John Nichols, The Nation, 19 février 2019
Traduction, Alexandra Cyr
Maintenant qu’il annonce encore une fois sa candidature à la Présidence, les mêmes aristocrates politiques et médiatiques s’égosillent sur la difficulté qu’il aura à se distinguer parmi tous les autres candidats.es qui reprennent ses positions sur les enjeux allant de Medicare pour tous et toutes, de sérieuses augmentations de salaire à l’élimination des droits de scolarités au collège et en passant par le « New Deal Vert ».
Les idées de B. Sanders ont prévalu dans les primaires (démocrates) il y a 4 ans. C’est un résultat qu’il a signalé lors de son annonce de candidature pour 2020 : « Il y a 3 ans, durant notre campagne de 2016, quand nous avons mis de l’avant notre programme progressiste, on nous a dit que c’était trop « radical », trop « extrême ». On nous a dit que Medicare pour tous et toutes, que le salaire minimum à 15$ de l’heure, que la gratuité de la scolarité dans les collèges publics et les universités, que combattre vigoureusement les changements climatiques, que de demander que les riches commencent à payer leur juste part des taxes et impôts, que toutes ces idées ne seraient jamais acceptées par la population américaine. Il s’est passé 3 ans depuis. Alors que des millions d’Américains.es se tiennent debout et se battent, toutes ces politiques sont de plus en plus soutenues par une majorité de la population ».
Le plaidoyer pour ces idées durant la présidentielle de 2016, a particulièrement atteint les jeunes, transformé les politiques du Parti démocrate et la nation. En ce moment, presque tous et toutes les membres démocrates veulent s’identifier comme de sérieux.ses progressistes. On nous souligne que B. Sanders n’est qu’un dans une foule de candidats.es du même genre à avoir une chance de battre D. Trump.
Alors, est-ce que B. Sanders serait victime de son propre succès ? Il aurait poussé si loin le débat à l’intérieur du Parti démocrate que personnellement il n’aurait plus d’espace ?
D. Trump est terrifié par B. Sanders et le programme qu’il avance sans précaution mais sans flamboyance.
Ne faites pas tout de suite de paris sur sa défaite.
Alors que les élites politiques et médiatiques sousestimaient ce qui a fait la force de B. Sanders en 2016, aujourd’hui c’est leur mécompréhension de ce qui le rend valide pour 2020 (qui apparait).
Il y a 4 ans, B. Sanders était le seul démocrate socialiste dans la course à la nomination et il est probable qu’il sera le seul démocrate socialiste à avoir une sérieuse candidature l’an prochain. Son idéologie est ce qui va le distinguer dans un pays où jusqu’à ce que sa campagne commence à prendre son essor, le mot en S (socialisme) était souvent relégué aux franges du discours public. Il va continuer à se distinguer ; pas comme une figure extrême qui n’a aucune chance d’être élu mais comme le porteur d’idées fortes souvent tirées de la tradition du New Deal et de la loi sur les droits économiques ou créées autour de cette expérience du passé qui a assuré les plus grandes victoires démocrates.
Quand il a fait campagne il y a 3 ans, on a dû lui donner le crédit de propositions solides en matière de soins de santé, d’éducation, d’économie, d’environnement et des enjeux sociaux que le pays a, soit négligés ou auxquels il n’a pas donné de réponse satisfaisantes. Ses idées ont été populaires mais elles n’étaient pas particulièrement nouvelles. Pour l’essentiel, B. Sanders appelait la population à adhérer à des politiques et des programmes qui ont été mis en action depuis longtemps au Canada, en Grande-Bretagne, en Allemagne et bien sûr dans les sociales démocraties scandinaves.
S’identifier comme un démocrate socialiste n’a pas nui à B. Sanders en 2016. Au contraire, ce fut un atout, une force. Ça lui a donné une dynamique intellectuelle et fait de lui un candidat capable de prendre en compte les anxiétés et les espoirs des Américains.es. Ce ne sont pas surtout les solutions proposées qui ont compté mais bien la manière dont il a présenté les tenants et aboutissants des enjeux en parlant simplement de la bataille à mener contre « l’oligarchie », « la ploutocratie » et la « classe des multimillionnaires ».
En fait, la population en a assez de la politique compétitive entre la droite et les centristes au double discours. B. Sanders emploie un langage qui a du sens. Il se concentre sur les questions fondamentales et formule des réponses à l’avenant : les gens qui souffrent ont besoin de soins médicaux qu’un programme universel centralisé leur dispensera ; les gens qui travaillent 40 heures par semaine ne devraient pas vivre dans la pauvreté et le salaire minimum à 15$ de l’heure leur permettra de joindre les deux bouts ; les jeunes ne devraient pas crouler sous les dettes pour avoir accès à l’éducation et la gratuité des droits de scolarité règlera cela. Mettre fin à l’austérité et lutter contre les inégalités coûte quelque chose, taxer les riches permettra d’avoir l’argent pour le faire.
Tout cela tombe sous le sens et est inscrit dans le programme démocrate socialiste auquel il adhère et qu’il explicite depuis plus de 60 ans. Devant cette posture, en 2016, l’électorat démocrate de 23 primaires et caucus a choisi le candidat qui se nourrit dans les manuels des sociales démocraties scandinaves autant que chez les pionniers américains comme Eugene Victor Debs et les maires socialistes qui ont régné sur des villes comme Milwaukee au 20ième siècle.
2016 est ainsi devenu le moment accueillant pour la « révolution politique » qu’affichait la campagne Sanders. Comme cela c’était produit en 1930 quand le Président Franklin D. Roosevelt a consulté le Parti socialiste et ses supporters inconditionnels comme Norman Thomas et A. Philip Randolph et en 1960, quand les administrations Kennedy et Johnson ont pigé chez des socialistes comme Randolph et Michael Harrington.
Les temps seront aussi mûrs en 2020. Les enjeux qui étaient à l’ordre du jour en 2016 ne sont toujours pas réglés. Dans beaucoup de cas, ils ont été empirés par la politique du « Robin Hood inversée » de D. Trump et de ses alliés.es multimillionnaires en phase avec les Républicains.es au Congrès. Après 2 ans de racisme, d’attaques obscènes contre les droits des immigrants.es, des réfugiés.es et des femmes, de la part du Président, il sera encore plus impérieux de prendre en main le programme sur l’équité de B. Sanders. En 2016 il a été critiqué pour ne pas avoir assez mis en évidence cet aspect au cours de sa campagne. Il l’a mise au cœur de son annonce de candidature pour 2020 : « Je me présente à la Présidence parce que maintenant plus que jamais, nous avons besoin d’un leadership qui nous réunisse qui ne nous divise pas. Les femmes et les hommes, les noirs.es et les blancs.hes les Latinos, les Améridiens.nes, les Américains.nes d’origne asiatique, les LGBT et les hétérosexuels.les, les jeunes et les vieux et vieilles, ceux et celles qui sont nés.es ici et les immigrants.es : il faut maintenant nous tenir ensemble ».
Dans cette annonce dite pour « compléter la révolution », B. Sanders promet qu’ : « ensemble nous pouvons nous donner un pays qui prend la tête de la bataille mondiale pour la paix et la justice économique, raciale, sociale et environnementale. Et ensemble nous pouvons battre D. Trump et réparer les dommages qu’Il a fait au pays ».
Contrairement à la plupart des autres candidats.es qui sont en chemin pour arriver là où se trouve déjà B. Sanders, il n’a qu’à être lui-même. Il est celui qui a fait partie de Young People’s Socialist League, et les groupes de lutte pour les droits civiques alors qu’il était étudiant à l’Université de Chicago. Il s’est aussi joint à la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté que M. Randolph et Bayard Rustin, un autre socialiste, ont organisée en 1963.
Il ne s’agit pas ici de prétendre que le Parti démocrate est sur le point de devenir socialiste. Ni non plus que si B. Sanders était désigné candidat et élu (à la Présidence), les États-Unis deviendraient soudainement un pays socialiste. Mais, après 30 ans de mondialisation, 20 ans de révolution électronique et 10 ans d’automatisation, avec les changements climatiques qui posent un problème existentiel et les inégalités qui surgissent dans une ère d’économie de monopole, les États-Unis sont dans une conjoncture critique. Les politiques réactionnaires de l’administration Trump ne sont pas à la hauteur des enjeux actuels ni non plus celles des centristes « Démocrates nouveaux » ou les approches de « troisième voie » qui ont si souvent entravé les administrations démocrates aux cours des 40 dernières années.
Notre moment est celui du potentiel « New Deal », de la potentielle « Grande société ». Car nous avons besoin d’idées plus fulgurantes, d’approches plus fortes, de meilleures réponses si nous voulons que notre pays offre des réponses sensées aux changements climatiques, à l’injustice économique et raciale, à la dislocation causée par l’effondrement de la vieille économie et aux monopoles de la nouvelle économie détenue par une petite poignée de géants des technologies.
Comme c’était le cas en 1930 et en 1960, le Parti démocrate est devant une ouverture pour combler les vides dans nos politiques et dans la manière de les élaborer. Pour ce faire il doit adopter au moins quelques-unes des idées étiquetées « socialistes » et s’y tenir devant les attaques comme celles d’Herbert Hoover ou Barry Goldwater (dans le passé) et de Donald Trump présentement. À l’époque, la Sécurité sociale était présentée comme un programme « socialiste ». Mais F.D. Roosevelt s’est battu pour l’introduire. Medicare a aussi été présenté comme un programme socialiste mais, L.B. Johnson s’est battu pour l’introduire. La droite a souvent décrié les pas de géants faits en faveur de la justice raciale, de l’équité entre homme et femme, des droits des personnes handicapées, de la protection environnementale ou pour introduire de la justice en matière d’impôts et de taxation, pour mettre en place un filet de sécurité, en les taxant de « socialistes ». La même chose arrive en ce moment aux partisans.es du « New Deal vert ». Mais même du point de vue des centristes et de certains.es conservateurs.rices, ces politiques du passé ont été reconnues à leur juste valeur.
Pas la peine de prétendre que la sociale démocratie a toutes les réponses. Même B. Sanders ne le fait pas. Mais on doit reconnaitre qu’il y a de vieilles propositions socialistes qui ont toujours eut du sens et que les nouvelles en ont en ce moment en économie, environnement et en réponse à la perturbation sociale.
De tous les autres candidats.es dans la course de 2020, B. Sanders est le mieux préparé pour travailler à introduire ces grandes politiques correctrices. Mais ce n’est pas un doctrinaire ou un idéaliste romantique. C’est un homme sérieux et pratique. C’est l’ancien maire de la ville la plus importante de son État. Il a été membre de la Chambre des représentants et du Sénat américain depuis 3 décennies. Il y a accumulé des records de succès à mettre les choses en ordre quand la plupart des Républicains.es et plusieurs Démocrates s’en allaient dans le mauvais sens. C’est un penseur sérieux capables d’analyser les idées, qui est familier avec la sociale démocratie telle qu’elle a été pratiquée et telle qu’elle l’est en ce moment dans les pays scandinaves. À tel point, où il a un jour organisé des soirées de discussions publiques au Vermont avec l’ambassadeur danois aux États-Unis. Et il saura parler des programmes socio démocrates qui fonctionnent dans d’autres pays comme en Norvège, en Suède, en Allemagne et au Canada.
L’adhésion à ces propositions ne devrait pas être trop difficile à décrocher. Les sondages laissent entendre que l’électorat est prêt. Les réponses sociales démocrates aux enjeux contemporains comme, les soins de santé sont un droit pas un privilège, taxer les riches pour créer des emplois et développer des infrastructures vertes, sont des idées populaires spécialement chez les jeunes électeurs.trices et chez ceux et celles qui ont historiquement été privés.es de leur droit de vote qui doivent se mobiliser pour gagner en 2020. Parce que le programme actuel de B. Sanders est une version plus ambitieuse de celui de 2016, en ajoutant une proposition assez large pour attaquer l’ancien besoin d’équité dans le nouvel âge de la mondialisation, de la révolution digitale, de l’automatisation, il va se distinguer des autres prétendants.es du Parti démocrate.
Peut-être assez pour gagner la candidature à la Présidence.
Voilà ce qui terrifie D. Trump. C’est pour cela qu’il a introduit cette perspective dans l’Adresse sur l’état de l’Union, ciblé B. Sanders et le nombre croissant d’élus.es comme la représentante de New-York, A. Ocasio-Cortez, qui s’identifient aux démocrates socialistes. Le Président a déclaré : « Ici aux États-Unis, nous sommes alarmés par les appels à adopter le socialisme dans notre pays. Les États-Unis ont été fondés pour la liberté et l’indépendance, pas pour la coercition, la domination et le contrôle. Nous sommes nés.es libres et nous allons le rester. Ce soir, nous renouvelons notre engagement à ce que notre pays ne soit jamais socialiste ».
Il ne se soucie pas de savoir que beaucoup des idées attaquées au nom du socialisme, comme la Sécurité sociale et les subventions au revenu de base remontent à des essais écrit par Tom Paine, le pamphlétaire radical, le révolutionnaire qui a qualifié les États-Unis d’expérimentation en cours. Mais il sait qu’au moins quelques Démocrates installés.es se font rejeter par cette rhétorique de gauche. Vous pouvez être sûrs.es qu’il va affubler n’importe lequel ou laquelle des Démocrates qu’il va côtoyer en 2020, du mot en S.
B. Sanders lui, ne se laissera pas écraser par les traits acérés de la critique de D. Trump.
D. Trump peut penser que « socialisme » est un mot qui fait peur. Plusieurs dirigeants.es Démocrates peuvent aussi avoir peur quand il est prononcé. Mais B. Sanders est à l’aise de discuter de l’idéologie sociale démocrate : « Est-ce que quelqu’un.e pense que j’ai peur du mot ? Ça n’est pas le cas », a-t-il dit.
Il n’est pas sur la défensive. Il est agressif. Pendant que D. Trump fait équivaloir la sociale démocratie humaine que des millions d’Américains.es ont adoptée avec « coercition gouvernementale, domination et contrôle » dans une tentative désespérée de restreindre le discours, B. Sanders présente des comparaisons honnêtes qui étendent et renforcent le dialogue. Il y a quelques années, le Sénateur du Vermont m’expliquait : « J’ai fini par croire que le peuple américain comprenait les réalisations significatives qui ont eu lieu là où des gouvernements sociaux démocrates et travaillistes partout en Europe (ont pris le pouvoir). Il serait renversé de connaitre ces accomplissements. Combien d’Américains.es savent que, pour ainsi dire, dans chaque pays européen lorsque qu’un bébé nait, la mère à un congé garanti et selon les pays touche des bénéfices financiers en plus. Est-ce que notre population sait cela ? J’en doute. Est-ce que notre population sait au moins que le seul pays occidental industrialisé qui n’offre pas de soins de santé à tous et toutes est le nôtre ? La plupart des gens ne savent pas cela. Est-ce que le peuple est au courant que dans plusieurs pays à travers l’Europe les droits de scolarité sont gratuits ou très peu élevés dans les collèges publics et les universités » ?
Ce qui maintient B. Sanders dans le débat, c’est son habileté à le faire avancer en éduquant les électeurs.trices au lieu de leur faire peur ou de les diviser. Au cœur de son enseignement, on trouve sa conviction que tout ce qu’il propose est arrimé à l’expérience américaine : « Laissez-moi vous expliquer simplement mais complètement, ce que la sociale démocratie signifie pour moi. Elle est assise sur ce que F.D. Roosevelt a dit quand il s’est battu pour garantir les droits économiques à toute la population. C’est en accord avec ce que M.L. King disait en 1968 : que ce pays pratique le socialisme pour les riches et un individualisme crasse pour les pauvres. Il est temps que les familles de la classe ouvrière profitent de la sociale démocratie, pas que les multimillionnaires de Wall Street et les grandes entreprises. Cela veut dire que nous ne devrions pas donner d’aide sociale aux entreprises, d’énormes baisses de taxes et impôts aux ultra riches ou négocier des accords commerciaux qui augmentent encore plus les profits des entreprises pendant que les travailleurs.euses perdent leur emploi ».
Il répétait là une idée qu’il a souvent présentée dans ses discours de campagne à travers le pays. Cela signifie que nous devons nous donner un gouvernement qui travaille pour tous et toutes, pas que pour les puissants intérêts spéciaux, que les droits économiques sont essentiels dans ce que les États-Unis défendent et que l’accès aux soins de santé est un droit pour toute la population, pas un privilège.
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