Vous vous en doutez bien, en ce petit matin d’un dimanche tranquille, on est tous en train de se ramasser à la petite cuillère au STIJM. Samedi, la majorité des employés du Journal de Montréal, en lock-out depuis 764 jours, a décidé qu’elle en avait ras le bol d’être dans les limbes et de se cogner la tête sur un mur de béton armé.
Comme probablement la majorité de mes collègues, je m’étais promis de rentrer dans mes terres pendant quelques jours pour réfléchir à la suite des choses. Mais je me suis étouffé avec mon café noir au milieu de la matinée en entendant l’ineffable Claudette Carbonneau déclarer sans rire à la radio que la fin de ce conflit n’était pas une si grande défaite. Que sa centrale syndicale avait réussi à arracher des miettes à la dernière minute. Et bla-bla-bla…
Bon sang ! Il y a une limite à dire n’importe quoi ! Claudette Carbonneau a joué un drôle de jeu dans ce Waterloo syndical. Elle a manœuvré de manière sinueuse et souvent avec mollesse. La présidente de la CSN voyait venir depuis longtemps la catastrophe qui s’est concrétisée samedi avec ce vote de capitulation. Elle a donc agi pour sauver sa peau dans ce désastreux naufrage. Elle s’est arrangée pour ne pas être associée personnellement au désastre. Car elle aussi est une élue… Je ne me considère pas comme un syndicaliste à tous crins, mais lorsqu’un conflit comme le nôtre survient, on n’a pas le choix du camp.
L’adversaire était bel et bien Quebecor, dirigée par un patron sans pitié, décidé à briser un des syndicats les plus forts du Québec, déterminé à l’empêcher de mettre en place un modèle d’affaires entraînant une détérioration de la qualité de l’information. Du moment où il te met à la rue pour te faire plier, tu dois faire corps avec le reste de la bande et solidairement te défendre. Il ne faut pas donner à ton patron le plaisir de te voir te chamailler avec tes collègues sur la place publique. C’est ce qui se produit depuis janvier 2009. Tous mes camarades (je hais ce mot) font preuve d’une solidarité exemplaire qu’il faut saluer très bas. Ils ont réservé leurs critiques nombreuses sur la stratégie pour les assemblées à huis clos. Maintenant que la partie est terminée, c’est une autre histoire…
Mollesse
L’esprit de corps n’a empêché personne de voir clair. Surtout pas des journalistes habitués à voir des games politiques se dérouler sous leurs yeux. On a ravalé plusieurs fois devant le laxisme et les maladresses de la CSN et, souvent, devant l’absence de sa dirigeante. Devant la charge grossière de Quebecor de s’attaquer à un syndicat, il aurait fallu une réponse tout aussi musclée. Quant Freddy t’attaque avec une tronçonneuse et s’apprête à faire une boucherie, ce n’est pas le temps de faire de petites campagnes de solidarité et de boycott qui ne marchent pas de toute façon. Il faut sortir les gros canons et répliquer avec la détermination de celui qui ne veut pas mourir. À malin, malin et demi.
Pour l’avoir connue, je me suis ennuyé ces deux dernières années de l’époque des années 1970, où l’on ne se trompait pas sur la détermination des chefs syndicaux. Où les Laberge, Larose, Pépin et compagnie affrontaient leurs adversaires dans une langue exprimée en profondeur plutôt qu’en longueur. Un langage compris 10 sur 10 dans la population. Des chefs qui étaient prêts à aller en prison pour défendre les intérêts des travailleurs…
Peut-être vous en souviendrez-vous ? Il y en a un qui avait plongé pour de vrai, sans les artifices insipides de l’affreux langage des affaires sociales. Il s’agit de Roger Valois, vice-président de la CSN. Le 28 avril 2010, lors d’une conférence de presse sur les accidentés du travail, il avait réagi fortement à une question d’un journaliste (de Radio-Canada, si je me souviens bien) sur les briseurs de grève. « Comme m’avait dit un poète : après que Dieu eut créé le serpent à sonnette, le vampire et le crapaud, il lui restait une substance avec laquelle il a fait le scab. Seulement, je les reconnais, ce sont des trous-du-cul ! » avait lâché Valois.
La réaction avait été immédiate : dès le lendemain, le vice-président de la CSN recevait une mise en demeure de Quebecor exigeant une rétractation. Même moi, l’auteur du texte paru sur RueFrontenac.com, j’avais été visé par une menace de poursuite judiciaire. Pour une rare fois, Quebecor avait révélé un épiderme sensible. Je vous mets au défi de me trouver une déclaration de Claudette Carbonneau où elle s’est attaquée avec opiniâtreté à son adversaire. Elle a manqué des occasions en or de sortir les canines et de mordre.
Des occasions ratées
Comme cette fois, en juillet 2009, où le président de notre syndicat et huit autres collègues ont été congédiés pour avoir mis le pied dans l’édifice du Journal de Montréal. La réponse de la présidente de la CSN fut d’émettre un communiqué le lendemain où elle y allait de protestations de circonstance. Un fichu de communiqué !
Ou cette autre fois, en août 2010, où la FTQ a été plus rapide à réagir que la CSN pour commenter une résolution des jeunes libéraux demandant à leur gouvernement de boucher une brèche indécente dans les dispositions de la loi anti-scabs. Un trou qui a permis au Journal de Montréal d’agir à sa guise, en toute tranquillité d’esprit, pour contourner l’esprit de la loi. Des petites histoires familiales pas très jolies comme celles-ci, on pourrait vous en énumérer encore quelques-unes. Samedi soir, elles étaient toutes dans la gorge des employés, qui sont partis, la mort dans l’âme, complètement ravagés après ce vote crève-cœur.
Alors entendre dimanche Claudette Carbonneau afficher un petit ton presque triomphaliste, occupée à faire du damage control, m’a hérissé le poil sur les bras. Encore une fois, l’adversaire n’était pas la CSN dans ce conflit pourri. Mais la centrale syndicale a un énorme acte de contrition à effectuer. Elle passera à l’histoire comme l’organisation syndicale qui aura fait en sorte qu’un patron de droite décidé à se débarrasser d’un syndicat puisse y arriver s’il y met les moyens.
Qu’elle le veuille ou non, Claudette Carbonneau est la première responsable de la pire défaite syndicale depuis belle lurette, un revers que Pierre Karl Péladeau doit fêter au champagne aujourd’hui. Et c’est l’ensemble du monde syndical qui en sort affaibli et amoché, pas juste la CSN.