Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique d’austérité

Contre l'austérité, quelle stratégie ?

Disons le dès le départ : la lutte contre la politique d’austérité des libéraux n’a, pour l’instant, rien donné de probant sinon démontrer la volonté de certains secteurs de la société d’en découdre avec la politique d’austérité du gouvernement Couillard et l’incohérence pour ne pas dire l’absence de stratégie d’autres secteurs qui souhaitent plutôt un retour à la bonne vieille concertation des années 1980.

La lutte étudiante parait isolée et certains dirigeants syndicaux cherchent à s’en distinguer (dixit Jacques Létourneau de passage à la Radio X, une radio-poubelle de Québec (1)) allant ainsi à l’encontre de tout principe de solidarité élémentaire. Les mobilisation contre les projets de pipeline et d’oléoducs sont importantes mais l’offensive des lobbies pétroliers se poursuit dans un contexte où le gouvernement Couillard fait la sourde oreille et que les centrales syndicales jouent un double rôle d’opposition dans la rue mais aussi d’investisseurs dans les sables bitumineux par le biais du Fond de solidarité de la FTQ et de la FondAction de la CSN. De plus, les groupes environnementaux se laissent séduire par des solutions comme les bourses du carbone qui conduisent directement à l’intégration au bulldozer de la marchandisation de la nature elle-même.

Et le gouvernement Couillard qui adopte toutes les mesures qu’il entend prendre pour imposer l’austérité et, au-delà des mesures régressives et des reculs majeurs imposés à la société, envoyer le message qu’aucune opposition sérieuse ne sera tolérée, qu’il est inutile de s’opposer à la politique néolibéral, qu’il n’y a pas d’alternative sérieuse et raisonnable à cette politique.

Quelle stratégie de l’adversaire

Et avouons-le, les gouvernements Couillard et Harper prennent les moyens pour faire passer leurs réformes. Le gouvernement Harper fait comme il a toujours fait depuis son élection majoritaire : faire fi de tous principes démocratiques élémentaires pour imposer son agenda et ses politiques. Le gouvernement Couillard s’en inspire avec l’adoption de lois-mammouth, la loi 28 adoptée grâce au baîllon la semaine dernière (2) et le projet de loi 10 qui avait été adopté de la même manière quelques jours auparavant. Le constat est évident : ces gouvernements ne jouent plus selon les mêmes règles que lors des trente glorieuses. Ils mettent de l’avant le principe de la gouvernance d’Etat qui s’inspire d’une vision idéalisée des principes et du fonctionnement de l’entreprise privée (les « bienfaits » sans les irritants). Or, l’entreprise privée n’a rien de démocratique. Il s’agit d’une dictature, parfois éclairée, le plus souvent tyrannique. C’est l’inspiration des libéraux qui nous gouvernent. Alors lorsque l’opposition à l’ordre du jour néolibéral se pointe, ils ont tôt fait de prendre tous les moyens nécessaires pour casser toute véléïté de remise en question de cet agenda et des objectifs qui le sous-tendent.

Plusieurs organismes et personnes mettent en doute la légitimité du gouvernement Couillard parce qu’il a mené campagne en passant sous silence ses véritables intentions. Il est vrai que formellement, les libéraux n’ont pas révélé ce qu’ils entendaient faire aussitôt conquis le pouvoir d’Etat. Sauf qu’il fallait être bien naïf pour en pas voir dans leur jeu et penser que ce gouvernement adopterait une posture classique d’austérité « douce ».

Une simple observation des événements qui secouent le monde capitaliste aurait suffit pour comprendre que la classe dominante est à l’attaque, qu’elle monte au créneau du retour sur les conquêtes les plus fondamentales des classes ouvrières et populaires (droit à la retraite, assurances de protection sociales de toutes sortes, acceptation d’une opposition politico-sociale, jeu de la concertation tripartite, etc.). Bref, que les règles du jeu qui prévalaient jusqu’aux années 70-80 ont été abolies et remplacées par la loi du plus fort. Et à ce jeu, les classes subalternes n’ont qu’un choix : encaisser les reculs et se taire.

Les positions des mouvements sociaux

La résistance s’est d’abord installé chez les alliés « périphériques » des organisations de la classes ouvrières : mouvement des femmes, luttes étudiantes, mobilisation contre les dérèglements climatiques, etc. Les grandes centrales syndicales ont plutôt offert leur « collaboration » afin de mener la lutte au déficit budgétaire et à la réduction des services publics, s’opposant au gouvernement essentiellement sur le rythme de l’atteinte du déficit zéro. Elles ont appuyé tacitement le PQ lors de son bref passage au pouvoir et en dépit de la présence de PKP dans ses rangs. Puis l’offensive libérale les a complètement désarçonnés.

À la CSN « nous continuerons à dénoncer l’austérité des libéraux et à montrer ses effets. Nous le ferons avec cette idée de continuer à mener cette mobilisation dans un large front social le plus uni possible, sans jamais exclure aucun moyen pour parvenir à cet objectif commun : la défense de l’État social québécois. » (3)

Ce discours semble orienter les actions de la centrale vers des mobilisations importantes. Pourtant, sur d’autres tribunes, la direction loue les expériences de concertation avec les patrons et le gouvernement. (voir la note 5)

À la FTQ, on se demande avec raison « serions-nous de moins en moins sensibles aux reculs démocratiques ? » Toutefois, tout ça conduit les dirigeants à vouer l’avenir du combat à des mythes depuis longtemps révolus : « Nous avons été clairs dès l’automne : ce gouvernement précipite les choses. Ça nous semble malsain au plan démocratique et mal avisé au plan économique. Il devrait, au contraire, s’engager dans un dialogue avec les différents acteurs de notre société, un dialogue social. Oui, nous voulons d’un gouvernement qui décide, mais seulement après avoir tenté d’établir des consensus et fait des compromis. » (4)

En général, le discours syndical tente de dissocier la lutte du Front commun du secteur public de la lutte à l’austérité. Comme si le gouvernement accordera d’une main ce qu’il enlève de l’autre... On fait appel à la bonne foi des libéraux comme une incantation divinatoire. De plus, on fait la promotion du « dialogue social » (5) avec le patronat qui pourtant motive l’offensive dont sont victimes les classes ouvrières et populaires. Bref, on semble croire aux miracles. Parce que ce gouvernement et l’oligarchie sont à l’offensive, qu’ils font fi du plus élémentaire respect de la démocratie, qu’ils reviennent sur ses engagements, électoraux ou autres, qu’ils remettent sur les rails les systèmes de copinage et de prédation des ressources naturelles du Québec, on se demande bien ce qui peut amener les directions syndicales à croire et à faire croire à leurs membres et à leurs alliés que ce gouvernement et ses alliés peuvent faire preuve de « bonne foi ».

Il faudrait faire remarquer aux dirigeants de la FTQ que tout a été fait par les néolibéraux pour réduire la portée de la démocratie et éliminer les obstacles aux réformes néolibérale, tant en ce qui concerne les organismes avec une présence citoyenne (CA d’organismes publics ou parapublics, conseils scolaires, etc.) qu’en favorisant la hausse de l’abstention lors des rendez-vous électoraux et la réduction du nombre d’éluEs ou en reniant ses engagements. Et ce phénomème n’est pas le fruit que quelques individus assoiffés de pouvoir mais une tendance lourde commune à toutes les société capitalistes avancées.

Comment débloquer la situation ?

Il n’est pas simple de dégager les axes d’une bataille que l’on veut victorieuse. Jamais l’issue d’une telle lutte n’est prévisible à l’avance. La victoire n’est jamais certaine. Mais il est d’ores et déjà clair que

 toute concertation avec les libéraux ou les péquistes n’aura comme objectif que la gestion des reculs. Les rythmes peuvent être différents mais le résultat sera le même.

 d’évoquer la précipitation gouvernementale et d’organiser quelques manifestations ont fait la preuve de leur insuffisance devant la volonté patronale très ferme d’imposer les réformes régressives. Dans ce cas, il faut remettre sur la table certains moyens qui ont fait leur preuve dans le passé mais que 30 ans de concertation patronale, syndicale et gouvernementale a semblé effacer des mémoires de nos organisations.

D’abord, mettre fin à la naïveté – non les libéraux ne négocient pas de bonne foi. Les négociations du secteur public se déroulent dans un contexte d’austérité. Quelques manif, même avec une participation massive, ne seront pas suffisantes pour ramener ce gouvernement à la raison et gagner les faveurs de la population. Il s’agit d’une bataille de longue haleine afin de construire un rapport de force. Une observation rapide de la situation mondiale suffirait à faire comprendre que les gouvernement ont la carapace de plus en plus dure et bien que des mobilisations importantes ont lieu, les gouvernements en font fi et poursuivent leur politiques autant que la situation le leur permet, quitte à montrer les limites de la démocratie parlementaire actuelle ou à se retrouver dans l’opposition pendant quelques temps.

Le message que les mouvements sociaux envoient doit être suffisamment rassembleur pour que l’ensemble des classes subalternes soient interpellées par les enjeux de la lutte. Il faut viser l’unité la plus large des secteur sociaux visés par les mesures d’austérité. Il faut trouver des formes de démocratie citoyenne qui favorise la participation du plus grand nombre et qui vont au-delà de la ligne de partage personnes organisés-non organisés. Et enfin, il faut démontrer une volonté certaine de vaincre. Une attitude hésitante n’est pas mobilisante dans la période actuelle où les mouvements sociaux ont désespérément besoin de victoires, même les plus modestes.

Indépendance par rapport aux partis austéritaires

La plupart des mouvements sociaux n’ont aucune difficulté à mettre libéraux et caquistes dans le panier des parti prônant une austérité tout azimut. Plusieurs trébuchent sur le PQ tant ce parti a élevé la barre de la politique caméléon si chère aux partis qui prétendent entretenir des liens avec les classes subalternes. Par exemple, des syndicalistes ont manifesté leur appui à la candidature de Martine Ouellet à la tête du PQ. (6) On adopte une attitude différente selon que l’on est dans l’opposition ou au pouvoir. Et une fois au gouvernement, ce parti a gouverné comme les libéraux avant eux et en revenant sur leurs engagements. L’expression « flash à gauche, tourne à droite » reflète bien cette attitude. Il faut une rupture claire avec ce parti qui parle des deux côtés de la bouche.

Être candidat au pouvoir – construire l’outil politique pour appliquer nos solutions

Contester les politiques néolibérales, si les mobilisations sont au rendez-vous, peut permettre de ralentir le train des mesures, leur férocité, l’arrogance du pouvoir. Cela peut même permettre d’imposer des réformes importantes à la classe dominante en perturbant son agenda comme l’ont démontré les étudiantEs chilienNEs. Mais il ne mettra jamais un terme à cette course aux réformes régressive exigées par l’oligarchie. Devant la monopolisation de la scène politique par des partis qui se distinguent seulement par le rythme des réformes anti-sociales, on doit dans un premier temps s’acharner à briser ce monopole. C’est ce que les militantEs qui ont mis sur pied Québec solidaire ont à l’esprit. Il faut maintenant cesser de faire comme si le PQ était une alternative valable et construire dès maintenant l’outil qui permettra non seulement de s’opposer aux politiques néolibérales, mais de nous mettre en position de concrétiser nos propres solutions.

Notes

1- http://quebec.radiox.com/emission/maurais_live/article/president_de_csn_ne_comprend_pas_le_mouvement_etudiant

2- http://www.ledevoir.com/politique/quebec/437904/projet-de-loi-28-les-liberaux-accuses-de-se-harperiser

3- http://refusons.org/le-1er-mai-la-convergence-des-luttes-contre-lausterite/

4- http://quebec.huffingtonpost.ca/daniel-boyer/m-couillard-la-democratie-existe-aussi-apres-les-elections_b_7119682.html

5- http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/438123/front-commun-patronal-syndical

6- http://www.ledevoir.com/politique/quebec/438340/pq-martine-ouellet-presentee-comme-une-bouffee-d-air-frais-par-des-syndicats

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