La préparation de l’insurrection populaire
C’est le 20 octobre que le conseil des ministres annonce que le projet de changement constitutionnel qui doit permettre à Blaise Compaoré de rester au pouvoir, va être soumis à l’Assemblée nationale. Dès le 21 octobre des manifestations se déroulent à Ouagadougou, essentiellement des barrages de routes pour tenter de bloquer la circulation. Elles deviennent plus organisées quelques jours plus tard avec le renfort du Balai citoyen et des comités contre le référendum. Elles vont se dérouler presque sans interruption, soit des barrages de routes, soit des tentatives d’occupation de place, ou encore des caravanes qui sillonnent la ville. Le 27 octobre ce sont les femmes qui manifestent à la maison du peuple et forcent les barrages pour sortir dans la rue, avec à leur tête la députée Saran Séréme, longtemps députée du CDP, qui a créé un parti d’opposition il y a un peu plus d’un an.
La manifestation du 28 octobre, à l’appel du chef de file de l’opposition et des organisations de la société civile fut un extraordinaire succès. Le chiffre d’un million de personnes a été avancé. Il est difficile de le vérifier, alors que la population de Ouagadougou compte 4 millions d’habitants. Le chef de file de l’opposition avait appelé à la désobéissance civile sans, semble-t-il, donner alors de consigne précise.
Par contre, avec à leur tête les leaders du Balai citoyen (voir nos articles précédents), des jeunes ont tenté de camper sur la place, rebaptisée de nouveau place de la Révolution, le nom qu’elle portait pendant la Révolution. À la mort de Thomas Sankara, elle est devenue la « place de la nation ». Ils sont rejoints par un ancien compagnon de Thomas Sankara, le capitaine Boukary Kaboré, en retrait de l’armée. Les forces de l’ordre sont arrivées. Après négociation, les leaders du Balai citoyen ont accepté de quitter les lieux pour éviter les violences et sont partis sillonner la ville pour appeler à la mobilisation. Le lendemain, de nouveau ils ont sillonné la ville en caravane appelant la population à se rassembler autour de l’Assemblée nationale le 30 octobre, date à laquelle devait être mis au vote le projet de changement de constitution. Et le soir ils se sont de nouveau retrouvés, déterminés à y passer la nuit sur les nattes, à la place des Nations Unies, proche de l’Assemblée nationale. Ils ont alors été chargés violemment par les forces de l’ordre. Les députés avaient peu à peu été acheminés à l’hôtel Indépendance Azalaï, tout proche de l’Assemblée nationale, pour qu’ils puissent s’y rendre sans encombre.
De son côté le chef de file de l’opposition avait publié un communiqué, dans lequel il exigeait du président de l’Assemblée nationale de permettre à la population de suivre les débats. L’attention des principaux partis politiques était portée sur la préparation des débats. Ils tentaient de convaincre des députés du CDP ou de l’ADF RDA, partisans du changement constitutionnel de voter contre leur parti. Notons tout de même que le langage est quelque peu différent de la part de Maitre Bénéwendé Sankara, président du Front progressiste sankariste qui, dans un communiqué, appelle à l’insurrection populaire.
30 octobre : l’insurrection populaire
Le jour J, le 30 octobre. La plupart des leaders de l’opposition arrivent à l’Assemblée nationale et se préparent à la séance. Dans la rue, des milliers de personnes sont rassemblées place de la Révolution. Elles marchent au milieu des forces de l’ordre et des militaires, venus avec des chars légers. Elles sont régulièrement gazées, ce qui ralentit leur progression vers l’Assemblée nationale mais il n’y a pas de tir. Les leaders du Balai citoyen sont parmi eux, de même que d’autres organisations comme le collectif anti-référendum. Des forces de l’ordre sont postées tout autour de l’Assemblée nationale pour les empêcher d’approcher. Le défilé puissant s’approche à faible allure, bras en l’air. Les forces de sécurité hésitent, tirent en l’air puis amorcent un mouvement de recul. Les images existent, impressionnantes.
Journée historique ce jeudi 30 octobre 2014 au Burkina Faso. Des milliers de jeunes manifestants ont marché sur l’Assemblée nationale pour dire non à la modification de la loi fondamentale après 27 ans de règne de Blaise Compaoré. La marche s’est transformée en une véritable révolte populaire qui a entraîné la chute du régime en place. Revivez ces images fortes de l’histoire qui s’écrit au Burkina Faso.
La voie est libre. La foule s’engouffre dans les locaux de l’Assemblée nationale qui vont être mis à sac, puis brûlés. Elle se répand ensuite dans les rues et fait le tour des demeures des dirigeants du régime pour y mettre le feu. Puis elle se dirige vers le palais présidentiel. Celui-ci se trouve à Ouaga2000, un quartier récent de la ville, relativement isolé et accessible par de grandes avenues. Un long face à face commence. Difficile de savoir exactement ce qui s’est passé. Les informations sont contradictoires. On parle de mercenaires qui parlaient anglais. Une autre source récente m’explique que c’était bien la garde présidentielle qui était là. Les soldats auraient tiré en l’air, mais pas sur la foule. Le nombre de morts serait moins important que celui annoncé. Pour ma part sur facebook je n’ai vu que deux photos de personnes mortes pour l’instant. Le face à face dure plusieurs heures. Une délégation est même reçue par Blaise Compaoré sans que l’on sache, pour l’instant ce qui s’est passé. Le déroulé de la journée par RFI ne fait pas mention de tirs vers la foule, seulement une délégation y aurait été reçue vers 15h30. Par contre des tirs auraient éclatés devant le domicile de François Compaoré, par sa garde privée, armée jusqu’aux dents, dans un tout autre quartier de la ville. C’est là que l’on compterait les morts.
En fin de journée la foule se replie vers la place de la Révolution scandant le nom de Kouamé Lougué. Celui-ci explique sur RFI qu’il est disponible. De son côté le général Traoré, chef de l’état-major se proclame le président du pays, mais se refuse à renier son allégeance à Blaise Compoaré. Des tractations ont eu lieu entre des militaires et le Moro Naba, l’empereur des Mossis. Le premier ministre avait déclaré assez tôt dans la journée que le projet de révision était suspendu. Difficile de savoir ce qui s’est passé alors, mais la foule se replie. Blaise Compaoré déclare le soir sur canal3, qu’il souhaite ouvrir une discussion avec l’opposition et lève l’état de siège qu’il avait décrété le même jour, sans succès, à 17h30. Visiblement l’armée ne s’était pas exécutée. Il se voit encore comme le chef de l’État. De nombreux pillages sont annoncés en ville, non seulement de domiciles mais aussi de magasins, propriétés du clan Compaoré.
31 octobre l’armée choisit l’un des siens pour la transition
Le lendemain la foule se presse de nouveau place de la Révolution. Mais cette fois c’est le départ de Blaise Compaoré qui est à l’ordre du jour. La démission de Blaise Compaoré interviendra en début d’après-midi. Il s’enfuira du pays peu après. On a appris depuis que la France a participé à son exfiltration. Nous y reviendrons. Une foule se rassemble aussi devant l’état-major de l’armée. Des discussions sont engagées entre les militaires et des représentants de la société civile : Me Kam Hervé et Smockey du Balai citoyen, Ouattara Hervé du Collectif Anti Référendum, et les professeurs Luc Ibriga et Augustin Loada. Ils leur demandent de prendre leur responsabilité, car ils craignent que la situation devienne totalement incontrôlable. Les militaires se concertent et choisissent à l’unanimité, le lieutenant colonel Yacouba Isaac Zida pour gérer la transition. Il viendra le déclarer place de la Révolution, avec à ses côtés l’avocat Guy Hervé Kam, porte-parole du Balai citoyen, dans une déclaration rédigée avec des membres de la société civile dans l’après-midi. Il proclame la suspension de la constitution et la mise en place d’un organe de transition « en accord avec toutes les forces vives de la nation afin d’organiser une transition encadrée en vue d’un retour à une vie constitutionnelle normale ». Le général Traoré se rallie publiquement à cette proposition. La journée se termine dans le calme semble-t-il.
Le lendemain à l’appel de Simon Compaoré, ancien maire de Ouagadougou, la population de Ouagadougou se répand dans les rues pour nettoyer la ville, faisant preuve d’un grand esprit de responsabilité. Le lendemain, une déclaration du CFOP, et des OSC (dont la liste n’a pas été publiée) demande la remise du pouvoir aux civils et appelle à une manifestation pour le lendemain. Des incidents éclatent ce jour là, mais nous ne rentrerons pas dans les détails. Finalement l’armée intervient, notamment devant la radio télévision, puis place de la Révolution. Depuis il n’y a plus d’incidents et le pays est en pleine tractation.
Les forces en présence
– Le CFOP : le chef de file de l’opposition est un terme qui désigne le rassemblement des partis de l’opposition, qui se range derrière le parti qui a obtenu le plus de députés à l’Assemblée nationale. Il s’agit en l’occurrence de l’UPC, dirigé par Zéphirin Diabré, ancien ministre de Blaise Compaoré , avant de devenir président d’AREVA Afrique, poste qu’il a quitté pour se lancer dans la politique de son pays. Nombreux sont les partis d’opposition dirigés par d’anciens ministres ou d’anciens dirigeants du CDP, le parti de Blaise Compaoré. Mais il compte en son sein deux partis de gauche qui ont une certaine représentativité : l’UNIR PS, de Benéwendé Sankara qui était chef de file de l’opposition lors de la législature précédente, et le PDS Metba, dont le leader Arba Diallo, récemment disparu, est arrivé deuxième aux dernières présidentielles. Un autre parti de poids est le MPP dirigé par des anciens dirigeants du CDP qui l’ont quitté il y a un peu plus d’un an.
– Le Balai citoyen : une association créée il y a un peu plus d’un an. À l’origine deux musiciens très populaires, Sams’K Le Jah et Smockey, tous les deux ayant subi des menaces pour avoir écrit des chansons en hommage à Thomas Sankara. Cette association répond à un réel besoin de la jeunesse qui a du mal à se reconnaître dans les partis politiques et se réclame d’une stratégie pacifiste. Elle a une communication particulièrement efficace, grâce à plusieurs membres communicateurs professionnels. Elle se réclame ouvertement des idéaux de Thomas Sankara. Elle se positionne en dehors du champ politique comme une association de vigilance citoyenne pour balayer tous les travers du régime, mais elle a pris aussi à bras le corps des problèmes quotidiens. Par exemple, elle a organisé un sit-in devant la direction de la compagnie d’électricité pour protester contre les délestages trop fréquents et devant un hôpital qui fonctionnait particulièrement mal, obligeant les directeurs à s’exprimer et à faire des promesses d’amélioration.
– L’armée : il existe un corps d’élite, le régiment de sécurité présidentiel, dont les éléments sont souvent issus des commandos de Po, mais l’ensemble de l’armée s’estime défavorisée par rapport à ce régiment d’élite. Ainsi en 2011, une révolte d’élèves, suite à la mort d’un collégien, a été suivie d’une mutinerie qui a gagné pratiquement toutes les casernes, y compris le régiment de sécurité présidentiel, ayant même entraîné la fuite de Blaise Compaoré dans un endroit sécurisé pendant une journée, ainsi que celle de la gendarmerie. Les militaires dénonçaient leurs officiers qu’ils jugeaient corrompus. Cette mutinerie s’est terminée par une négociation en présence de Blaise Compaoré qui a probablement distribué de l’argent.
– Les syndicats : ils sont unis depuis de nombreuses années, se relayant à la tête d’une coordination. Ils sont souvent dynamiques, particulièrement la CGTB, le plus importante d’entre eux, créée à l’origine par des militants issus du parti communiste révolutionnaire voltaïque clandestin, qui se réclame de Staline ! Au sein de l’UGEB, le syndicat étudiant, les militants de ce syndicat sont très influents. Ils critiquent Thomas Sankara, parce qu’il a réprimé ses militants, qu’il a aussi vainement tentés d’associer au processus Révolutionnaire. Les syndicats sont représentatifs et organisent souvent des journées de grève pour leur revendication. Ils sont aussi les plus puissants au sein de la CCVC (coordination contre la vie chère) qui a organisé la veille de l’insurrection populaire, une manifestation pour réclamer une amélioration de l’éducation nationale !
– La Société civile : il existe de nombreuses autres associations de la société civile. D’un côté de nombreuses autres organisations à l’image du Balai citoyen qui tentent d’organiser la jeunesse, souvent de création récente. Mais aussi d’autres très actives, essentiellement composées d’intellectuels de premier plan, tel le Front de résistance citoyenne dont le porte-parole est le professeur Luc Ibriga, président du forum pour l’alternance et Augustin Loada, directeur du GCD (centre pour la gouvernance démocratique) ou le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC). Signalons encore une des plus anciennes, le MBDHP (mouvement burkinabè des droits de l’homme) dans laquelle on dit les militants du PCRV très influents.
– Le peuple : c’est bien sûr le peuple qui a chassé Blaise Compaoré. Le peuple, qui était de toutes les phrases de Thomas Sankara, a été effectivement le principal acteur de ces derniers jours. Il a retrouvé, depuis 2012, une certain confiance en l’avenir, la conscience aussi de sa puissance. Ce sont des foules immenses qui ont envahi les rues.
– Les pressions extérieures : il faudrait bien sûr parler des pressions extérieures, des pays comme la France et les USA, les institutions internationales, la CEDEAO (La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) qui a toujours soutenu, voire proposé le rôle de médiateur à Blaise Compaoré », l’Union européenne, l’Union Africaine et l’ONU. Toutes se manifestent aujourd’hui, bien plus fortement, maintenant que Blaise Compaoré a fui. Il y a tout lieu de penser que tout ce monde est vu d’une certaine méfiance du côté des Burkinabè. Car les pressions semblent beaucoup plus fortes aujourd’hui et de sources diverses, alors qu’elles étaient peu visibles pour dire à Blaise Compaoré de renoncer à son projet de vouloir changer la constitution.
Un civil ou un militaire à la tête de la transition ?
Nous ne détaillerons pas le déroulement des jours qui suivirent les 30 et 31 octobre, car la crise qui en résulte, que le pays vit aujourd’hui, dépend essentiellement du déroulement de ces deux journées et des forces en présence.
Le Balai citoyen avec les leaders du GCD, du FOCAL et du collectif référendum sont donc venus demander aux militaires de prendre leur responsabilité. Les leaders du Balai citoyen ont subi depuis d’importantes attaques les accusant d’avoir vendu la lutte. Ils s’en défendent arguant du fait qu’il fallait rétablir le calme afin d’aller de l’avant alors que les pillages prenaient encore plus d’ampleur et qu’à tout moment des massacres pouvaient intervenir devant la présidence. Ils sont apparus aux côtés du lieutenant-colonel Isaac Zida, commandant adjoint du Régiment de sécurité présidentielle, avec qui ils ont passé de longs moments le 31 octobre. Ils l’ont accompagné pour lire le premier communiqué à la place de la Révolution qu’ils ont contribué à écrire.
On commence à en savoir un peu plus sur ce lieutenant-colonel. Des informations circulent que je livre ici au conditionnel. Il aurait été le seul officier à ne pas avoir été inquiété lors de la mutinerie de 2011. « Il a été accusé de complicité après l’incursion d’un soldat qui a ouvert le feu l’an dernier au sein du palais. Vous vous souvenez de ce soldat, qui a fait irruption au palais, qui a tiré. Le lieutenant-colonel Zida avait été mis aux arrêts de rigueur pendant 48h avant d’être libéré », explique Francis Kpatindé, fin connaisseur de la région (voir http://www.rfi.fr/emission/20141103-francis-kpatinde-parlant-zida-leve-le-poing-comme-sous-sankara/).
À sa charge, ce qui peut expliquer la méfiance d’une partie de la jeunesse actuellement, le Régiment de sécurité présidentielle était la troupe d’élite, favorisée par le régime. Il est l’adjoint de Gilbert Diendéré, chef d’état-major de Blaise Compaoré, souvent cité en même temps que Blaise Compaoré lors du procès de Charles Taylor. Les hommes du commando qui a assassiné Thomas Sankara, étaient sous les ordres de Gilbert Diendéré. Et ce dernier est à l’origine de l’arrestation d’Henri Zongo et Jean Baptiste Lingani, fusillés après avoir été accusés d’avoir fomenté un complot. Mais il apparaît de plus en plus qu’il a joué un rôle important pour éviter qu’on ne tire sur la foule.
Deux autres militaires se sont manifestés durant cette journée. Le général Honoré Traoré, chef d’état-major de l’armée, connu comme un proche de Blaise Compaoré, était soupçonné à juste raison de manœuvrer au profit de Blaise Compaoré. Le nom du général Kouamé Lougué a été scandé par la foule. Il est de la génération de Thomas Sankara et a été renvoyé de l’armée, accusé de vouloir fomenter un coup d’État. On lui a reproché de ne pas se manifester. Mais dans une interview, il explique qu’il s’est senti en danger dans la réunion des officiers au sein de l’état-major. Il a de nouveau semble-t-il tenté plus tard d’aller parler à la radio, mais il en a été empêché. Surtout il n’a aucun homme de troupe et si l’armée ne se rangeait pas derrière lui, il aurait été incapable d’imposer à celle-ci son autorité.
Les dirigeants du Balai citoyen ont dû prendre des décisions rapides. Les leaders du mouvement citoyen, se sentant responsables de cette foule, se sont donc rendus à l’état-major pour demander aux militaires de « prendre leur responsabilité ». Ils étaient avec d’autres membres de la société civile, des intellectuels moins militants, mais très influents. Il fallait éviter un bain de sang devant la Présidence, mais aussi mettre fin au pillage. Ils subissent aujourd’hui des attaques nombreuses. Ils auraient trahi la Révolution, quand on ne les soupçonne pas de vouloir des postes. Pour ceux qui les connaissent, c’est particulièrement malhonnête. En réalité, les dirigeants de l’opposition sont arrivés très tard. Sans doute ne savaient-ils pas quoi faire.
Les attaques viennent aussi d’autres organisations de la société civile. Le Balai citoyen en accuse certaines de vouloir régler des comptes personnels. Le paysage est particulièrement divers et varié, quand on considère leur positionnement, leur compétence ou leur représentativité. Qu’auraient fait ces organisations si le Balai citoyen n’avait pas appelé l’armée à prendre ses responsabilités ? Peu d’entre elles auraient pu se faire écouter comme l’ont été alors les leaders du Balai citoyen dont l’un d’eux était resté dehors dans la rue pour tenter d’éviter qu’elle ne rentre de force dans l’état-major.
Les partis politiques réunis au sein du CFOP ont pu se voir déposséder d’une victoire. Il faut reconnaître à l’opposition le mérite d’avoir parfaitement réussi à mobiliser la population depuis juin 2013 rassemblant plusieurs fois des dizaines de milliers de personnes. Mais si elle était dirigée avant 2012, par des partis de gauche, elle est depuis les élections législatives, largement dominée par des libéraux, tous ayant un moment ou un autre collaboré avec Blaise Compaoré. Il y a donc une grande méfiance de la jeunesse nous l’avons dit, envers le monde politique. Y compris envers les partis sankaristes qui se déchirent depuis longtemps. Un espoir cependant, ils ont entamé un processus d’unification qui pourraient les rendre plus crédibles et plus puissants. Il faut ajouter que l’opposition n’a pas proposé de nom. Les plus en vue ont des ambitions présidentielles. La situation sécuritaire étant maîtrisée, les discussions peuvent désormais s’étaler dans le temps, mais le 31 octobre il fallait des décisions rapides.
Lors du débat sur France24, le 3 novembre, lorsque j’ai expliqué que les dirigeants ont été, un long moment où tout pouvait basculer, aux abonnés absents, le représentant sur le plateau de l’UPC (Union pour le Changement), le parti de Zéphitien Diabré, a répondu qu’il fallait qu’ils se concertent. Il fallait pourtant bien éviter le bain de sang, en particulier devant la Présidence, tout comme les pillages, et faire au plus vite.
De son côté le PCRV dispose d’une certaine force militante. Depuis de nombreuses années, il explique qu’il faut préparer une insurrection populaire. Les organisations dans lesquelles il a une certaine influence, comme la CCVC appelait la veille de l’insurrection à une réforme de l’éducation nationale ! On notera par contre qu’après la chute de Blaise Compaoré, il a appelé à rejoindre la manifestation, convoquée par l’opposition et « les » OSC (organisations de la société civile), place de la Révolution le 2 novembre. Si l’on connaît les partis politiques, la liste de ces OSC n’a pas été publiée, ce qui pourrait mettre en doute la représentativité du signataire, censé les représenter.
Une transition se met en place
Depuis quelques jours, le pays subit d’intenses pressions de la part de la plupart des institutions internationales, mais aussi de la France et des USA. La seule question qui compte serait le retour au pouvoir des « civils ». On peut s’étonner de ce réveil tardif après des interventions, avant la chute de Blaise Compaoré, plutôt peu incisives. Maintenant par contre il est question de sanction. Sans forcément l’annoncer, une succession de messages fermes incitant Blaise Compaoré à partir aurait peut-être eu un résultat. Par contre, ces pays et institutions internationales ont tous vanté, encore très récemment, les qualités d’homme de paix de Blaise Compaoré. Pourtant tous les diplomates connaissent le passé peu glorieux de Blaise Compaoré, impliqué dans les effroyables guerres du Libéria, de Sierra Leone, de Côte d’Ivoire et soutenant des mouvements rebelles au Mali. D’autant plus que, en ce qui concerne la guerre de Sierra Leone, qui n’est qu’un appendice de la guerre du Libéria, il a été de très nombreuses fois cité, lors du procès de Charles Taylor. Aurait-on peur d’un jugement public de Blaise Compaoré qui mettrait à nu toutes les complicités qui l’ont propulsé, comme homme de paix, et soutenu jusqu’au dernier moment ?
La situation semble maîtrisée
Les discussions semblent intenses, la consultation très large. Le lieutenant colonel Zida semble donner des signes de bonne volonté. Et puis, ce pays a connu un président militaire, en la personne de Thomas Sankara, qui a bien mieux fait pour son pays que les civils qui s’étaient succédés avant lui. Gageons que ce pays va vers une transition consensuelle apaisée. Et des élections rapides, que tout le monde souhaite. Mais seulement un peu plus de 50% de la population en âge de voter est inscrite sur les listes électorales. Il faudrait donc rouvrir les listes pour les jeunes en particulier massivement. Une question reste posée, importante pour l’avenir. La jeunesse va-t-elle se reconnaître chez l’un ou l’autre des dirigeants des partis politiques ? Car tout porte à croire que c’est bien au moment des élections que l’avenir du pays va se jouer, maintenant que Blaise Compaoré a été chassé. Mais ne risquent-elles pas de voler au peuple burkinabè sa Révolution si le président élu ne connaît, pour développer son pays, que les recettes libérales ?
PS : d’autres vidéos sur l’insurrection populaire à http://www.droitlibre.net/-burkina-faso-.html
Pour comprendre comment de tels événements se sont produits, on se reportera à mes articles précédents ci-dessous. Vous comprendrez alors que cette insurrection était prévisible alors qu’elle semble avoir surpris tout le monde...
– http://blogs.mediapart.fr/blog/brun...
– http://blogs.mediapart.fr/blog/brun...
– http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/300514/burkina-faso-vers-l-affrontement