Édition du 17 décembre 2024

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Luttes syndicales

Bilan de la commission Charbonneau : encore loin d'une réponse satisfaisante du gouvernement

Pour donner suite aux recommandations de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (CEIC ou commission Charbonneau), le gouvernement du Québec a présenté deux pièces législatives d’importance : le projet de loi nº 87 facilitant la divulgation d’actes répréhensibles et le projet de loi nº 108 favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics (AMP).

Dans le cas du projet de loi nº 87, le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) a eu l’occasion d’en signifier la faiblesse en limitant la protection des divulgateurs à la seule fonction publique québécoise. Les municipalités, les écoles et les CHSLD privés, les consultants et sous-traitants, firmes de génie, de construction et d’informatique glissent entre les mailles du filet de la divulgation d’actes répréhensibles. Sans compter le fait que les divulgateurs soient obligés de se livrer aux corps policiers avant de divulguer un acte mettant en danger la santé ou la sécurité publique.

Avant de mettre en place une commission d’enquête à ce sujet, tout en ne le faisant pas pour le scandale de la Société immobilière du Québec (maintenant la Société québécoise des infrastructures) qui le mériterait pourtant au moins autant, le gouvernement pourrait dès maintenant corriger cette faiblesse par un simple amendement.

La Commission était pourtant d’avis « qu’un régime général de protection des lanceurs d’alerte s’impose. Un tel régime permettrait non seulement d’assurer la protection de tous les lanceurs d’alerte, mais aussi de leur offrir l’accompagnement et le soutien requis, notamment au plan financier. » Avec le projet de loi nº 87, le gouvernement a choisi de faire autrement : pas d’accompagnement, pas de soutien financier, peu de divulgateurs couverts.

En outre, la Commission suggérait d’adopter une loi permettant aux citoyens de poursuivre les fraudeurs au nom de l’État. Cette loi existe aux États-Unis (False Claims Act) : « Le FCA permet à une personne privée (Relator) détenant de l’information inédite de poursuivre, au nom de l’État et à même ses propres ressources, une personne qui a commis une fraude envers ce dernier, notamment dans le cadre d’un contrat public. En plus d’alerter l’État de l’existence d’une fraude à son endroit, le Relator facilite le repérage de la preuve, permettant ainsi à l’État d’économiser temps et argent en matière d’enquête. En contrepartie de cette information, le Relator reçoit un pourcentage de la somme d’argent obtenue par l’État, le cas échéant. »

La Commission recommandait également d’accélérer les efforts d’accroissement de l’expertise interne au ministère des Transports (900 nouveaux experts étaient promis, mais le gouvernement peine à en recruter 300 jusqu’à maintenant), afin d’atteindre les cibles établies pour 2017 et de se doter d’un plan d’amélioration pour les années subséquentes. Le gouvernement ne cesse d’admettre, année après année, qu’il ne peut remplir ces cibles. Et ceux qui entrent, une fois formés, sont toujours tentés d’aller gagner beaucoup plus ailleurs.

Les salaires des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec ne sont pas compétitifs par rapport à ceux du gouvernement fédéral, des municipalités et d’autres organisations publiques ou privées. S’appuyant sur des chiffres de l’Institut de la statistique du Québec, le SPGQ ne cesse de marteler que cet écart est de 22 % en moyenne, mais il est bien pire dans certains secteurs stratégiques comme l’informatique. Cela prouve à quel point la rémunération du gouvernement du Québec n’est plus en phase avec le marché. La commission Charbonneau demande au gouvernement de valoriser son expertise interne. Le chemin est pourtant simple à cet égard : investir dans l’expertise en cette période de surplus budgétaire.

La recommandation par la Commission de la création « d’une instance nationale d’encadrement des marchés publics », l’Autorité des marchés publics (AMP), est actuellement à l’étude à l’Assemblée nationale. Comme dans le cas du projet de loi nº 87, le gouvernement est en train d’accoucher, au mieux, d’une demi-mesure.

La Commission voulait d’une AMP ayant pour mandat : de surveiller les marchés publics afin de déceler les problèmes de malversation, de soutenir les donneurs d’ouvrage publics (DOP) dans leur gestion contractuelle et d’intervenir auprès des DOP lorsque requis.

Elle souhaitait ainsi permettre à tous les DOP de consolider leur expertise interne en construction. Les mots clés qui revenaient souvent dans la description que fait la Commission de la future AMP sont les suivants : indépendance du pouvoir politique, intégrité, expertise, analyse, contrôle, vérification, surveillance, permanence, transparence, impartialité, savoir-faire, compétence, innovation, crédibilité, rémunération, reconnaissance.

Nous constatons malheureusement que le gouvernement, avec son projet de loi nº 108, ne passe pas le test de l’indépendance du pouvoir politique dans le processus de nomination des officiers (président-directeur général et vice-présidents) de l’AMP. De plus, le gouvernement s’autorise dans la loi à intervenir dans le travail de l’AMP. Le plan d’effectifs qui devra être fait laisse déjà présager un manque de ressources financières et humaines. Le maintien et le développement d’une expertise interne suffisante pour assumer toutes les missions et les fonctions dévolues par la loi constituent une lacune souvent décriée par la Commission, notamment au ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (MTMDET).

L’AMP aura fort à faire pour changer les cultures organisationnelles centrées sur le secret et l’opacité. Les deux derniers rapports annuels de gestion du MTMDET sont éloquents à cet égard. En jouant sur les mots, ses dirigeants parviennent à embellir les statistiques de conformité à la loi, aux règlements et aux directives, en omettant volontairement d’inclure les données relatives à la conformité aux directives ministérielles. Ce stratagème a été mis en lumière par les témoignages de Mmes Annie Trudel et Louise Boily, respectivement ex-enquêtrice spéciale de l’ex-ministre des Transports Robert Poëti et ex-vérificatrice interne du Ministère, lors de leur comparution devant la Commission de l’administration publique de l’Assemblée nationale en mai et juin derniers.

Pour l’année 2014-2015, c’est un taux de conformité des contrats qui passe de 12 % à 92,6 % grâce à ce stratagème ! Nous pourrions penser que le MTMDET aurait appris sa leçon. Mais non ! Le Rapport annuel de gestion 2015-2016 publié en octobre 2016 répète impunément le même procédé. Le SPGQ a été écarté des audiences publiques du projet de loi nº 108 alors qu’il représente les membres impliqués ! Le gouvernement ne veut pas entendre ce que le SPGQ a à en dire ?

Le SPGQ conclut que, malheureusement, malgré la commission Charbonneau et les projets de loi nº 87 et nº 108, le « choc culturel » dont l’État québécois a besoin et l’instauration d’une « culture de l’intégrité » dont parle l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ne sont toujours pas au rendez-vous.

Souhaitons aux Québécoises et aux Québécois que le 2e anniversaire du rapport de la commission Charbonneau soit plus réjouissant !

Richard Perron
Président
Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec

Philippe Desjardins | Conseiller à l’information

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