Le RSP refuse sa dissolution et exige des postes pour ses chefs proches de Blaise Compaoré
Une première fronde d’officiers de ce régiment avait déjà menacé la premier ministre si leurs revendications n’étaient pas satisfaites fin décembre.
Quelles sont-elles ? Les informations qui nous parviennent doivent bien sûr être prises avec un certain recul, mais selon Jeune Afrique et la presse locale, il s’agit du rétablissement d’une prime de fin d’année qui avait été supprimée dans le cadre de mesure pour diminuer le train de vie de l’Etat, le refus de dissoudre le RSP et l’arrêt des réformes les concernant jusqu’à l’arrivée des nouvelles autorités issues des élections de 2015. Ils exigent en plus, la nomination du colonel-major Boureima Kéré, actuellement le chef de corps du RSP en tant que chef d’état-major particulier du président Kafando, et son remplacement à la tête du RSP par lieutenant-colonel Coulibaly, l’ancien aide de camp de Blaise Compaoré qui l’avait accompagné dans sa fuite. L’argument avancé serait d’ordre hiérarchique, mais il s’agit bien de remettre à la tête du RSP et auprès du président de la transition des proches de Blaise Compaoré.
Retour sur le passé de Gilbert Diendéré, chef de tortionnaires et ancien trafiquant d’armes au profit de chefs de guerre dans la région, Jonas Savimbi, Charles Taylor et Guillaume Soro
A la tête des frondeurs, ou tout du moins à la manœuvre, il est en effet difficile d’avoir des précisions, deux chefs historiques du RSP, le général Gilbert Diendéré, et le lieutenant-colonel Boureima Kere.
Gilbert Diendéré était chef d’Etat-major particulier de Blaise Compaoré au moment de sa chute en octobre 2014. On l’a vu, ces dernières années, plusieurs fois sur nos écrans de télévisions lors de la libération d’otages occidentaux. Et c’est lui qui avait découvert, le premier, le lieu du crash de l’avion d’Air Algérie de juillet 2014. Et pour cause il était le véritable chef de la sécurité intérieure du pays.
Mais Gilbert Diendéré a aussi un passé moins glorieux, plus proche d’un criminel que d’un militaire héroïque. Il était le supérieur hiérarchique du commando qui a assassiné Thomas Sankara en 1987. Le RSP s’est illustré par de nombreuses tortures dans les années qui ont suivi l’assassinat de Thomas Sankara (voir un témoignage à www.thomassankara.net/spip.php?article919 ). Peu de victimes ont parlé à ce jour mais un ancien adjudant-chef a témoigné le 3 janvier dernier sur Ouaga FM. Un témoignage horrible ! Nous sommes en train de le retranscrire et nous le publierons très bientôt.
Diendéré est aussi à l’origine de la mort de Jean Baptiste Lingani et Henri Zongo, deux des 4 dirigeants « historiques » de la révolution en 1989. Ils ont été accusés d’avoir préparé un coup d’Etat. Ils se seraient livrés à Diendéré, sur qui il pensait pouvoir compter, mais ce dernier les aurait trahis.
Mais ce n’est pas tout. En 1990, à la suite d’un mouvement revendicatif, de nombreux étudiants sont arrêtés et pourchassés, certains torturés par des militaires du même RSP. L’un de Dabo Boukary n’en survivra pas. Tous les ans le syndicat étudiant l’ANEB organise une commémoration pour exiger la justice et la vérité.
A ce jour on ne sait toujours pas où il a été enterré.
Ce sont encore des membres du RSP qui ont torturé à mort, en 1998, un employé de François Compaoré, le petit frère de Blaise Compaoré, pour tenter de lui soutirer des aveux. Les mêmes qui assassineront le journaliste Norbert Zongo en décembre de la même année, qui enquêtait justement sur cette affaire, en pulvérisant sa voiture par des armes de guerre. A cette époque on évoquait une rivalité entre Gilbert Diendéré et Hyacinthe Kafando, un autre officier du RSP. La mort de Norbert Zongo avait entrainé la première importante mobilisation populaire contre le régime de Blaise Compaoré.
Ce sont encore des membres de la sécurité présidentielle qui ont tiré à balles réelles sur les étudiants lors de la répression d’un mouvement revendicatif en juin 2008.
Gilbert Diendéré ne s’est pas contenté de sévir au Burkina Faso. Il a aussi été impliqué dans la guerre du Libéria et en Sierra Leone, cette guerre qui a fait des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de victimes ; viols, enfants soldats, amputation des bras etc… Ainsi est-il cité dans le procès de Charles Taylor (voir à www.thomassankara.net/spip.php?article1072), pour avoir organisé des livraisons d’armes à pour le RUF, l’allié de Charles Taylor en Sierra Leone. Un accord avait alors été signé entre Charles et Blaise Compaoré pour l’envoi de militaires. Ceux-ci ont lancé plusieurs mouvements de mauvaise humeur pour toucher les primes qu’on leur avait promis. Dans une lettre trouvée récemment au domicile de François Compaoré, pillé le jour de l’insurrection, il nomme encore Gilbert Diendéré !
Le Burkina a aussi contribué à contourner l’embargo au profit de l’UNITA en achetant des armes en Roumanie. On trouve la signature de Diendéré dans une lettre garantissant que la destination finale de la cargaison est Ouagadougou. http://www.liberation.fr/monde/2001/01/05/le-burkina-faso-accuse-par-l-onu-de-trafic-d-armes_350068
Un procédé identique a été utilisé pour livrer des armes en Côte d’Ivoire, Diendéré étant à la manœuvre pour certifier que le Burkina était la destination finale des armes, comme le précise un rapport des experts de l’ONU sur la Côte d’Ivoire (voir http://www.reporterbf.net/index.php/diagnostic/item/338-trafic-illicite-d-armes-vers-la-cote-d-ivoire)
Tous ces trafics sont documentés et dénoncés dans des rapports de l’ONU.
Gilbert Diendéré un ami de la France
C’est ce même Gilbert Diendéré qui a été décoré de la légion d’honneur en France en 2008. Il était proche du général Emmanuel Beth, premier chef de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, directeur de la Coopération militaire et de la défense au Quai d’Orsay qui sera nommé Ambassadeur de la France au Burkina en 2010, son frère d’Emmanuel Beth dirigeant les COS (commandement des opérations spéciales basées à Ouagadougou). Tous deux avaient l’habitude de faire ensemble des sauts en parachute (voir http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2711p056_059.xml0/ )
La dissolution du RSP une vieille revendication
Avec un tel pédigree on comprend la colère des burkinabè de voir un personnage aussi peu recommandable se comporter avec une telle arrogance, venant semer le trouble durant la transition.
Boureima Kéré est moins connu, mais le témoignage à Ouaga FM,cité plus haut, l’indexe aussi comme l’un des commanditaires des tortures dont il a été victime avec une quinzaine d’autres personnes dont il donne les noms. Ce dernier était le véritable chef exécutif du RSP, tandis que Diendéré, qui en gardait toujours le contrôle, était chef d’Etat major particulier de Blaise Compaoré.
La revendication de dissolution du RSP est une vieille revendication notamment issue du MBDHP (Mouvement burkinabè des droits de l’homme) mais aussi de certains partis politiques car il se comportait comme une armée prétorienne au service du régime, voire de Blaise Compaoré. Instrument de répression dont les officiers étaient aussi impliqués dans différents trafics d’armes au profit de chef de guerre, comme on l’a vu en Angola, au Libéria, en Sierra Leone, en échange de diamants, ou en Côte d’ivoire.
Issac Zida affaibli
La position de Zida n’était pas très solide. Il y a bien quelques jeunes qui voient en lui un espoir pour le pays, mais peu nombreux. D’un côté on lui reproche d’être le numéro 2 du RSP. De l’autre le RSP lui reproche de vouloir sa perte.
Il semble avoir sincèrement tenté de commencer à réformer le RSP, voir le dissoudre ou le transférer vers l’armée de terre, notamment en procédant à plusieurs nominations. Il n’a pas eu le temps de mettre en place un réseau de soutien important. En plus, le Reporter, qui fait de nombreuses investigations, a enquêté sur le refus de Zida, de se soumettre à une décision de justice l’enjoignant d’arrêter les travaux de construction d’un immeuble. S’il ne semble pas avoir été mêlé aux nombreuses exactions ou assassinats cités ci-dessus, ce qui reste à vérifier, il a intégré le RSP en 1996, il a cependant été en lien étroit avec Guillaume Soro, le chef des rebelles ivoiriens (voir http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2810p030.xml0/blaise-compaor-isaac-zida-crise-burkina-faso-2014burkina-faso-isaac-zida-toujours-en-premi-re-ligne.html ).
Il a fait beaucoup de déclarations qui ont dû exaspérer une partie des autres officiers du RSP, promettant notamment la dissolution de ce régiment, mais aussi la justice et la vérité sur l’assassinat de Thomas Sankara, dont les auteurs sont issus de ce régiment. Il a procédé à des nominations de militaires, faisait fi des positions hiérarchiques des uns et des autre. Promesses qu’il a du mal à tenir. Il a cependant démis Diendéré de son poste, ce qui n’a pas dû être mais sans pouvoir faire plus. Position combien difficile, alors que, selon la plupart des récits rapportés par la presse, Diendéré aurait contribué à sa nomination en faisant jouer son propre poids et ses réseaux au sein de l’armée, pensant sans doute pouvoir le contrôler. Il peut apparaitre comme ayant trahi alors qu’au début de la transition, beaucoup voyaient en lui, un homme de Diendéré propulsé à ce poste pour contrôler la suite des évènements. Bien que ces accusations se soient atténuées, il est resté une des cibles privilégiées d’une partie de la presse.
Diendéré s’est-il cru les mains libres ?
Malgré le lourd passif partiellement décrit ci-dessus, qui lui aurait valu, dans n’importe qu’elle situation identique dans un autre pays après une insurrection, une arrestation immédiate, Diendéré n’avait pas fui le pays. Mieux il était tranquillement apparu lors de l’investiture du président Kafando. C’est qu’en véritable chef de la sécurité du pays, il est informé immédiatement de ce qui peut éventuellement se tramer contre lui et probablement peut-il aussi compter sur de nombreux soutiens au sein du RSP. Un journaliste, pourtant connu pour ses écrits courageux contre l’ancien régime a même écrit un article proposant qu’on négocie avec lui pour qu’il fasse bénéficier le pays de ses connaissances en matière de sécurité !
Le 31 décembre, une première fronde avait eu lieu de la part d’officiers du RSP contre Issac Zida. Déjà les officiers du RSP avaient posé les mêmes revendications. On cite Diendéré parmi les négociateurs pour trouver une issue ! Zida avait semble-t-il, fait des promesses, et tout était rentré dans l’ordre. Mais les frondeurs avaient fixé un délai. Ce serait la fin de celui-ci qui aurait entrainé cette nouvelle fronde du 4 février.
Mais alors, peu de voix, à notre connaissance se sont élevées pour protester contre ce premier coup de force, combien inadmissible, que ce soit au sein de la société civile ou des partis politiques, en tout cas pas à notre connaissance si ce n’est un article dans le journal Le Reporter. Aucun communiqué.
Par contre, depuis quelques jours, des articles rendaient compte d’une reprise d’activité du CDP et du RDA, l’autre parti qui avait soutenu la révision de l’article 37. On évoque la candidature de Djibril Bassolet, le ministre des affaires étrangères de l’ancien régime, la tenue prochaine d’un congrès du CDP, et le matin même de la dernière fronde, un site annonçait la prochaine candidature de Diendéré au nom du CDP. Il faut sans doute ajouter, à ce regain d’activité, l’hypothèse plus que probable d’actions de Blaise Compaoré depuis la Côte d’Ivoire sur lesquelles cependant l’information passe mal.
D’importantes réformes étaient en chantier
Les forces vives de pays étaient focalisées sur d’autres problèmes. De nombreuses entreprises ont engagé des grèves pour faire aboutir leurs revendications. La coalition contre la vie chère (CCVC) organise des sit-in pour demander une baisse significative du prix des carburants.
Des mobilisations se sont organisées, victorieuses pour remplacer deux ministres, l’un procureur lors de l’affaire Zongo qui, nous le rappelons ,s’est terminée par un non-lieu, l’autre ayant fait de la prison aux USA. Une attention particulière s’est portée sur la diminution du train de vie de l’Etat, notamment lorsque l’on a appris que les députés de la transition devaient toucher 1 700 000 FCFA (10 000FCFA font à peu près 15€) d’émoluments par mois. Après une levée de bouclier et quelques tergiversations, ce chiffre est tombé à 700 000FCFA, à la satisfaction générale sauf, sans doute, celle de quelques députés qui s’étaient refusés à dire publiquement combien ils gagnaient.
Le Conseil national de la transition, de son côté commençait à jouer son rôle d’assemblée « législative », bien que sa composition ait dû être décidée de façon précipitée pour ne pas laisser les militaires prendre trop de poids et accuser les civils d’être incapables de s’organiser. Il a commencé par adopter à la quasi-unanimité le projet de budget ! La mise en place de la commission de réconciliation nationale et des réformes (CRNR), dont il était question dans la charte de la transition, est annoncée pour bientôt. Elle sera composée de 5 commissions : Vérité, justice et réconciliation nationale, réformes constitutionnelles, politiques et institutionnelles, réforme électorale, finances publiques et respect du bien public et gestion des médias et de l’information ! Un programme qui s’annonce ambitieux.
Par exemple une proposition de loi contre la corruption élaborée par le REN-LAC (réseau national de lutte contre la corruption) a déjà été déposée. Et Joséphine Ouedraogo, ancienne ministre de Thomas Sankara, ministre actuelle garde des sceaux, prépare très activement les états généraux de la justice pour tout remettre à plat et en particulier les dysfonctionnements passés. Il s’agit là d’une des revendications les plus brulantes de l’insurrection. Au-delà des promesses des premiers jours, le pays attend des institutions judiciaires, qu’elles relancent les enquêtes sur tous les dossiers de l’ancien régime : assassinat de Thomas Sankara, de Norbert Zongo, mort de Dabo Boukary, mais aussi de nombreux autres dossiers de disparition à mettre au passif de l’ancien régime, alors que de nombreuses familles ne savent même pas où sont enterrés les leurs.
Vers un éclaircissement de la situation ?
La réaction de nombreuses associations de la société civile a cette fois été rapide. Un communiqué commun a déjà été publié appelant à la résistance et à la dissolution. Si on y trouve beaucoup d’associations ayant organisé ou participé à l’insurrection, on note l’absence du MBDHP, très ancienne organisation de la société civile portant pourtant le mot d’ordre de dissolution du RSP. Une conférence de presse s’est tenue jeudi 5 février. Une première manifestation a été organisée à Bobo Dioulasso et une autre à Ouagadougou, sans drainer beaucoup de monde, mais d’autres de plus grande ampleur sont annoncées. Du côté de facebook, on a vu apparaitre massivement des messages, demandant la dissolution du RSP.
La réaction des partis politiques se fait attendre, mais elle devrait intervenir puisqu’une concertation en leur sein a été annoncée.
Aux dernières nouvelles, après une réunion du président Kafando avec les chefs militaires, les frondeurs ne demandant plus la démission d’Issac Zida tandis qu’une commission va être mise en place pour « se pencher sur le rôle futur et le fonctionnement du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) » selon un communiqué de la présidence.
Sommes-nous à la veille d’un nouvel affrontement ? Blaise Compaoré, a précipité sa chute en annonçant vouloir faire voter par l’assemblée, la révision de l’article 37. Le RSP va-t-il précipiter sa dissolution en menant des actions contre les autorités de la transition ? L’arrogance du RSP a en tout cas réveillé les représentants de la société civile. Une fois encore l’action du peuple va être déterminante pour obtenir la dissolution du RSP qui a, à son actif, un bien sombre bilan !!