Tiré de Plateforme altermondialiste.
Militarisation et dislocation
Les médias mettent l’accent sur les interventions des groupes djihadistes internationaux, comme Daesh, Al-Qaida au Maghreb islamique ou l’État Islamique dans le Grand Sahara. Au Burkina, ces organisations sont certes présentes, mais ils ne pourraient faire beaucoup s’ils n’étaient pas appuyés par des insurgés locaux comme Ansaroul Islam et Ansar Eddine (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). Dans la province de Soum, les insurgés attaquent écoles, bâtiments administratifs, postes frontaliers, tout en dressant des embuscades contre les soldats burkinabés et même le contingent militaire français (4 500 soldats). De plus en plus, les affrontements sont transfrontaliers, vers le Niger et le Nigeria, le Bénin, la Côte d’Ivoire, ce qui a conduit à la constitution du « G-5 », une coalition militaire incluant cinq États de la région(Burkina, Mali, Niger, Tchad et Mauritanie). Cette initiative n’a pas jusqu’à date donné de grandes résultats, les forces armées participantes étant très hésitantes à se coordonner en profondeur. On ne peut pas dire non plus que la présence de 13 000 Casques Bleus sous le drapeau de l’ONU mais en réalité sous le commandement français, n’a eu à date un grand impact.
Internationalisation du conflit
Ce contexte permet aux djihadistes d’opérer sur un grand territoire d’une manière décentralisée. Ils s’appuient d’un pays à l’autre et profitent de l’interpénétration de réseaux criminalisés avec des secteurs corrompus des pouvoirs et de l’armée un peu partout. La soi-disant « lutte contre le terrorisme » est instrumentalisée par des gouvernements fragiles pour bloquer les processus de démocratisation et renforcer des pouvoirs discrédités. Au Burkina, les djihadistes bénéficient d’appuis plutôt passifs de populations critiques face à l’inaction du gouvernement par rapport à la famine et aux actions répressives de l’armée. Un autre facteur est l’omni présence de la France dans la région. On lui reproche d’alimenter les conflits dans la tradition coloniale du « diviser pour régner ».
La guerre nourrit la guerre
Au total, plusieurs organisations de défense des droits humains affirment que la réponse strictement militaire ne viendra pas à bout de l’insurrection dans le contexte de gouvernances locales disloquées et d’indifférence généralisée de la part de ce qu’on appelle la « communauté internationale ». Pour autant, la ministre française de la défense, Florence Parly, vient d’annoncer une nouvelle relance des interventions militaires pour 2020 dans une région déjà très militarisée. Entretemps, les armées locales restent peu efficaces. Au Burkina, une fronde sourde mais persistante existe entre l’armée et le président Roch Marc Kaboré (un ancien collègue du président déchu Blaise Compaoré), qui craint une radicalisation de ses soldats comme cela est survenu dans le passé, lorsque le capitaine Thomas Sankara s’était emparé du pouvoir dans l’euphorie populaire de 1983 à 1987. De nouvelles élections doivent être organisées en 2020.
Un État dans l’impasse
Depuis l’insurrection contre le régime répressif et corrompu de Blaise Compaoré en octobre 2014, le gouvernement souffre d’un sérieux déficit de légitimité. C’est visible au nord où les contre-coups de la crise malienne et l’effondrement de la Libye facilitent la prolifération de groupes criminalisés et djihadistes qui sont autant d’alliés de circonstance. La trame de fonds de la crise se retrouve cependant dans la situation d’extrême déliquescence sociale et économique. Pendant longtemps, le Burkina était le réservoir sans fond de la main d’œuvre à bon-marché qui a permis le « décollage » de la riche Côte d’Ivoire sous l’emprise du dispositif colonial qui ne considérait pas important de « développer » une infrastructure sociale et éducative, pas plus que l’économie locale.
La ruée vers l’or
Récemment, le Burkina connaît une « embellie » découlant de l’expansion des mines d’or, qui profite surtout aux réseaux du pouvoir et à une poignée d’entreprises multinationales. Mais le conflit est en train d’affecter cette situation. En novembre, les opérations de la compagnie canadienne SEMAFO ont été attaquées provoquant la mort de plusieurs personnes. À côté et en concurrence des grandes entreprises prolifèrent des exploitations artisanales, presque toujours « gérées » par des groupes criminalisés et djihadistes. L’or est exporté illégalement et sans prélèvement fiscal vers le Nigeria, la Côte d’Ivoire et les pays du Golfe, avec la complicité des autorités de ces pays. Faute d’emplois et quelquefois sous la contrainte, un million de Burkinabés peinent dans ces de lieux d’enrichissement et de recrutement des groupes armés. Selon l’International Crisis Group (ICG), les autorités burkinabé ont tenté de fermer certains sites miniers, mais les opérateurs et les mineurs en question se sont tournés vers les djihadistes pour leur protection (ICG, « Reprendre en main la ruée vers l’or au Sahel, 13 novembre 2019).
Une crise prolongée
Des analystes prévoient que le Sahel sera le prochain centre de gravité de la « guerre sans fin » déclenchée en 2003 par les États-Unis et leurs alliés en Asie centrale et au Moyen-Orient. Plusieurs « ingrédients » de l’implosion sont présents : pauvreté et prédation des richesses, dislocation de l’État et des forces armées, montée en puissance de réseaux criminalisés et djihadistes, interventions mal avisées des puissances. Des Burkinabés et des Sahéliens lancent l’alarme. On pourra vaincre le djihadisme, disent-ils, par la démocratie, le développement social, la souveraineté africaine. Et pour cela, il faudra en finir avec des régimes corrompus bien branchés sur des puissances qui perpétuent le colonialisme et l’impérialisme.
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