiscalité juste, Les Liens qui libèrent, 2018 ; Les Économistes atterrés, La monnaie, un enjeu politique, Le Seuil, 2018.
Un message, un commentaire ?