Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Comment les Québécois votent-ils ?

À cette question assez simple, on pourrait répondre assez simplement : comme tout le monde. C’est bien possible, mais cela n’explique pas davantage ce qui s’est passé le 7 avril dernier.

À mesure que les eaux se décantent, ce qui était brouillé pour plusieurs apparaît plus clair. Il serait très présomptueux de sous-estimer l’intelligence collective des électeurs. Aussi est-il intéressant de décortiquer l’ensemble des facteurs qui jouent dans les choix électoraux d’une société.

On doit d’abord se rappeler que les gens décident à partir des données dont ils disposent. Or, à moins d’être féru de politique comme le sont quelques spécialistes, la moyenne des ours n’a pas connaissance de tous les programmes, de tous les faits et gestes des candidatEs ni de tous les liens qu’elles et ils entretiennent avec tel groupe idéologique ou avec telle entreprise.

Savoir tout cela exige une recherche à temps plein. Entre les activités quotidiennes, les exigences domestiques, le travail et ses loisirs préférés, la connaissance politique obtient la portion congrue et on serait bien prétentieux d’en exiger davantage. C’est l’éducation citoyenne, dès la formation scolaire, qui peut intégrer la préoccupation pour les affaires de la cité, mais cette part de la vie active est nécessairement limitée.

L’orientation idéologique des choix est aussi déterminée par l’hégémonie culturelle. Or, le caractère hégémonique de la pensée néolibérale est un fait patent. Un changement à cet égard ne s’opère pas seulement par une prise de conscience, c’est tout un environnement ainsi que de nombreux réflexes acquis qui doivent être modifiés. Quand, par exemple, des enseignantEs parlent de leur « clientèle », l’impact idéologique de cette référence peut leur échapper, mais la relation réelle qui se crée est déjà modifiée.

Quand on invite des politiques à débattre la question : Qui va payer la dette ? Il y est impossible de penser hors du cadre idéologique selon lequel une série d’énoncés implicites ne sont jamais remis en question : il y a une dette à payer, la dette d’un État peut être divisée par le nombre de ses citoyens, cette dette est une mauvaise chose, ceux qui doivent payer la dette sont les citoyens ordinaires, etc.

C’est l’hégémonie culturelle qui fait en sorte qu’on puisse voter contre ses propres intérêts, ce que Thomas Frank décrit dans son livre What’s the matter with Kansas ? (2004), traduit en français sous le titre Pourquoi les pauvres votent à droite.

À cela s’ajoute, une part de ce que j’ai appelé dans mon billet du 4 avril 2011 le vote libidinal.

Puis au Québec, le scrutin majoritaire uninominal à un tour fait en sorte que la fonction de Premier ministre est accordée au chef du parti qui obtient le plus de députés. On ne peut donc faire un choix local différent si on veut un choix national donné. Si je préfère donner le pouvoir au parti X, je voterai parti X dans ma circonscription sans égard à la qualité des candidats locaux.

Finalement, et ce n’est pas le moindre des facteurs, le discours public en est rendu au point où, en fait, ce ne sont pas les partis mais plutôt les personnalités des chefs qui sont considérées. Nous avons été nombreux à nous étonner que les électrices et électeurs votent pour le Parti libéral 18 mois à peine après l’avoir chassé du pouvoir. Mais, il suffit de constater que ce n’était pas le même chef, donc c’est comme si c’était un tout nouveau parti, même si son équipe n’était pas si différente, même si ce nouveau chef a lui-même fait partie de cette équipe auparavant.

En effet, le discours public efface toute autre chose que la personnalité du chef. Vous remarquerez, si vous sortez des cercles particulièrement intéressés par la politique, en discutant avec n’importe qui, y compris des détentrices et détenteurs de doctorat, que lorsqu’on parle choix électoral, on nomme les chefs, pas les partis, pas les candidats locaux, même pas les plateformes électorales, encore moins les programmes.

Les électrices et électeurs votent nationalement, et votent pour une personne. C’est une sorte de présidentielle dans un régime qui n’a rien de présidentiel ni de proportionnel.

Comment changer tout cela ? Changer le mode de scrutin n’est qu’une partie. Ce sera loin de tout régler, mais c’est un minimum.

La tâche la plus ardue et la plus longue, c’est de modifier l’hégémonie culturelle. À cet égard, on trouve des pistes fort intéressantes dans un article de Pierre Mouterde : Quel avenir pour Québec solidaire ?

Sans s’interdire de prendre une petite pause au besoin, je conclurai comme mon camarade Mouterde : « Il ne reste qu’à se retrousser les manches. »

Francis Lagacé

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