La Confédération nationale des étudiants chiliens (Confech) a fixé au jeudi 16 avril sa première mobilisation de rue. Cette mobilisation aura lieu alors que la légitimité du politique connaît ses pires moments, après que des actes de corruption impliquant des parlementaires avec la complicité des grandes entreprises aient été révélés.
Valentina Saavedra Paredes (24), présidente de la Fédération des étudiants de l’Université du Chili (FECH) et porte-parole de la Confech a déclaré que la corruption doit être éradiquée complètement et que de nouvelles force doivent redéfinir la politique comme une activité au service de la majorité. Elle a annoncé que cette année, le mécontentement social s’exprimera par une demande croissante de participation à la solution des problèmes dans des domaines aussi divers que l’éducation, les bas salaires, la santé ou la destruction de l’environnement. Elle a souligné la nécessité de renforcer le processus de mobilisation sociale qui culminera dans une nouvelle constitution pour remplacer l’État soumis aux puissants par un État des droits sociaux.
Le débat s’est centré sur la crise du système politique. Qu’en pensent les étudiants ?
"La presse banalise les allégations de corruption et l’influence des grandes entreprises dans la politique, comme dans une émission de téléréalité. Je me souviens de l’entrée au Congrès de “l’équipe Koala “. Il est important d’aborder ce débat avec une approche systémique et non pas comme un problème particulier à chaque parlementaire. Ici, il ne s’agit pas seulement de responsabilité individuelle.
Ceux qui ont commis des crimes doivent être punis ; mais le problème est plus profond. La droite et la nouvelle majorité ne sont pas disposées à faire face au problème de fond. Probablement les parlementaires accusés ne sont pas les seuls qui ont trempé dans des pratiques de corruption, et il faut considérer également la responsabilité des entrepreneurs.
Beaucoup de députés ont renoncé à leur devoir de répondre aux besoins du pays et ils sont au service du pouvoir économique. À ce stade-ci, nous ne voyons pas de grandes différences entre les deux coalitions ".
Que pensez-vous de la commission présidentielle créée pour faire des propositions sur l’influence des entreprises dans la politique ?
« Quand la première session de la commission a eu lieu, nous avons manifesté à La Moneda, parce que nous croyons que la solution proposée par le président pour lutter contre la corruption politique est insuffisante. On ne peut se contenter de proposer des modifications législatives ou recettes d’experts.
C’est la démocratie qui est la plus affectée par cette situation, et il faut la renforcer avec la participation active de la société, en rendant transparents les processus mis en oeuvre par le gouvernement et par le Congrès. Nous devons exiger que la politique soit faite pour la majorité. Nous voulons que les débats sur la réforme soient transparents. Ces politiques ne seront pas légitimes ou efficaces si les acteurs sociaux n’en sont pas parties prenantes.
L’ancienne commission d’experts sur l’éducation de Bachelet a créé la loi sur l’enseignement général (LGE). Je ne sais pas quels changements on peut attendre de ces groupes d’avocats et de magistrats. Le problème est que dans une société néolibérale, même les conclusions les plus aberrantes peuvent être justifiées par des chiffres.
Nous devons d’abord comprendre quel genre de société nous voulons construire et seulement alors, nous pourrons passer à un niveau technique. Ces commissions travaillent sur un paradigme qui est néolibéral et pro-business. De celles-ci, il peut en résulter qu’une mise à jour du système.
Si il y a des scandales aussi importants que ceux de Penta, Caval et de SQM, le minimum acceptable est d’enquêter sur ces affaires jusqu’au bout. Tout le Chili a le sentiment qu’ils continuent de commettre des crimes liés à la collusion entre les grandes entreprises et de l’élite politique ».
Avez-vous des doutes à cet égard ?
"Nous sommes préoccupés des signaux donnés par certaines autorités. Il est permis de soupçonner qu’elles freinent l’avancée visant à tirer au clair les plaintes. Si elles sont si préoccupées, nous pouvons présumer qu’elles veulent cacher quelque chose. Le Service des Impôts et la Cour constitutionnelle se sont activés quand est apparu l’affaire SQM. Il est permis de présumer que leur réaction n’a pas été spontanée. Quand le débat se faisait autour de l’affaire Penta, la nouvelle majorité réclamait une enquête coûte que coûte. Mais quand d’autres affaires qui auraient pu les impliquer ont éclaté, les institutions ont serré les rangs et ont manoeuvré pour empêcher que des enquêtes aient lieu.
Les pouvoirs sont conscients que cela peut être un énorme scandale et beaucoup commencent à répéter la phrase : « Laissez les institutions fonctionner ». C’est fallacieux lorsque l’on considère la façon dont les membres de la Cour constitutionnelle sont nommés ou qui en nomme le directeur.. Si les institutions doivent allégeance à certains secteurs politiques, elles peuvent difficilement être neutres.
Cette crise doit s’approfondir car dans la mesure où elle s’approfondira de véritables espaces s’ouvriront permettant de changer la réalité de la politique. La chose la plus importante est maintenant de tout nettoyer pour que de nouvelles forces soient capables de mettre fin à ces relations cachées entre politiques et entreprises apparaissent au grand jour".
Beaucoup craignaient que le discrédit de la politique débouche sur l’anarchie.
"De nouvelles forces vont émerger parce que des secteurs souhaitent faire de la politique sur la base des intérêts de la majorité. On ne voit pas encore clairement ces forces de remplacement, mais nous travaillons à les construire. Il y a un large intérêt dans les organisations politiques non formellement constituées, à travailler à une alternative à cette caste qui, aujourd’hui, fonctionne sous l’aile protectrice de la grande entreprise.
L’émergence de nouvelles forces politiques est un défi particulier pour la gauche, mais nous devons surmonter l’arrogance de certains qui pensent qu’il sont les seuls à pouvoir bien faire. Comme la Gauche Autonome, nous sommes maintenant dans un processus visant à se donner une cohésion interne. Mais le scénario actuel exige plus et nous devons être à la hauteur des circonstances ".
Quelle est l’importance de l’idée de commencer un processus constitutionnel ?
"Nous sommes d’accord pour une nouvelle constitution et la meilleure façon d’y parvenir est une assemblée constituante. Les différences surviennent lorsqu’on discute des voies pour y parvenir. Le problème est que si nous gagnons l’espace d’une Assemblée constituante, rien ne sera joué pour nous. Le rapport de force actuel nous empêche maintenant d’obtenir une constitution qui reflète les valeurs et les intérêts de la majorité. Avec un rapport de force défavorable, nous aboutirons à une constitution néolibérale comme la constitution actuelle.
Ce qui fondamental, c’est le processus constitutionnel, et nous ne pouvons pas laisser l’anxiété nous gagner. Ce sont les luttes concrètes pour articuler les mouvements sociaux derrière une nouvelle conception du pouvoir qui peuvent déboucher sur des réalités nouvelles. Nous voulons une Assemblée constituante pour élaborer une constitution pour mettre fin à l’État actuel et qui garantira aux citoyens le renforcement de droits plus égalitaires. La route est importante pour le but, et sa réalisation devrait impliquer toutes les forces politiques et sociales. Nous devons créer les conditions permettant de renforcer les espaces de lutte pour l’éducation, la santé, la défense des territoires et l’environnement ".
Quelles sont vos prévisions pour 2015 ?
"Je sens un malaise général et une grosse déception. Il peut arriver une explosion sociale. Soudain, nous avons découvert que l’élite politique n’a aucune préoccupation pour le bien-être de la société. Cette constatation précipite une crise qui ne sera pas résolue en quelques mois. Il y a une profonde délégitimation des personnels qui exercent le pouvoir et elle ne pourra être résolue, car elle a touché la fibre profonde de la société. Il est très difficile de revenir en arrière. Bachelet était l’image intouchable de la nouvelle majorité. Après l’épisode de son fils, le public n’a plus confiance en personne.
Cette crise s’aggravera, car il y a une plus grande prise de conscience de la nécessité d’approfondir ; mais nous ne savons pas bien comment la résoudre. Cette année le malaise s’exprimera dans les rues et nous espérons que cela se traduira par l’organisation et la mobilisation de toute la société ".
Que défend le mouvement étudiant face à cette situation ?
"Nous voulons plus de démocratie et une meilleure démocratie. À quel point le conflit en éducation va-t-il déterminer le cours des événements. Nous allons voir si la nouvelle majorité représente une nouvelle façon de faire de la politique ou tout simplement la même chose que la politique discréditée. S’il n’ y a pas un changement de comportement, la crise s’approfondira.
Parallèlement, il est nécessaire de construire des alternatives avec les forces vives de la société, pour faire place à une véritable gauche, qui est attendue par ceux qui sont déçus par la nouvelle majorité. Nous devons travailler dur pour cela.
Ce sera une année de mobilisations, nous nous exprimerons dans les rues et nous ferons des propositions. Nous nous efforcerons de renforcer le mouvement social, pour élargir et diversifier ses appuis. Beaucoup pensent que la présence de Ricardo Sande, dirigeant de droite et président de FEUC dans la Confech, compliquera les choses. Mais les accords ont été conclus. Alors, les porte-parole exprimeront la voix de la majorité, tout ira bien.
Nous allons aussi travailler de concert avec les enseignants, les élèves du secondaire, avec des travailleurs de l’éducation, les parents et les tuteurs, avec les féministes, les environnementalistes, avec les villageois et les travailleurs. Les étudiants sont plus dynamiques, mais le malaise est maintenant vécu par toute la société ".
Quels sont les consensus dans la Confech ?
« La logique gouvernementale est une logique mercantile. Elle souligne le caractère secondaire de l’Etat dans l’éducation. Les dirigeants gouvernementaux veulent que nous pensions que la ségrégation et l’inégalité sont intrinsèques à la société. Dans cette perspective, l’éducation devient un outil dans la reproduction des inégalités, plutôt que qu’un moyen d’intégrer à la société.
La Confech considère l’éducation comme un droit qui doit être garanti par l’État ; et elle voit l’éducation comme une responsabilité collective de la société et non pas comme une question qui doit être résolue par chaque personne. Ces principes sont très différents de ceux posés par le gouvernement, lorsqu’ils offrent plus de bourses ou de nouveaux systèmes d’admission ".
Se sentent-ils entendus par le gouvernement et le Congrès ?
"Par le Congrès moins que par le gouvernement. À la fin de 2014, nous avons assisté au Comité de l’éducation du Sénat. Alors que nous faisons nos représentations, les sénateurs étaient absents, ce qui démontre leur mépris de notre opinion. Cependant, la veille ils avaient été présents jusqu’à une heure de la nuit pour écouter la vision de l’Église catholique et des propriétaires. L’année dernière, le gouvernement n’avait pas beaucoup la volonté d’écouter. Il parlait de dialogue, mais cela ne se concrétisait pas et finalement, c’était un un spectacle pour soigner son image sans qu’il ait une uelconque intention de parvenir à des accords ".
Quelle est la responsabilité du gouvernement ?
"Les secteurs sociaux directement impliqués dans ces projets de réforme de l’éducation et du travail ont peu d’impact. Le problème réside dans le manque de participation des travailleurs, des enseignants et des étudiants dans la définition des réformes.
Bien que personne n’aime ces réformes, les autorités gouvernementales affirment que tout est correct. Elles font la sourde oreille à ce que dit la société sur ces sujets. La réforme du travail ne répond pas aux besoins des travailleurs, elle favorise les employeurs, elle impose des pratiques antisyndicales et elle affaiblit les syndicats ".
Publié dans "Full Stop", édition n ° 825, le 3 Avril, 2015
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