Édition du 19 novembre 2024

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Syndicalisme

Commission Charbonneau et « syndicalisme voyou »

Première partie

"Le syndicalisme, c’est pas une patente, une compagnie [...] c’est une façon de vivre de la classe ouvrière qui ne peut se défendre autrement qu’en étant SOLIDAIRE."

Michel Chartrand (1916-2010)

Aldo Miguel Paolinelli est un ex-président de la CSN-Construction


Commission Charbonneau : FTQ-C, patrons et crime organisé

La mise sur pied de ce que nous connaissons aujourd’hui comme la Commission Charbonneau nous a permis de découvrir une partie de l’échafaudage de collusion, de corruption et de financement occulte des partis, qui s’est constitué au niveau municipal. Mais bizarrement nous n’avons rien su, ou pas grand chose, sur le même phénomène qui s’est constitué au niveau national et qui concerne des partis politiques provinciaux comme le PLQ et le P.Q.. Bizarre, puisque les acteur-opérateurs en cause sont sinon exactement les mêmes, du moins étroitement liés les uns aux autres ! Cependant depuis, une nouvelle fenêtre d’information s’est ouverte quant à l’infiltration du crime organisé dans « certains » syndicats du milieu de la construction : la FTQ-C et quelques uns des ses locaux.

Les preuves qui sont avancées à la Commission sont accablantes et démontrent que le "cocktail" était (et est encore) composé de cuatre ingrédients fondamentaux : des « dirigeants syndicaux », des entrepreneurs, des politiciens et le crime organisé (motards et mafia ) auxquels il faut ajouter le condiment du Fonds de Solidarité de la FTQ.

Pour les moins avertis et pour ceux et celles qui ont fait ces dernières années de l’aveuglement volontaire, tout ça peut être surprenant et apparaître comme un nouveau scandale. Pourtant depuis plusieurs décennies il y a une organisation syndicale qui n’a cessé de dénoncer cette situation : la CSN-Construction ; elle qui depuis (au moins) la commission Cliche (1975) et à travers son président de l’époque, Michel Bourdon, décrivait et dénonçait la même situation que celle qui est exposée aujourd’hui à la Commission Charbonneau.

C’est la CSN-Construction qui est aussi à l’origine des dénonciations qui ont permis la mise sur pied de la commission d’enquête sur le scandale de la Gaspesia. C’est elle encore qui est à la source des innombrables griefs posés pour défendre des travailleurs victimes de discrimination et d’intimidation exercées par la FTQ-C avec la complicité des entrepreneurs.

Tout récemment encore, à la Commission des Relations du travail (CRT), la commissaire Kim Legault, a donné raison à la CSN-C et au travailleur Harold Richard qu’elle défendait, en tranchant à l’encontre des prétentions du local affilié 791 de la FTQ-C et de son homme de bras, Bernard Gauthier alias "Rambo".

D’ailleurs pour toutes ces luttes, toujours menées au nom des intérêts les plus legitimes des travailleurs, la CSN-Construction a dû payer –en termes politiques— le prix fort, notamment en termes de représentativité syndicale. Car il est très difficile de combattre tout à la fois les pratiques des patrons de la construction et celles, antidémocratiques et discriminatoires, de certains syndicats hégémoniques dans le milieu. Lutter contre ces deux alliés objectifs, en mettant de l’avant les principes les plus chers à la tradition syndicale combative et progressiste, nécessite beaucoup d’énergie et de conviction ainsi que des moyens et des alliances politiques et syndicales à l’extérieur même du cercle de la construction. Cette bataille ne peut pas se faire non plus sans la prise de conscience des ouvriers et ouvrières de la construction, et sans leur mobilisation grandissante.

De manière générale le mouvement syndical a toujours eu un regard oblique et même méprisant envers le syndicalisme dans la construction, se montrant incapable de faire la distinction entre les différentes courants politiques et organisationnels qui le constituent. Et l’on entend toujours répéter les mêmes préjugés : " la construction est un monde à part" (…) "les lois de relations de travail du milieu de la construction sont trop compliquées" (...) "les gars de la construction ont une culture de gros bras", etc, etc.

Évidement ce type de préjugés a aidé à la ghettoïsation du syndicalisme de la construction et a ainsi renforcé à travers le temps, une "culture syndicale" collaborationniste, corporatiste et affairiste. Les relations de promiscuité entre d’une part la FTQ-C et le CPMCQ et d’autre part les grands, moyens et petits entrepreneurs auront permis d’installer la confusion au niveau des rôles de chacun, à un point tel qu’il est difficile de savoir aujourd’hui qui défend quoi.

Le fonctionnement de "certaines" de ces organisations se caractérise par un paternalisme qui n’a rien en commun avec la responsabilisation syndicale, mais qui permet le développement d’un clientélisme pernicieux, concentré dans les mains des "agents d’affaires" dont le très grand pouvoir s’est substitué à celui de ses membres. La mécanique démocratique a ainsi été remplacée par la machine bureaucratique, mais bien entendu, sans que personne ne veuille le reconnaître !

L’absence de participation démocratique au sein de ces organisations dites syndicales, explique aussi, en partie tout au moins, l’émergence de "dirigeants" du style de "Dédé" Desjardins, et plus récemment de gens comme Jocelyn Dupuis de la FTQ-C. Quoique la liste des noms est plus grande encore.

Les détails qui sont mis actuellement en lumière à la Commission Charbonneau, démontrent hors de tout doute les liens et contacts de quelques individus avec le crime organisé ; chose que la CSN-Construction a toujours dénoncée en mettant en évidence que le contrôle du milieu ouvrier par ces organisations « voyous » constituait la troisième patte de l’exploitation des ouvriers et ouvrières de la construction, les deux autres pattes étant l’exploitation patronale et le système politique qui la conforte.

Les écoutes téléphoniques utilisées par la Commission permettent par exemple d’entendre Jocelyn Dupuis avoir des échanges très amicaux avec des membres de la pègre. On l’écoute aussi tricoter des intrigues et complots pour se maintenir au pouvoir à l’aide de criminels, et plus encore justifier sans aucune gène devant la Commission ses relations avec de gros entrepreneurs, affirmant que ce sont des « relations d’affaires » pour en suite se corriger et dire que son cerveau lui ayant joué un mauvais tour, il voulait plutôt parler de « relations de travail » (sic !).

La droite et le mouvement syndical

La situation actuelle prend ses racines des décennies en arrière. Et mis à part quelques honorables militants entêtés et certaines interventions menées ici et là au sein d’organisations particulières, personne n’a combattu vraiment ces pratiques maffieuses. Pire que ça, de manière générale tout un système de silence s’est mis en place pour ne pas "nuire" à certains alliances intersyndicales, notamment au niveau des négociations dans la fonction publique. Et souvent l’argument massue que l’on nous servait pour parer à la dénonciation des ces agissements, était "l’intérêt supérieur de la classe ouvrière".

Mais voilà qu’à force de se fermer les yeux, le problème a fini par nous rattraper pitoyablement !

La droite économique et financière ainsi que ses représentants politiques utilisent tous ces scandales pour attaquer le mouvement syndical dans son ensemble en créant démagogique- ment le sentiment dans la population que toutes les organisations syndicales fonctionnent de la même manière. Et comment ces dernières réagissent-elles ? Elles s’enferment encore plus dans le silence, ce qui les affaiblit d’avantage.

Mais si à l’inverse, le mouvement syndical, pouvait malgré les différences qui existent en son sein, prendre les devants pour dénoncer l’ensemble de ces pratiques antisyndicales, nous serions dans une bien meilleure posture pour contrecarrer les attaques dont les travailleurs sont aujourd’hui les premières victimes. Sans cela, le mouvement syndical risque de payer très cherce manque d’autocritique.

Aldo Miguel Paolinelli
Ex président de la CSN-Construction

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