Une prise de conscience massive
Les mobilisations menant au Sommet des Amériques ne se résument pas à une fin de semaine d’actions. Elles ont duré plus d’un an et ont impliqué la distribution de dizaines de milliers de journaux, l’organisation de centaines de conférences et la constitution de nombreuses coalitions et organisations au Québec et ailleurs en Amérique.
Le Québec prenait alors conscience des enjeux liés à la mondialisation et des accords de libre-échange tels la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). Comme l’ALENA, l’Accord de libre-échange nord-américain, la ZLÉA prévoyait des tribunaux qui donneraient le droit aux « investisseurs » de poursuivre les États dont les réglementations sociale et environnementale pouvaient nuire à leurs profits. Il incluait aussi des protections accrues aux brevets, entre autres dans le secteur pharmaceutique, ce qui est une cause majeure de la croissance actuelle des coûts de la santé. Plusieurs étaient aussi marqués par le fait que la négociation de la ZLÉA, qui remettait en question des pans de souveraineté des pays, soit effectuée de façon antidémocratique. Ainsi, même les députés ne pouvaient avoir accès aux textes en négociation pour pouvoir en débattre. On constatait aussi les effets de l’ALENA, qui favorise la désindustrialisation du Nord et la perte de bons emplois ici pour les déménager au Mexique, où les conditions restent médiocres. Cette politisation de l’opinion publique sur la mondialisation, bien exprimée dans les sondages suivant le Sommet, prit la forme d’une critique du capitalisme et des inégalités qu’il génère, chez de plus en plus de gens.
Une mobilisation massive
Plusieurs types de coalitions (trois dans la ville de Québec) coordonnèrent une partie de leurs efforts en vue du Sommet, mais utilisèrent aussi des tactiques différentes. La question des moyens d’action était d’ailleurs le principal sujet traité par les médias, plus intéressés à savoir la quantité de matraques et de masques à gaz utilisés durant le Sommet qu’à chercher à comprendre les enjeux du libre-échange.
Pendant le Sommet, deux milles représentants des mouvements sociaux de toutes les Amériques se réunirent au Sommet des peuples des Amériques. Les discussions menèrent à l’adoption d’une déclaration soulignant que la ZLÉA était un projet « néolibéral, raciste, sexiste et destructeur de l’environnement ». Sous la coordination du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC), le Sommet se combinait à la fameuse Marche des peuples. Avec ses 60 000 participants, elle a représenté peut-être la plus grande manifestation de l’histoire de la ville, et ce, malgré une campagne de peur relayée par les médias.
Le Sommet des Amériques, c’était aussi 10 000 militantes et militants du nord-est de l’Amérique qui ont été hébergés dans les différents gymnases, hôtels et appartements de Québec. Cette convergence a été le fruit d’un rare moment de collaboration intensive entre les mouvements sociaux du Québec, du Canada et du nord-est des États-Unis. Pour un moment, Québec est devenue le centre du monde.
Le Sommet, cétait aussi sa manifestation d’ouverture et ses 15 000 militantes et militants se rendant, séparés en deux groupes, jusqu’au mur de la honte qui clôturait tout le centre-ville depuis déjà plusieurs jours. Une des manifestations a fait tomber le mur, ce qui reste un des symboles forts de l’époque. À partir de ce moment et pour les trois jours suivants, une pluie de gaz lacrymogènes a été lancée dans les quartiers du centre-ville, entre autres d’hélicoptères et de camions policiers géants.
Sur le plan politique, de l’ADQ au PQ en passant par le PLQ, l’unanimité néolibérale était présente à l’assemblée nationale et appuyait la ZLÉA. Bernard Landry était alors premier ministre du gouvernement qui, avec ses ministres François Legault et Pauline Marois, a procédé à des coupures dans les services publics d’une ampleur qui n’ont jamais été égalées depuis. M. Landry avait d’ailleurs déjà appuyé l’accord de libre-échange avec les É.-U en donnant son soutien aux conservateurs de Mulroney durant les années 1980. En prévision du Sommet des Amériques, la position du PQ se limitait à demander une chaise de plus autour de la table, sans jamais présenter d’analyse sérieuse des dangers de ces accords pour notre perte de souveraineté. Par contre, en opposition à la ZLÉA, on a vu émerger une première convergence de la gauche politique au Québec avec l’Union des Forces progressistes. Cet ancêtre de Québec solidaire a d’ailleurs obtenu un résultat de 24 % aux élections partielles de Mercier, un mois avant le Sommet.
Une victoire, la ZLÉA est tombée, mais la lutte continue
La mobilisation contre le Sommet des Amériques a mené à une victoire. Elle aura été l’une des principales étapes menant au rejet de la ZLÉA en 2005, particulièrement sous l’effet des mouvements sociaux et des gouvernements de gauche d’Amérique latine. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs souligné le rôle qu’a joué l’opposition au Sommet de Québec dans leur cheminement sur cette question et l’élaboration d’alternatives commerciales comme l’Alliance bolivarienne pour les Amériques l’ALBA.
La montée des luttes altermondialistes contre les grands sommets des dirigeants de la planète a été freinée momentanément par les attentats du 11 septembre. C’est paradoxalement le rejet de l’invasion de l’Irak pour son pétrole, justifié par cet attentat et les pseudo armes de destructions massives, qui remobilisera massivement la planète et le Québec. Des centaines de milliers de Québécoises et Québécois ont alors forcé le Canada à ne pas participer à la guerre. Notons que cette terrible invasion fut à l’origine du chaos actuel qui a mené à la création du groupe « État islamique ».
Depuis, des accords de libre-échange ont été maintenus et d’autres ont été signés. L’accord avec les États-Unis (ALENA), qui aurait dû protéger le Canada dans le conflit du bois d’œuvre, n’a finalement pas été respecté, au profit des États-Unis. Par contre, les gouvernements québécois et canadiens se sont régulièrement empêchés d’adopter des politiques sociales et environnementales par peur de ne pas être conformes avec ces accords. La fraude fiscale massive que représentent les paradis fiscaux est aussi facilitée par l’accord de libre-échange entre le Canada et le Panama. L’accord de partenariat transpacifique (APT), récemment signé, est aujourd’hui le plus grand accord de libre-échange. L’accord Canada-Europe de son côté est encore en négociation. Ce qui est en jeu, pour ce dernier, c’est de chercher à permettre l’accès au marché européen du pétrole et du bœuf canadien en sacrifiant les services publics et les fromages (québécois). On ne peut que se désoler du manque de mobilisation actuelle sur ces enjeux.
Vers le Forum social mondial à Montréal
Le Sommet des Amériques fut tout un moment historique qui permit une prise de conscience politique des enjeux liés à la mondialisation capitaliste. Toute une génération de militantes et de militants a été marquée par cette époque.
Le Sommet est aussi, tout comme les mobilisations contre la guerre ou pour l’écologie, la preuve que ce ne sont pas les intérêts individualistes qui poussent les gens à se mettre massivement en action, mais plutôt la volonté de construire un monde meilleur. C’est cet esprit qui risque de se rencontrer de nouveau du 9 au 14 août à Montréal, alors que le Québec recevra des milliers de personnes de partout sur la planète dans le cadre du Forum social mondial. Ce sera un autre grand moment pour se coordonner afin de construire un autre monde. Du côté de Québec, la région reste particulièrement dynamique, comme en témoigne la diversité des activités présentées sur ce calendrier militant : http://media.reseauforum.org .
La crise économique mondiale de 2008 a démontré la justesse des revendications de l’époque : déréglementer le capitalisme, c’est laisser les puissances de l’argent provoquer des krachs et des récessions. Les scandales actuels liés aux paradis fiscaux sont aussi liés à des accords de libre-échange comme l’accord Canada-Panama. Il faut en tirer des leçons et avoir le courage politique de faire d’autres choix, celui d’un commerce respectant les droits humains et la souveraineté des peuples.
Jean-Pierre Duchesneau, membre et candidat de Québec solidaires Montmorency lors des dernières élections