Dès que la Russie cherche à s’affirmer au même titre que n’importe quelle autre puissance du monde capitaliste, on ressort des boules à mites l’expression de « guerre froide ». C’est le cas du conflit au sujet du Pôle Nord, de l’Ukraine et de plusieurs autres événements. Mais on oublie qu’il s’agit d’un pays capitaliste qui se comporte comme tout pays capitaliste. Les ressources de l’océan Arctique intéressent la Russie tout autant qu’elles stimulent l’appétit insatiable des firmes canadiennes, états-uniennes, danoises et norvégiennes. Son comportement à l’égard de l’Ukraine est condamnable, mais pas plus que celui de n’importe quelle puissance lorsque ses intérêts géopolitiques sont en jeu, dans ce cas-ci la progression ininterrompue de l’OTAN vers l’Est.
Le livre s’intéresse plus particulièrement aux rapports sociaux qui font la singularité de ce pays capitaliste. La dynamique politique, économique et sociale y est présentée non pas sous l’angle libéral du bon capitalisme contre le mauvais, mais bien sous celui, autrement plus fondamental, des rapports entre le capital et le travail. Il s’agit donc d’examiner les particularités du capitalisme russe. L’extorsion du surtravail (la plus-value) comporte des spécificités qui la distingue en partie de celle que l’on retrouve dans les autres pays capitalistes. De même, les contraintes à l’accumulation dans une économie périphérique ne sont pas les mêmes que dans les sociétés les plus développées. Dans le cas de la Russie, le caractère périphérique de son économie se double de l’héritage de la période soviétique. Pendant quelques années, cet héritage a pu faire illusion quant à ses capacités productives. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sa dépendance est devenue manifeste.
Par ailleurs, si la thérapie de choc des années 1990 a eu pour effet d’entraîner la population non pas dans la contestation du nouvel ordre établi mais dans des stratégies de survie individuelle, la situation a commencé à se rétablir avec la croissance du niveau de vie dans les années 2000. Dans certains secteurs, des syndicats plus combatifs se sont imposés, en dépit de toutes les difficultés, notamment la persistance de la tradition soviétique paternaliste de rapports entre la direction et les employés et la nécessité de faire l’apprentissage de la lutte pour améliorer les conditions de travail dans un contexte capitaliste. De même, la privatisation des logements dans les grands immeubles a incité les occupants à prendre en charge la gestion des lieux communs. Des comités d’immeuble ont été mis sur pied, avec des pratiques de démocratie directe susceptibles d’avoir des retombées intéressantes en matière de pratiques militantes et de politisation.
L’ouvrage tient en neuf chapitres. À différents degrés, les auteurs, tous liés au milieu universitaire, sont engagés dans les luttes politiques et sociales, principalement en Russie.