Dénoncer l’austérité
Les centrales sont unanimes à dénoncer l’austérité libérales. La CSN affirme que « le gouvernement libéral cherche à ratatiner le rôle de l’État et à mettre fin à tous les acquis sociaux qui nous caractérisent comme société québécoise ». LA CSQ explique que « sous prétexte de faire des économies, ce gouvernement est en train de privatiser des pans importants de notre bien commun. » La FTQ quant à elle souligne que « le Québec gagnerait si ce gouvernement était moins obsédé par la réduction de la taille de l’État, car c’est une politique contreproductive et elle ne correspond pas au souhait de la majorité de la population ».
Or, évaluer les forces et les faiblesses de l’adversaire constitue la première qualité d’un mouvement social qui souhaite faire progresser sa cause. Force est de constater que les directions des centrales syndicales perçoivent la stratégie gouvernementale avec des lunettes roses. Les libéraux sont à l’offensive contre les acquis sociaux de la société québécoise et ils ne font pas dans la dentelle. Ça semble évident pour tous.
Pourtant, les directions plutôt que de miser sur les mobilisations populaires des derniers mois tendent la main et acceptent une entente avant la fin de 2015 refusant ainsi de remettre en cause le cadre des négociations imposé par les libéraux. La CSN va même jusqu’à prétendre que « parmi les choses à retenir de 2015, il y a certainement la reconnaissance par le gouvernement Couillard de l’impact de ses mesures austères sur les programmes sociaux et les services à la population ». Bref, les faucons se seraient soudainement transformés en colombes.
Pourtant, l’appui à l’austérité libérale semble décliner dans la population selon certains sondages (ici et ici) et la sympathie pour la défense des services publics est à la hausse ne manque pas de souligner les dirigeants syndicaux. Le mouvement des chaines humaines en défense de l’école publique fut à ce titre exemplaire de nouvelles formes de lutte et de nouvelles couches militantes dans la population.
On parlait à un certain moment de 2015 de « grève sociale », de lutte commune avec les groupes communautaires, les groupes de femmes, le mouvement étudiant de façon à élargir les mobilisations et faire bouger le rapport de force. Or, il semble que cette perspectives ne s’est pas concrétisée, sans qu’on sache vraiment pourquoi. On ne sentait pas un grand enthousiasme chez les centrales à l’idée de mener avec ces regroupements une lutte d’égal à égal. Les centrales ont donné le rythme des mobilisations dans le cadre des négociations du secteur public sans trop prendre en considération l’apport que pourrait procurer les autres acteurs des mobilisations.
Une entente à rabais
Cela n’a pas empêché le gouvernement libéral d’imposer une entente de principe qui, comme le démontre plusieurs articles publiés dans nos pages (ici et ici notamment), ne freine pas la dégradation des condition de travail des salariéEs de l’Etat. Les directions syndicales présentent cette entente de principe comme un accord satisfaisant malgré l’écart qui existe avec l’objectif de départ du Front commun (13,5% sur 3 années). Si l’on évalue une stratégie à son efficacité, de toute évidence, celle des centrales n’a pas fonctionné, toutes empressées qu’elles étaient de régler avant Noël, s’ajustant ainsi à l’agenda libéral.
Reste à voir le poids de l’opposition syndicale à ces reculs, opposition qui prend forme et compte intervenir dans le débat sur l’acceptation de l’entente de principe, un des éléments qui va influencer le début de l’année 2016. Et il demeure que les déléguéEs de la FSSS-CSN ont refusé l’entente de principe et la FAE n’a conclut cette entente. Et plus récemment, les membres du Syndicat de l’enseignement de la région de Québec-CSQ ont rejeté l’entente dans une proportion de 73%. Ce qui n’est pas négligeable.
La défaite conservatrice
Une demi-victoire fut remportée avec la défaite des conservateurs lors des élections fédérales. Le parti de Harper habité d’une volonté d’affaiblir définitivement les syndicats et s’appuyant sur une stratégie de démolition des services publics (service postal, inspection alimentaire, dérèglementation du transport sur rail, protection de l’environnement, etc.) a perdu son pari et contre toute attente, le parti libéral revient au pouvoir. Les grandes centrales ont fait campagne en appuyant le-la candidatE le plus en mesure de battre les conservateurs. Ce qui a amené généralement à des appuis au NPD et de façon générale, plusieurs de ces candidatEs appuyés ont été battus, notamment dans la région de Québec. Cette orientation dite « Anybody but Harper » s’est avérée catastrophique dans cette dernière région profitant aux candidatEs conservateurs qui ont fait élire 7 candidatEs sur une possibilité de 10 alors qu’ils avaient été balayé de la rive-nord en 2011 et devait se contenter de 2 élus sur la rive-sud. Malgré tout les syndicats crient victoire.
Le nouveau gouvernement Trudeau devra livrer la marchandise car les attentes sont majeures : ils devront revenir sur une série de réforme adoptées par les conservateurs en matière d’assurance-emploi, de service postal, d’évaluation environnementale, etc. Pour l’instant, le gouvernement libéral a annoncé l’abandon des loi anti-syndicale adoptées par le gouvernement Harper ce qui donnera un certain répit. La FTQ et la CSN sont par ailleurs satisfaites de voir les avantages fiscaux liés aux Fonds de travailleurs reconduit lors du prochain budget fédéral...
Qu’est-ce qui nous attends en 2016
Les ententes de principes dans les négociations du secteur public feront l’objet d’assemblée générale. Difficile d’évaluer l’importance de l’appui des salariéEs à ces ententes, mais les déléguéEs de la FSSS-CSN ont déjà recommandé son rejet. La FAE n’a pas accepté l’entente de principe des libéraux. D’autres secteurs pourraient se joindre à ce mouvement. Nous pourrions assister à l’émergence d’une opposition syndicale davantage combative. À surveiller...
La CSN souligne avec justesse qu’en 2016, des dizaines de conventions collectives du secteur privé viendront à échéance. Seulement à la CSN, ce sont près de 400 syndicats qui devront négocier leurs conditions de travail. Le secteur de l’hôtellerie sera notamment touché. Ces combats seront-ils menés de façon isolée ou bien des formes de convergences apparaîtront afin de renforcer le rapport de force dans le secteur privé qui a subi des reculs importants au cours des dernières années, notamment en matière de protection du pouvoir d’achat. L’efficacité des négociations regroupées dans le secteur de l’hôtellerie devrait inspirer les militantEs de façon à ce qu’aucun groupe ne soit seul dans son combat contre l’austérité patronale.
Le budget Leitao, une occasion de convergence
Le budget Leitao sera déposé quelque part en mars. Les centrales veulent en faire un moment fort dans la mobilisation pour la défense des services publics. « À tous les niveaux, les acteurs sociaux et syndicaux qui ont à cœur le rôle que joue l’État au Québec depuis la Révolution tranquille doivent maintenir la pression sur lui. Nous poursuivrons ce combat aux côtés de nos alliés progressistes », a mentionné le président de la CSN. Dans les faits, comme par les années passées avec l’alliance sociale, la constitution d’un bloc social avec les groupes communautaires pour renverser le rapport de force en faveur du mouvement anti-austérité est mise à mal si un sérieux coup de barre n’est pas donné afin de rapprocher les deux secteurs. Les mobilisations doivent converger plutôt que se diviser. Cette occasion peut être une étape vers l’unité dans les batailles qui viennent.
Dans ce sens, la CSQ lance un « un appel à celles et ceux qui sont préoccupés de justice sociale, afin qu’ils joignent leurs efforts, au cours des prochains mois, pour combattre la vision de ce gouvernement « qui affaiblit tout ce qui est public ». La CSN estime que le prochain budget Leitao sera un moment phare de la mobilisation contre l’austérité en 2016. Quant à la FTQ, elle souhaite voir le gouvernement libéral s’attacher davantage à la création d’emplois et à la concertation qu’à l’austérité et à la confrontation. « Nous voulons que ce gouvernement rouvre le dialogue social constructif qui a déjà fait la force du Québec. Qu’on se mette à table et qu’on travaille collectivement sur une politique industrielle pour stimuler la création d’emplois et respecter les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) adoptés à la conférence de Paris (COP21) en décembre dernier », a déclaré Daniel Boyer.
Les néolibéraux, du PLQ au PQ en passant par la CAQ, ont tous imposé la même recette au cours des dernières années. Il fallait réduire au maximum les services publics. Il fallait remettre en cause le rôle déterminant des syndicats du secteur public à titre de locomotive qui entraînait vers le haut les conditions de travail des salariéEs du Québec. Il fallait mettre à mal les acquis sociaux obtenus de haute lutte au cours des décennies 1960 et 1970. Les batailles menées par l’oligarchie et ses représentantEs politiques pour inverser le rapport de force ont été menées en manipulant habilement le bâton (coupures des salaires de l’ordre de 20% dans le secteur de l’enseignement, les décrets et les lois spéciales pour imposer les conditions de travail, etc.) et la carotte (les sommets tripartites, la concertation, les fonds de travailleurs, etc.). Le résultat : une inversion du rapport de force en faveur de l’État et des néolibéraux dont nous ne sommes pas sortis aujourd’hui.
Ce rapport de force a amené les gouvernements à devenir de plus en plus intrépides, à agir de façon décomplexée. On n’hésite plus à revenir sur des engagements. On fait fi de l’opinion de la majorité de la population. Les mobilisations les plus massives qui autrefois auraient fait tomber n’importe quel gouvernement ont l’effet de l’eau sur le dos des canards sur les politicienNEs d’aujourd’hui. Les néolibéraux savent que leur feuille de route comporte des objectifs qui vont à l’encontre de la majorité de la population et ne bénéficient qu’à une élite. Il leur faut alors donner l’impression qu’ils travaillent tout de même pour leur population. On formule alors des politiques bidon comme la concertation tripartite où les syndicats deviendraient des « alliés » d’un patronat en quête de conditions avantageuses pour leurs affaires. Mais les politiciens néolibéraux évaluent actuellement que le rapport de force ne requiert pas ce genre d’astuce. L’oligarchie est à l’offensive et elle ne s’en cache pas.
Bref, faire des guili-guili aux libéraux (ou aux péquistes par ailleurs), leur faire miroiter que les mouvements sociaux sont ouverts à la concertation, à la collaboration est un leurre. Seule la mobilisation peut permettre de contraindre les néolibéraux à concéder des conditions de travail et de vie plus favorables, qui vont à l’encontre de la démolition des services publics à laquelle nous assistons. Prétendre les convaincre de la justesse de nos idées par des démonstrations « logiques » et « raffinées » ne vient qu’ajouter à l’édifice des illusions sur l’orientation inconditionnelle de ce gouvernement en faveur du néolibéralisme.