À l’orée de la deuxième décennie du XXIe siècle, de nombreux États de l’Afrique subsaharienne, ayant appartenu aux empires coloniaux britannique et français, célèbrent le cinquantenaire de leur naissance ou de l’indépendance des territoires coloniaux. Ce jubilé se produit dans une période marquée, d’une part, par la crise de l’économie néolibérale, qui n’aurait pas autant affecté les économies africaines que celles du centre capitaliste. D’autre part, par ce qui peut apparaître comme une critique pratique de la « coopération » économique entre les anciennes colonies et les puissances occidentales des cinq premières décennies néocoloniales : le développement des partenariats entre l’Afrique et les économies dites émergentes en général, la chinoise en particulier. Cet article est une modeste contribution à l’appréciation de la situation africaine à l’occasion de ce jubilé.
Ajustement au néolibéralisme
Un demi-siècle après les premières indépendances, l’Afrique subsaharienne demeure assez spécialisée dans l’approvisionnement des industries du centre capitaliste en matières premières agricoles, énergétiques et minières, souvent stratégiques et parfois au prix de guerres néocoloniales qui sont souvent présentées comme ethniques ou confessionnelles. Cette participation capitale et sanglante au développement de l’économie capitaliste est souvent dissimulée par l’évocation habituelle des 2 % de participation de l’Afrique au commerce mondial, expression indéniable de sa marginalité. Celle-ci est même souvent présentée comme une extériorité. La mission des développeurs étant alors de l’insérer ou l’intégrer dans la mondialisation.
Une bonne intention qui est malheureusement basée d’une part sur une falsification de l’histoire de l’économie mondiale, d’autre part sur l’ignorance que l’Afrique est le continent le plus connecté à l’économie mondiale : c’est celui où seulement 15 % des échanges se réalisent entre les différents États. La part la plus importante est réalisée avec le reste du monde (alors que les échanges intra-européens de marchandises représentent plus de 60 %). La prétendue marginalité africaine est, par ailleurs, bien particulière eu égard à ce qu’elle apporte au reste du monde : les matières premières, c’est-à-dire une, voire la condition sine qua non de certaines performances des firmes les plus puissantes du capital occidental. Ainsi l’expression quantitative de la marginalité africaine, par sa faiblesse, peut aussi être interprétée comme l’expression de la persistance de l’échange inégal sur le marché mondial qui demeure contrôlé par les puissances économiques du Centre.
Une situation d’inégalité, et non de quelque marginalité, qui s’est accentuée avec la néolibéralisation des économies dites africaines organisée, à partir des années 1980, par les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale…), à travers les programmes d’ajustement structurel (PAS), considérés comme la réponse appropriée à la crise structurelle du néocolonialisme des deux premières décennies, manifestée par l’endettement critique des États africains — au même moment que ceux d’Amérique dite latine et d’Asie. C’est ainsi que depuis les années 1980, cette région du monde est en permanence réajustée ou restructurée pour la consolidation de la version néolibérale de la domination néocoloniale. Plutôt que d’une insertion ou intégration dans l’économie mondiale, il s’agit d’un transbordement dans le navire du néolibéralisme. Une opération qui s’effectue avec le soutien actif des États du capitalisme développé, dont les firmes multinationales s’approprient en Afrique les entreprises anciennement publiques, dans les secteurs considérés comme les plus rentables de ces économies (1).
Il semble aller de soi que ce n’est pas la générosité ou quelque sens du sacrifice qui motive les multinationales concernées. Le continent africain est considéré par des technocrates, ceux de la CNUCED par exemple, comme celui où les capitaux étrangers réalisent le meilleur retour sur investissement (une moyenne de 24 % à 30 % depuis les années 1990, contre 16 % à 18 % dans les centres du capitalisme). Ce qui est la conséquence du succès, entre autres, de la mission confiée aux institutions financières internationales, y compris africaines à l’instar de la Banque africaine de développement (BAD, qui compte des institutions publiques non africaines parmi ses actionnaires) et d’adaptation, par les gouvernants locaux, des législations nationales aux exigences néolibérales de l’accumulation capitaliste. Ainsi, la deuxième moitié du premier cinquantenaire (années 1980-2000) s’avère celle d’une « recolonisation » néolibérale, par la réduction a minima de la marge d’autonomie — déjà bien relative — acquise avec la proclamation des indépendances et favorisée aussi par le climat de la « guerre froide ».
Avec la disparition du bloc dit « communiste » européen, la marge de négociation des élites nationalistes petites bourgeoises avec l’impérialisme s’est réduite. Autrement dit on a assisté à la quasi disparition de tout projet nationaliste progressiste, basé sur le développement d’un secteur économique d’État et d’une redistribution moins restreinte de la richesse nationale. C’est-à-dire à l’effondrement de ce que certains observateurs avaient hâtivement classé comme des expériences socialistes en Afrique (de l’Égypte de Nasser au Burkina Faso de Thomas Sankara, en passant par le Congo de Marien Ngouabi et le Madagascar de Didier Ratsiraka), en oubliant qu’elles s’effectuaient toujours dans un cadre capitaliste, compte tenu des mécanismes structurels du néocolonialisme dits de coopération avec les anciennes métropoles.
Mais avec la néolibéralisation de l’économie mondiale, l’Afrique n’est plus considérée comme le pré carré des anciennes métropoles coloniales, particulièrement de la France. Depuis décembre 1998 (Accords de Saint-Malo), les anciennes métropoles coloniales, la France de la cohabitation Chirac-Jospin et la Grande-Bretagne de Tony Blair, avaient décidé de dominer l’Afrique de façon concertée plutôt qu’en se marchant sur les pieds. Depuis la fin du siècle dernier, l’Afrique est aussi l’un des terrains de la nouvelle restructuration de l’ordre impérial et les États-Unis ont reconsidéré leur politique africaine et y ont renforcé leur présence économique.
C’est ainsi qu’au principal mécanisme néocolonial européen, les Accords Union Européenne/Afrique-Caraïbes-Pacifique (UE-ACP, ex-CEE-ACP) et aux traditionnels accords de « coopération » bilatérale entre États européens et États africains, s’est ajoutée concurremment, sous la présidence de William Clinton, la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA, 2000). La principale raison de l’instauration de ce marché dit préférentiel est la recherche par les États-Unis d’un meilleur accès aux ressources énergétiques (longtemps sous-évaluées) de l’Afrique, voire l’intention de les contrôler, au moment où l’approvisionnement états-unien en provenance du Moyen-Orient devenait insuffisant voire menacé. Cependant, l’intérêt stratégique pour le pétrole (92,3 % des importations africaines des Etats-Unis en 2008) de la côte occidentale africaine, du Nigeria à l’Angola, s’accompagne d’un intérêt pour d’autres productions africaines (minerais, métaux, équipement de transport, textiles) et pour l’exportation de produits états-uniens (18,6 milliards de dollars en 2008, contre 86,1 milliards d’importations) allant des semences génétiquement modifiés (coton Bt, etc.) au matériel militaire.
L’impérialisme militaire
L’approvisionnement pétrolier états-unien relevant de la sécurité nationale, il s’accompagne d’une présence militaire directe de l’armée. Ce qui constitue un changement après une longue période d’ingérence indirecte, pendant la dite guerre froide, par exemple en soutenant
logistiquement, via l’Afrique du Sud de l’apartheid et le Zaïre de Mobutu, l’UNITA de Jonas Savimbi dans la longue guerre l’ayant opposé au gouvernement de Luanda. Celui-ci étant alors présenté comme une menace communiste et non comme un pays très riche en matières premières, du diamant au pétrole. La France est ainsi appelée à perdre son monopole d’une présence militaire permanente sur le continent, avec ses bases héritées de la colonisation, dont le maintien a été favorisé par la « guerre froide » et qui a servi de moyen de pression, d’intimidation et pire, contre certaines orientations politiques et économiques de ses anciennes colonies.
Depuis une décennie, l’armée états-unienne multiplie les opérations militaires conjointes avec des armées nationales africaines, y compris celles du traditionnel pré carré français. Pire, la présidence de Bush fils a décidé de doter le continent africain d’un commandement militaire étatsunien, à l’instar des autres continents — une exclusivité de l’hégémonie mondial — en instituant, en 2007, l’United States Africa Command (Africom). Ce qui fait des États-Unis une puissance militaire africaine, même si l’armée états-unienne est présente depuis des décennies en Afrique insulaire, sur la base géante de Diego Garcia — territoire mauricien que le Royaume-Uni a conservé parmi ses dernières possessions coloniales (2).
Mais, dans l’ivresse de la puissance, très manifeste sous la présidence de Bush fils, il ne pouvait être question pour l’administration de demander l’avis des « partenaires » africains concernant l’hébergement continental dudit commandement. Ainsi, celui-ci n’a pu trouver de terre d’accueil sur ce continent, qui est pourtant réputé pour l’hospitalité de ses gouvernants à l’égard de tout ce qui va à l’encontre des intérêts des peuples. L’Union Africaine (UA) semble, pour le moment, déterminée à dissuader tout État velléitaire — tel le Libéria d’Ellen Sirleaf Johnson (nouvellement élue) — d’aller à l’encontre de sa résolution à débarrasser le continent et les îles des bases militaires étrangères. Même le Maroc, qui est extérieur à l’UA et velléitaire — selon des rumeurs persistantes — semble ne pas échapper à la pression de ses pairs.
C’est ainsi que le commandement militaire états-unien en Afrique demeure basé à Stuttgart (Allemagne). La seule présence militaire permanente et ouverte états-unienne sur le continent est donc, pour le moment, celle (postérieure à la création de l’Africom) du Camp Lemonnier, un des camps français de Djibouti. Proclamé indépendant tardivement, en 1977, Djibouti est demeuré jusqu’à ce jour la principale base militaire française en Afrique.
En attendant la brèche dans le consensus panafricain (que pourrait favoriser la présidence des États-Unis par Barack Hussein Obama, l’Africain-États-unien), qui lui ferait bénéficier d’un site sur le continent, l’Africom se contente de missions régulières de formation, d’exercices conjoints, d’actions dites humanitaires (interventions sanitaires, etc.) dans différents pays africains. Ce qui n’est pas négligeable, car avec ces manoeuvres militaires et les interventions dites humanitaires, l’armée états-unienne consolide, au sein des armées locales, voire de certaines élites africaines, le mythe tenace de son efficacité que semble ne pas affecter ses mésaventures historiques des XXe et XXIe siècles, du Vietnam à l’Afghanistan, en passant par la Somalie (Restore Hope et Continue Hope, 1992-1993), caractérisées par la violation permanente des droits humains. Comme le fait désormais l’armée états-unienne partout ailleurs, néo-libéralisme exige, l’Africom intègre dans ses missions les multinationales militaires privées, avec leurs mercenaires de sinistre réputation. L’industrie de la mort est traditionnellement, faut-il le rappeler, un des secteurs les plus lucratifs du capitalisme réel, étatsunien surtout.
Cet activisme africain de l’armée états-unienne a sa dimension économique. Les missions et autres activités de l’Africom sont aussi des occasions de campagne publicitaire non avouée des produits du complexe militaro-industriel national. En effet, en dépit de la croissance des dépenses militaires depuis une décennie, le continent ne figure pas parmi les principaux clients de l’industrie de l’armement états-unienne. En dehors de l’Égypte (9e), principal importateur africain, les autres États africains figurant au top 50 des importateurs — Algérie (15e), Afrique du Sud (27e), Angola (36e), Soudan (43e) — s’approvisionnent pour moins de 4 % aux États-Unis. L’Algérie (principale importatrice ces dernières années) et le Soudan préfèrent l’armement russe (plus de 65 %), alors que l’Afrique du Sud s’approvisionne plus en Europe, principalement en Allemagne (plus de 65 %).
Quant aux autres États africains, des clients mineurs certes — mais un sou est un sou —, ils demeurent encore, en la matière, très liés à la métropole coloniale. Des accords de coopération militaire post-coloniaux, signés entre la France et ses anciennes colonies, limitent encore, la diversification de la formation et de l’équipement militaire de celles-ci. Mais, en offrant davantage de bourses de formation aux élèves officiers africains, destinés au commandement dans un futur proche, l’Africom cache mal une certaine concurrence avec ses partenaires européens, qui, tout en étant membres de l’Otan, développent une politique de défense commune européenne, la Force Européenne (Eufor). Il s’avère que c’est en Afrique que l’Eufor s’est le plus déployée (République démocratique du Congo, Tchad et Centrafrique), sous le leadership français (par reconnaissance de son expérience coloniale et néo-coloniale du terrain), partagé avec l’Allemagne, avec la participation régulière d’autres États européens, à l’instar de la Suède, qui est dans le top 10 des marchands d’armes européens (3). Toutefois, la suprématie états-unienne au sein de l’Otan joue en faveur de l’Africom, comme agence du complexe militaroindustriel.
L’annonce du démantèlement de la base militaire française de Dakar, faite par le président sénégalais Abdoulaye Wade pendant la célébration du cinquantenaire de l’indépendance (3-4 avril 2010), symbolise cette dimension militaire de la restructuration de l’ordre impérial postcolonial en Afrique. Car, contrairement à ce que laisseraient penser l’évocation de la renégociation des accords de défense des années 1960, par le président français, Nicolas Sarkozy, lors de sa visite en Afrique du Sud (février 2008), et la présentation qui en a été faite par la presse française indépendante et patriotarde, ce qui se passe au Sénégal n’est pas l’aboutissement d’une initiative française que se serait appropriée le président sénégalais. En fait, sous la présidence de Nicolas Sarkozy se réalise, malgré ce dernier, une demande adressée à Chirac, alors président, par son homologue sénégalais. D’où le brocard de la pose sarkozyste par l’éditorialiste du journal chinois, Le quotidien du peuple : « Sa visite (…) ressemble à la promptitude de quelqu’un qui a la hâte d’en avoir terminé au plus vite, mais qui n’a pas le coeur léger (…)
La décision d’annoncer ailleurs la fermeture de la base militaire de Dakar a été projetée auparavant. Vu de façon superficielle, cela montre que le Président français désire avoir avec les pays africains un nouveau type de relation de coopération. Mais, en réalité, la France est obligée d’agir ainsi tout en dissimulant son dépit et son amertume (…) Depuis longtemps, le Sénégal a demandé à la France de retirer ses troupes du pays. En 2005, lors de la visite de l’ancien Président français [Jacques Chirac] au Sénégal, son homologue sénégalais Abdoulaye Wade lui a parlé de cela. Mécontent, Chirac a répliqué : “Si l’on nous demande de s’en aller, nous partirons promptement sans regrets ”. » (4) Ce n’est peut-être qu’un hasard, si le chef d’État-major général de l’armée sénégalaise, le Général Abdoulaye Fall, a été le premier chef d’Étatmajor à visiter, en février 2010, le quartier général de l’Africom à Stuttgart (5). Aucun rapport ne devrait-il être établi avec les sorties, qui tendent à devenir fréquentes, du président sénégalais Abdoulaye Wade (ancien professeur libéral d’économie) contre les mécanismes de la zone monétaire du Franc CFA, ses efforts en matière de diversification du partenariat économique et d’intégration africaine ?
Toutefois, cette compétition entre les puissances impériales traditionnelles ne devrait faire oublier leur complicité permanente, qui se manifeste particulièrement en ce début du XXIe siècle face aux ambitions de certains États dits du Sud ou économies émergentes (Chine, Inde, Brésil, etc.), candidats au statut de puissance et, en cela, soumis à la règle consistant à puiser en Afrique des ressources de la puissance économique.
« Ogre chinois » en Afrique
De mémoire de post-colonisé d’Afrique, cette dernière n’a jamais autant intéressé les analystes économiques attachés à l’hégémonie occidentale, que pendant ces cinq dernières années. Un intérêt « scientifique » qui n’est pas dépourvu de dimension paternaliste, sous forme de prévention de l’Afrique, considérée comme inconsciente, de certains malheurs qui la guettent. À la différence de la fin du XIXe siècle, il ne s’agit plus de protéger certaines régions (orientale et centrale) des esclavagistes tardifs arabes, mais de protéger tout le continent, les îles comprises, des ogres extrême-orientaux en général, chinois en particulier. La prétention de ce dernier au statut de principale puissance économique mondiale, une grande menace pour l’Occident hégémonique depuis quelques siècles, ne semble plus relever de la chimère, même si pour certains économistes la Chine est encore un « grand pays en développement », comme du temps où elle ne représentait que 1 % du PIB mondial (1970).
Une part des ressources dont elle a besoin pour alimenter la croissance exceptionnelle de son économie — dont dépend aussi la santé économique de maintes économies occidentales — est puisée en Afrique. C’est ce qui a favorisé depuis une décennie le développement par la Chine d’un partenariat économique avec les États africains : 56 milliards de dollars d’importations chinoises (dont 71 % en produits pétroliers) contre 50,8 milliards d’exportations en2008 et une croissance exponentielle d’investissements directs, qui sont passés de 10 milliards dollars en 2000 à 106 milliards en 2008, plus que les 100 milliards prévus pour 2010. Parmi les exportations chinoises, il y a les produits de ses ateliers, considérés plus accessibles au pouvoir d’achat des masses africaines — laminé par deux décennies d’ajustement structurel.
Ce qui dans le partenariat sino-africain mobilise une fraction de l’intelligentsia organique du capital occidental, ce n’est pas son caractère déséquilibré en faveur de la Chine — même si le principal capital africain, celui d’Afrique du Sud, a pu investir un milliard de dollars en Chine (contre six milliards pour la Chine en Afrique du Sud) —, ni les conséquences écologiques de l’exploitation intensive des minerais, à moyen et long termes. Car en ces matières, la Chine n’a rien inventé en Afrique et ceux qui s’en inquiètent font encore preuve de critique sélective en faveur des pratiques des firmes occidentales et de leurs États. Ce ne sont pas, non plus, les risques d’une nouvelle explosion de la dette publique extérieure que généreraient les prêts octroyés par la Chine à ses partenaires africains (à des conditions préférables à ceux du marché international), comme l’a laissé croire le directeur général du FMI et dirigeant socialiste français, Dominique Strauss-Kahn, pour justifier la mobilisation de la technocratie néolibérale contre un des contrats récents de la Chine avec la République démocratique du Congo (RDC).
En échange de l’exploitation par des entreprises chinoises (privées et publiques) d’un peu plus qu’un million de tonnes de cuivre et de plus d’un demi-million de tonnes de cobalt, la Chine devait octroyer à la RDC neuf milliards de dollars (dont six en constructions d’infrastructures routières, ferroviaires, sanitaires et scolaires, et trois comme financement de la participation congolaise à une entreprise minière sino-congolaise). À en croire l’ambassadeur chinois en RDC : « Nous avons dès le début évité toute situation qui pouvait mener à une augmentation de la dette » (6), en faisant porter garante, la banque chinoise Eximbank, plutôt que l’État congolais. Ainsi, après maints échanges, à Kinshasa, avec les experts de Bretton Woods, « la partie chinoise trouve les récriminations du FMI très fantaisistes et insoutenables » (7).
Il ne restait alors à la principale institution financière multilatérale mondiale (FMI) que le recours au chantage : la révision du contrat sino-congolais (dont la suppression de trois milliards de dollars en construction d’infrastructures) en échange de l’allègement de la dette congolaise par le Club de Paris et de la qualification prochaine au point d’achèvement de l’Initiative Pays pauvre très endetté (PPTE). La coopération sino-africaine, qui se veut héritière de l’esprit de Bandoeng, en se disant « Sud-Sud » et sans perdant (« win-win ») — principe que la Chine applique aussi avec ses trois principaux partenaires : les Etats-Unis, le Japon et l’Europe — ne peut, pour le moment, faire fi de façon absolue des mécanismes néocoloniaux traditionnels, lesdites relations « Nord-Sud », sous hégémonie du Nord. Quitte à priver la RDC d’infrastructures supposées améliorer le sort des populations.
La construction des infrastructures (routières, ferroviaires, hydroélectriques, sanitaires, scolaires, etc.), assez déficitaires dans les pays africains — après cinq décennies de « coopération » et d’« aide au développement » néocoloniales — est l’une des opérations de charme menées par la Chine. Certes, la visibilité desdites infrastructures sert les intérêts électoralistes des gouvernants africains, intéressés aussi par le rejet chinois de la conditionnalité du respect des droits humains (exigée hypocritement et à géométrie variable par les États occidentaux) et pouvant recevoir du matériel de répression et de guerre chinois. Mais, ces nouvelles infrastructures contribuent aussi au développement d’une certaine sinophilie — plus importante que la sinophobie (8) — dans les pays concernés, y compris dans l’élite considérée comme pro-occidentale, mais qui est plutôt pro-capitaliste.
À l’instar des technocrates patentés du néo-libéralisme : le Béninois Abdoulaye Bio-Tchané (Ancien directeur Afrique du FMI et actuel directeur de la Banque ouest-africaine de développement), qui considère que « la Chine n’est pas une menace pour nos économies » (9), ou la zambienne Dambisa Moyo (chargée de la stratégie économique chez Goldman Sachs et critique iconoclaste, mais néolibérale, de l’« aide au développement ») selon qui « il est temps pour l’Afrique de regarder en face la situation et de passer à autre chose — temps pour elle de s’asseoir à une autre table avec d’autres joueurs prêts à lui donner de meilleures cartes. La Chine est aujourd’hui un joueur de ce type. » (10)
L’impact de la « coopération réaliste sino-africaine » (11) est tel, qu’elle a assez vite suscité quelque réalisme chez des acteurs traditionnels du développement de l’Afrique : la Banque mondiale et la DFID (le département britannique de la coopération), ont opté pour le partenariat avec la Chine pour le développement de l’Afrique. En 2007, la Chine a apporté à l’Afrique 9 milliards d’investissements contre 2,5 de cofinancement de projets en Afrique par l’institution soeur du FMI, la Banque mondiale. Lors du Forum économique mondial sur l’Afrique de juin 2009 au Cap (Afrique du Sud), la Directrice générale de la Banque mondiale et ancienne ministre de l’Économie des Finances du Nigeria, Ngozi Okonjo-Iweala, a renouvelé le soutien apporté par la Banque aux investissements chinois en Afrique.
Un tel partenariat exprime bien le statut de puissance africaine de la Chine qui, d’ailleurs, semble ne plus contenir son agacement concernant les cris d’alarme des analystes subitement soucieux du sort de l’Afrique. Au cours d’une conférence de presse, en mars 2010, la Chine, par son ministre des Affaires étrangères, Yang Jiechi, a procédé à une mise au point, en rappelant, qu’en matière pétrolière, par exemple, « les importations chinoises de pétrole en provenance d’Afrique ne représentaient que 13 % des exportations africaines de pétrole, tandis que les importations américaines et européennes en représentaient chacune plus de 30 %. Les investissements chinois dans les champs pétrolifères en Afrique n’occupent qu’un seizième du total des investissements pétroliers du continent tandis que les investissements américains et européens se partagent une proportion beaucoup plus élevée. »
Autrement dit, la Chine ne considère pas avoir supplanté les puissances impériales traditionnelles en Afrique, dont elle dénonce ouvertement le paternalisme, dans un langage relativement différent de celui des années 1960-1970 : « Je voudrais préciser que l’Afrique appartient au peuple africain, que le peuple africain est le maître du continent africain et que les autres peuples n’en sont que les invités. Les invités doivent respecter les points de vue de leurs hôtes, à savoir les peuples africains, ainsi que leur liberté de choisir leurs partenaires de coopération et leurs amis. » (12)
Toutefois, le diplomate chinois a omis de rappeler l’importance des échanges économiques entre la Chine et l’Occident, qui peuvent être considérés comme vitaux ou complices concernant la reproduction du système capitaliste international : la Chine est la banquière des États-Unis qui sont, comme en retour, son principal marché. Et des entreprises européennes ont échappé à la crise grâce à leurs échanges avec la Chine. Dès lors, bien que la croissance soutenue de la Chine — on en dirait autant de la Malaisie — est une invalidation pratique des préceptes du Consensus de Washington, la coopération sino-africaine participe bel et bien de la dynamique de perpétuation du système capitaliste, voire de sa forme néolibérale.
Si le partenariat sino-africain est si bien apprécié par les Abdoulaye Bio-Tchané, Dambisa Moyo et consorts, c’est parce que ces secteurs de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie africaines conçoivent ce partenariat comme un facteur de développement du capitalisme africain, surtout au moment où les économies occidentales s’avèrent plus fragiles que la Chine devant les effets de la crise du capitalisme néolibéral. Il en est autant des attitudes apologétiques sur le partenariat des économies africaines avec les autres capitalismes dits émergents, du Sud, que ce soit l’Inde, le Brésil, la Malaisie, voire l’Iran ou quelque autre. C’est la concrétisation d’un autre type de relations entre États capitalistes du Sud, qui exerce une attraction certaine sur les gouvernants et les élites économiques africaines et leur permet de penser qu’« un autre monde capitaliste est possible », stimulant ainsi la dimension économique de leur projet de « Renaissance africaine », le Nouveau partenariat pour le développement économique pour l’Afrique (Nepad).
Nepad ou le néolibéralisme de la néo-bourgeoisie africaine
Depuis le début du nouveau millénaire les États africains organisés en Union Africaine (UA) — sur les cendres de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) — ont pour cadre économique commun le Nepad, élaboré selon les principes du Consensus de Washington, pourtant déjà disqualifié concrètement par la crise asiatique. Ainsi, le rôle moteur dudit développement de l’Afrique y est attribué à l’investissement privé, principalement celui des firmes multinationales occidentales (avant que n’arrivent celles des économies dites émergentes). Ce sont celles-là qui avaient été invitées à Dakar, à l’occasion de la présentation du Nepad. Les gouvernants africains reconnaissaient ainsi officiellement leur subordination au capital impérialiste et leur adhésion au nouveau partage économique du continent.
Mais, eu égard au capital accumulé pendant les quatre premières décennies postcoloniales, c’est avec l’espoir, cette fois-ci, d’une participation plus effective, en tant que partenaires minoritaires privés des firmes multinationales dans les entreprises stratégiques anciennement publiques, privatisées dans le cadre de l’ajustement structurel. Avec la libéralisation des marchés, les capitalistes africains ont, en principe, la possibilité d’entrer localement en concurrence avec les firmes multinationales occidentales. Certes, le principe ne s’est pas souvent concrétisé. Par ailleurs, ces Africains avaient la possibilité de s’approprier des entreprises anciennement publiques ou de contrôler des secteurs économiques qui n’intéressaient pas particulièrement les investisseurs dits stratégiques.
Cette bourgeoisie africaine étant composée, en très grande partie, par les responsables de la gabegie, les coresponsables de la surfacturation des marchés publics des États et d’autres pratiques délictueuses ayant contribué, à la fin de la première période néocoloniale, à l’endettement publique extérieur critique, facteur d’ajustement structurel. Classique accumulation primitive ou reproduction du capital aux dépens de l’économie publique, qui n’est pas une exclusivité africaine…
Ainsi, depuis quelques années, en plus des investissements directs étrangers, il y a un certain activisme économique privé africain, des investissements locaux, aux investissements intra africains (services : 36 %, manufacture : 30 %, agriculture : 19 %). Comme le dit un des partisans de ce panafricanisme néolibéral, c’est « plus du tiers des investissements en Afrique [qui] sont africains. » (13) En effet, l’on constate — sans prétention d’exhaustivité — des capitaux mauriciens à Madagascar et au Mozambique, ceux du Kenya en Ouganda, ceux d’Égypte en Algérie, au Nigeria, en Tunisie, au Zimbabwe, ceux de Lybie en Côte d’Ivoire, au Niger, en Ouganda, au Rwanda. Les banques marocaines Attijarifawa Bank et la Banque marocaine du commerce extérieur sont en expansion en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Produit de la Fédération des Chambres de commerce et d’Industrie d’Afrique de l’Ouest, dans les années 1980, qui se déclare panafricaine, Ecobank Transnational Incorporated (basée à Lomé) est actuellement présente dans 27 pays d’Afrique occidentale, centrale, orientale et australe.
Dans cette dynamique capitaliste africaine, les capitaux sud-africains, héritiers de l’accumulation réalisée sous le régime de l’apartheid et exploitant l’arrivée au pouvoir des gouvernements identifiés à la majorité noire, depuis la présidence de Nelson Mandela, sont en position de leadership continental. C’est ce qu’espérait la fraction éclairée de la bourgeoisie blanche devenue, dans les années 1980, hostile au régime constitutionnel d’apartheid. Du lendemain de l’élection de Nelson Mandela jusqu’en 2005, le capital sud-africain aurait devancé tous les investisseurs traditionnels sur le continent (14 milliards de dollars, contre environ 10 milliards pour les États-Unis, 6 milliards pour la France, 4,5 milliards pour le Royaume-Uni). De l’Île Maurice au Maroc, il est présent dans différents secteurs, de celui des mines, son secteur de prédilection (dont l’Afrique du Sud est presque aussi bien pourvue que la RDC) à d’autres, telles l’agriculture, la brasserie, la gestion des ports, les télécommunications, la pétrochimie…
À tel point qu’un débat s’est engagé sur le statut continental de l’Afrique du Sud postapartheid : impérialisme ? ou sous-impérialisme ? Cependant l’Afrique du Sud ne fait pas qu’exporter des capitaux, elle reçoit aussi — en plus de la main d’oeuvre (qualifiée et non qualifiée) des pays de la région frappés par l’ajustement structurel — en tant que principal marché financier régional, des capitaux en provenance de certaines économies, moins développées certes, à l’instar du Nigeria, du Kenya, principalement dans le secteur bancaire. Selon le principe bien capitaliste du couplage du partenariat et de la concurrence, en l’occurrence concernant le leadership politicoéconomique continental, entre l’Afrique du Sud, la Lybie et le Nigeria, voire l’Angola en reconstruction accélérée.
Le mode d’insertion de l’Afrique dans l’économie mondiale (principalement comme pourvoyeuse de matières premières aux économies du centre) semble l’avoir mise relativement à l’abri de certains impacts directs de la crise économique, manifeste à partir du secteur financier dans lequel elle est, il est vrai, faiblement insérée. C’est ainsi que — malgré une prolifération, ces dernières années, de bourses en Afrique, y compris régionales, (regroupées dans l’Africa Investor 40, AI40), mais plutôt insignifiantes — de tous les secteurs financiers africains, le sud africain, a été le plus affecté par la crise. Toutefois, à l’instar des autres régions du monde, l’Afrique n’en a pas été épargnée. La crise n’étant pas que financière le continent pourvoyeur de matières premières a subi le recul de la production dans les centres du capitalisme, sous forme de baisse de la demande de certaines matières premières (cuivre, cobalt, coltan, diamant, étain, pétrole…) et de leurs cours, de -25 % à – 50 %, voire plus en ce qui concerne le pétrole passé de 140 dollars le baril en été 2008 à 55 dollars au printemps 2009.
D’autres secteurs ont aussi été touchés, à l’instar de celui du tourisme (Île Maurice…) L’une des conséquences africaines de cette crise a été la réduction importante des réserves de change de certaines monnaies nationales. C’est ainsi que l’Afrique, qui a connu une croissance moyenne soutenue depuis une dizaine d’années, a accusé une baisse assez prononcée en 2009 : 2,5 % contre 5,1 % en 2008 et 6 % en 2007, selon les estimations les moins pessimistes qui prennent en compte la hausse des investissements chinois (+81 %) constatées sur un an (1er semestre 2008-1er semestre 2009). L’Afrique —chantent les technocrates du capitalisme africain — s’est en fin de compte mieux défendue contre la crise et s’en est mieux tirée que les continents du capitalisme développé, eu égard aussi aux prévisions de croissance de 2010.
Cependant, derrière les taux de croissance appréciables, du point de vue capitaliste, il y avait comme partout ailleurs, jusque dans la Chine modélisée, le développement structurel des inégalités au profit des investisseurs étrangers (attirés par le retour sur investissement élevé du continent) et des couches dirigeantes (entrepreneurs économiques et politiques, y compris des opposants, confondus). Car, en dépit des divergences internes à la structure hiérarchisée du capitalisme mondial que sont en train de perturber les économies dites émergentes du Sud et les divergences fractionnelles locales, ce capitalisme néolibéral africain ne peut être considéré comme représentant des intérêts des travailleurs et travailleuses, des couches populaires africaines ni comme facteur d’un réel progrès social. Comme partout ailleurs, cette accumulation capitaliste africaine s’accommode du taux élevé de pauvreté que les institutions internationales fixent en moyenne à 50 % de la population africaine (subsaharienne).
La croissance n’a pas amélioré le sort du salariat (petit et moyen), de la petite paysannerie (en majorité féminine), de la jeunesse aussi bien scolarisée qu’au chômage, des licenciés des entreprises privatisées, des classes populaires en général. S’il y a, indéniablement, une « Afrique qui gagne » — celle des capitalistes africains, en alliance objective avec ceux d’ailleurs sévissant en Afrique — c’est d’abord face à la force de travail salariée, comme le constatait le Bureau International du Travail, en 2008, autrement dit avant la crise : « Environ 55 % de tous les travailleurs de l’Afrique subsaharienne ne gagnent toujours pas de quoi vivre, avec leur famille, au dessus du seuil de pauvreté de 1 dollar par jour, environ 80 % vivent avec moins de 2 dollars par jour… » (14) La crise a aussi démenti, par ses conséquences sociales, « l’imbécillité économiquement motivée » (Mumia Abu-Jamal) d’une non intégration de l’Afrique à la bien vieille mondialisation capitaliste, en empirant la situation des travailleurs/travailleuses : de 175 millions de travailleurs/travailleuses pauvres en 2007 à 219 millions en 2009 ; de 235 millions de travailleurs/travailleuses précaires en 2007 à 265 millions. En la matière, les capitalistes africains ne sont pas plus généreux que les extra africains : quand, par exemple, des ouvriers de la RDC se plaignent de leurs conditionsde travail sur les chantiers chinois c’est parce qu’ils les trouvent semblables à celles imposées par les patrons congolais. Toutefois, des employeurs chinois sont dénoncés, du Nigeria à la Zambie, pour leur violation des droits des travailleurs, parfois suivie de violence, avec l’aide de la police. Ce qui est une pratique ordinaire du capitalisme dans le Tiers monde.
Par ailleurs, l’effondrement des cours du coton, du caoutchouc, du textile, etc. a entraîné des licenciements et des fermetures d’usines du Bénin à la Tanzanie en passant par le Maroc. On a compté en Égypte 100 000 licencié/es, d’octobre 2008 à mars 2009 ; 10 000 au Kenya, rien qu’au 1er trimestre 2009 ; 13 000 au Maroc dans le secteur textile, à 60 % féminin. En Afrique du Sud, le taux de chômage est passé de 21,9 % au dernier trimestre 2008 à 23,5 % au premier trimestre 2009, soit de 3,87 millions de chômeurs à 4,18 millions (15). Ainsi l’autre croissance, c’est celle du chômage sur l’ensemble du continent (les îles comprises), qui est passé de 30,8 millions de chômeurs/chômeuses recensé/es en 2007 à 35 millions en 2009.
Cette Afrique-là, qui ne gagne pas, a par ailleurs fait les frais de la hausse des prix de certaines denrées alimentaires, ayant précédé et accompagné la crise ; une conséquence de la mise en dépendance alimentaire organisée depuis la colonisation et qui n’a cessé de se développer en période postcoloniale. En exigeant, par exemple, la priorité à l’exportation pour le remboursement de la dette publique extérieure, aux dépens de l’agriculture vivrière, les politiques d’ajustement structurel néolibéral ont favorisé l’aggravation de l’absence de souveraineté alimentaire. Avec comme autre conséquence l’épuisement des sols, par certaines monocultures dans certains pays. C’est le cas de la Côte d’Ivoire et du Ghana voisin où l’importance dans la production mondiale de cacao se paye par un épuisement des sols qui y ont été consacrés, depuis la période coloniale. Ce qui est un facteur de conflits pour les terres, comme c’est déjà le cas au Ghana, au Kenya… Au Darfour (Soudan), l’épuisement des sols par l’agriculture intensive néolibérale est l’un des facteurs de la crise ayant conduit à la guerre (16).
L’absence de souveraineté alimentaire et la situation de la petite paysannerie sont appelées à s’aggraver davantage. D’une part du fait de l’offensive menée par les firmes multinationales productrices de semences génétiquement modifiées et s’adonnant au brevetage ou appropriation privée du patrimoine génétique agricole. D’autre part par l’appropriation privée des terres fertiles et communautaires africaines par le capitalisme agraire international, par des multinationales dont la soif de s’approprier le monde est bien comparable à celle des compagnies d’il y a quatre à cinq siècles. Il est déjà question du risque de mainmise des multinationales du cacao sur les terres fertiles en Côte d’Ivoire. Dans le cadre de l’ajustement structurel néolibéral, il fallait déjà procéder à une adaptation des législations foncières nationales, ayant conservé le principe de la terre propriété commune, au principe de la marchandisation de tout ce qui peut l’être.
Ce néocolonialisme foncier, qui n’est sans rappeler les enclosures des premiers siècles du capitalisme anglais (17), va, sans doute, transformer des petit/es agriculteurs/agricultrices indépendant/es en main d’oeuvre agricole servile et mal rémunérée, favoriser la croissance du chômage en milieu rural et l’exode vers les villes pour gonfler les bidonvilles et le lumpenprolétariat, armée de réserve de main d’oeuvre très bon marché. Parmi les victimes particulières de cette logique capitaliste, humainement absurde, il y a les peuples vivant traditionnellement dans et de la forêt, tels ceux qui sont dits « Pygmées », des chasseurs-cueilleurs qui sont repartis dans huit pays d’Afrique centrale et des Grands Lacs, du Cameroun à l’Ouganda, en passant par les deux Congo. Ainsi, le problème n’est pas celui de la présence de fermiers sud-africains blancs au Congo, ou celui de l’approvisionnement des émirats du Golfe en produits agricoles, par exemple, mais celui des rapports de propriété qui
vont y être instaurés — bien qu’il n’y ait pas de risque de reproduction de l’histoire des Boers et Huguenots ayant contribué à la formation de l’actuelle Afrique du Sud — et des conséquences sur les populations autochtones.
Des fermier/es sud-africain/es blancs, des agriculteurschinois ou d’autres, ayant immigré, qui ne s’installeraient pas en colonie repliée sur soi, n’exploiteraient ou ne surexploiteraient pas la main d’oeuvre locale, produiraient aussi pour la satisfaction des besoins vivriers du territoire d’accueil, de concert avec les petits producteurs locaux, qui entretiendraient écologiquement les sols ne pourraient constituer en soi un problème. Ce qui n’est pas le cas du projet malgache de Daewoo, ayant défrayé la chronique, et d’autres qui veulent après l’agriculture d’exportation coloniale et néocoloniale, orienter l’agriculture africaine vers la production des agrocarburants. Une orientation dans laquelle le Brésil, à travers, par exemple, l’Agence brésilienne de promotion des exportations et des investissements (Apex-Brasil) s’est mis à jouer un rôle moteur, sous prétexte d’échanges d’expériences Sud-Sud.
Comme si le Brésil n’était pas un mauvais exemple, en matière d’agrocarburants et de semences génétiquement modifiés dont il est aussi le promoteur de vente, en Afrique, derrière les États-Unis. Comme si le problème de la pénurie du pétrole devrait se résoudre en créant un autre problème écologique, celui des conséquences de l’agro-business — déjà pratiqué par des oligarques africains, de la Côte d’Ivoire au Zimbabwé — davantage criminel à l’égard de cette partie importante de la population mondiale qui souffre déjà de déficit alimentaire. Alors que le problème ne se pose pas, actuellement et dans un futur proche, en termes de pénurie des produits alimentaires, mais de répartition de la production alimentaire disponible et d’une réorganisation de l’agriculture mondiale, qui permettrait aussi d’éviter le gaspillage actuel, marque parmi d’autres du cynisme capitaliste, et de préserver des terres fertiles pour les générations futures.
Après cinquante de néocolonialisme, l’organisation capitaliste néolibéralisé du continent semble lui réserver comme destin la continuation de l’accumulation de ses effets parmi les plus nocifs. Ainsi, concernant l’une des principales préoccupations actuelles de l’humanité sensée, à savoir le réchauffement climatique, l’Afrique qui n’est pas l’une des principales pollueuses de la planète est destinée à subir les conséquences de la croissance et du productivisme du capitalisme, imités pendant une cinquantaine d’années par les régimes du bloc stalinien. Selon le GIEC : « De nouvelles études confirment que l’Afrique est l’un des continents les plus vulnérables en raison de la diversité des effets anticipés, des stress multiples et de sa faible capacité d’adaptation ». Ce qui n’empêche pas que des partisans africains du capitalisme néo-libéral s’activent à promouvoir une « stratégie africaine pour la guerre du “green business” » (18).
Des résistances africaines au capitalisme néolibéral
Les premières conséquences sociales de la néolibéralisation en Afrique avaient produit, dans les années 1980-1990, une dynamique de mobilisation populaire, des luttes sociales — vertébrée par des organisations syndicales — qui ont contribué à la « démocratisation » des régimes monolithiques postcoloniaux. Mais dans un contexte international de perte de légitimité du projet émancipateur socialiste, identifié au stalinisme qui s’écroulait, la social-démocratie européenne s’avérait une bonne gestionnaire du capitalisme, en construisant l’Europe du capital néolibéral. Autrement dit le dépassement du capitalisme n’était plus à l’ordre du jour. C’est ainsi que cette ouverture démocratique s’était partout réalisée en faveur des courants politiques partisans de la gestion du néocolonialisme, qui, dans certains cas, sont devenus par la suite coresponsables des guerres néo-libérales.
Les organisations populaires de la gauche africaine ayant survécu au monolithisme des trois ou quatre premières décennies postcoloniales ont été presque partout emportées par le discrédit jeté sur le projet émancipateur socialiste et, dans certains cas, par les guerres de la restructuration néolibérale du néocolonialisme. À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, les plus populaires des organisations survivantes se sont progressivement intégrées à la gestion de l’ordre néocolonial, du Parti communiste sud-africain (SACP) qui s’est attaché à son allié, le Congrès national sud-africain (ANC) à And-Jef/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/PADS) du Sénégal. Les directions syndicales qui étaient liées à ces partis ont été entraînées dans cette dérive, en faisant du syndicalisme dit responsable ou en devenant des « partenaires sociaux » du patronat et des gouvernants (19).
Un achèvement de la besogne d’escroquerie de l’espérance des couches populaires commencée par les régimes néocoloniaux dits ou se proclamant socialistes, de celui du Parti congolais du Travail (PCT) de Marien Ngouabi à Denis Sassou Nguesso (I) au Congo-Brazzaville à celui du Front de libération du Mozambique (Frelimo) de Samora Machel au Mozambique, en passant par ceux du Front de Libération Nationale de Houari Boumédienne en Algérie, du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA) d’Agostino Neto/Eduardo do Santos, l’Armée de Résistance nationale (NRA) de Yuweri Museveni en Ouganda. Toutefois, des militant/es ou d’ex-militants de la gauche radicale africaine, des syndicalistes « lutte de classe » ont été parmi les principaux animateurs/principales animatrices de la dynamique dite altermondialiste en Afrique. L’anticapitalisme, qui était devenu une grossièreté en Afrique, est redevenu relativement audible à partir de la critique du néolibéralisme drainé par les politiques d’ajustement structurel, aux effets sociaux dramatiques.
Cependant, en gagnant une certaine visibilité médiatique — tout en demeurant souvent très faible numériquement dans les milieux populaires — le mouvement altermondialiste africain n’a pas échappé, à l’instar de ceux d’ailleurs, à l’hégémonie des organisations/associations et individus de la « société civile » qui étaient/sont hostiles à toute critique dépassant le cadre du néolibéralisme, se donnant pour cible le système d’exploitation, d’oppression et de pollution qu’est le capitalisme. Ainsi, la dynamique altermondialiste africaine ne devrait pas s’identifier à quelque projet émancipateur radicalement et globalement alternatif au capitalisme.
Ce qui n’est pas une particularité africaine. C’est aussi l’expression d’une emprise sur l’altermondialisme africain du courant incarné par des grosses organisations de l’Occident, mobilisées pour un « capitalisme à visage humain » ou « un autre capitalisme possible », qui reproduisent, dans ce cadre se voulant alternatif, le type classique des relations entre le centre du capitalisme et sa périphérie. L’aide financière apportée aux altermondialistes d’Afrique est conditionnée par leur opposition à l’orientation du courant radical de l’altermondialisme. La corruption des gouvernants africains, les « biens mal acquis » peuvent, à juste titre, être dénoncés, mais de façon moraliste, sans toutefois les placer dans le cadre historique du système capitaliste, dans lequel ils cessent d’être une particularité africaine ou du Tiers Monde et devient un mécanisme classique universel.
Les corrupteurs étant souvent les mêmes au Nord et au Sud. Il arrive même que certains soient partenaires de certaines ONG altermondialistes qui considèrent l’anticapitalisme inapproprié à la dynamique africaine contre l’état de choses existant. Dans le contexte relativement semblable de la lutte anticoloniale, Frantz Fanon parlait à propos de la mouvance dominante de l’anticolonialisme métropolitain du « désir difficilement réprimé de guider, d’orienter jusqu’au mouvement de libération de l’opprimé ». Quarante à cinquante ans après, il n’y a pas de changement substantiel, si ce n’est pire.
Un état de choses qui est aussi favorisé par la précarité qui frappe les couches moyennes africaines, auxquelles appartiennent souvent les animateurs de la « société civile », cette entité brumeuse dont la promotion, en tant que partenaire parallèle fiable des institutions officielles du centre capitaliste, est l’une des modalités de contrôle des sociétés de la périphérie, comme le sont souvent certaines associations dans les zones urbaines du centre. Être animateur ou organisation de la « société civile » altermondialiste, mais ouvert/e au dialogue, voire au partenariat, avec les consulats occidentaux, les multinationales privées, les fondations occidentales et des institutions internationales, telle la Banque mondiale, est souvent une garantie d’échapper à la précarisation locale, co-organisée par ces derniers. Un subtil mécanisme de corruption qui peut se faire par l’intermédiaire d’une ONG (grande soeur) du Nord, attachée à la conservation de ses subventions publiques. Il n’en est pas souvent question, bien que ce soit une forme d’achat de la conscience individuelle/associative aux dépens des intérêts de la collectivité.
Ainsi, en une décennie de mouvement altermondialiste, de forums sociaux locaux et régionaux, de manifestations contre la vie chère, de mobilisations étudiantes contre la précarisation, de luttes syndicales, de mouvements paysans, de mobilisation de chômeurs et de revendication de travail décent, les organisations africaines se réclamant encore de la gauche radicale ne peuvent se prévaloir de réussites évidentes en matière de contribution à l’auto-organisation des travailleurs et travailleuses, de la petite paysannerie dans une perspective d’articulation de leurs luttes avec un projet global de rupture avec le capitalisme.
Les mobilisations fréquentes, voire permanentes, pour l’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux soins de santé, aux emplois décents, à la terre, à de bonnes conditions d’études, contre les violences faites aux femmes etc., demeurent émiettées et sans convergence. Une fragmentation permanente qui peut aussi être interprétée comme une expression du sectarisme des organisations de la gauche radicale, ayant certes le mérite d’avoir survécu au rouleau compresseur de l’idéologie néolibérale mais qui, malheureusement, peuvent plus s’accrocher à l’affirmation identitaire micro-groupusculaire ou au narcissisme des petites différences qu’à l’organisation des convergences et à la construction locale de dynamiques unitaires et démocratiques permanentes.
Celles-ci ne peuvent se concrétiser localement qu’enracinées dans les classes exploitées et les couches opprimées, en particulier, et dans les toutes les catégories sociales victimes de la barbarie sociale et écologique du capitalisme. Ce qui n’est pas possible sans intégration dans le processus de la lutte de la compréhension de la dynamique de chacune des sociétés et du capitalisme global par les organisations et les militant/es de la gauche radicale. Une compréhension à produire, à partager et à enrichir, à partir de et en retour sur l’action, avec les acteurs/actrices des mouvements sociaux et secteurs radicalement progressistes de la société civile.
On ne peut pas bien transformer ce que l’on ne comprend pas assez bien. Or, l’école néolibéralisée, bien pire que celle des premières décennies néocoloniales, n’est pas organisée pour favoriser la compréhension des sociétés. Cette compréhension partagée pourrait aussi contribuer à la réduction des marges d’ambivalence existentielle entre, d’une part, l’engagement anticapitaliste pour une égalité humaine fondamentale et, d’autre part, l’attitude consumériste à l’égard du capitalisme spectaculaire ou « capitalisme de la séduction », vecteur des valeurs d’inégalité et de compétition.
L’organisation du contrôle idéologique des esprits et de la structuration du quotidien des masses petites-bourgeoises et populaires (de la consommation du spectacle sportif aux valeurs hollywoodiennes), une des principales réussites du capitalisme des XXe et XXIe siècles, semble encore négligée par la gauche radicale africaine. Les militant/es de la gauche radicale africaine, qui ne sont pas souvent à l’abri du nationalisme culturel ahistorique — produit du mélange d’ignorance et de racisme coloniaux et reproduit de façon intéressée par les élites néocoloniales — sont encore porté/es à réagir qu’en évoquant, de façon non dialectique ou non critique, des valeurs culturelles ou traditionnelles africaines. Comme si celles-ci n’étaient pas aussi légitimatrices des inégalités et des injustices que le capitalisme a pu faire recycler par des élites locales, pour la reproduction de sa domination.
Ainsi, après cinq décennies de néocolonialisme, le problème majeur de l’égalité fondamentale des genres n’échappe pas à la réfraction par les dites valeurs africaines. Les militantes de la gauche radicale, particulièrement investies dans ce secteur de la lutte contre les inégalités et pour l’émancipation humaine, doivent encore défendre leur droit à l’égalité concrète dans certaines organisations, pendant que dans les couches populaires de la société, la marchandisation poussée de l’enseignement secondaire et supérieur favorise l’exclusion des filles du système scolaire.
C’est au nom des valeurs traditionnelles, qu’il est logique de subvenir aux frais scolaires d’un garçon plutôt que d’une fille, quand la précarité l’exige. Alors que, sans se faire d’illusion sur les contenus de l’éducation scolaire ou sans attribuer à l’instruction une nature émancipatrice, l’analphabétisme ne favorise pas l’émancipation, y compris celle des hommes, même dans les sociétés africaines. La gauche radicale africaine à reconstruire ne peut inscrire la lutte pour l’émancipation égalitaire des femmes comme une question secondaire. Ou partager la conception de l’égalité des genres représentée par la statue de la Renaissance Africaine qu’Abdoulaye Wade a fait ériger à Dakar : on y constate une évidente supériorité masculine, alors que le président sénégalais se vante d’avoir institué la parité dans son pays.
Quant à la lutte menée par les homosexuel/les, de plus en plus réprimé/es ces dernières années dans plusieurs États africains, de l’Égypte au Zimbabwe, en passant par le Sénégal, elle n’est pas souvent soutenue par les organisations de gauche locales, qui souvent fondent leur soutien, par indifférence, à l’oppression homophobe sur une prétendue exogénéïté (d’origine occidentale) de l’homosexualité en Afrique. Ce qui n’est conforme ni à l’histoire, ni à l’engagement pour l’émancipation humaine (20).
Sortir l’Afrique de sa situation tragique
Les cinq décennies postcoloniales ne peuvent être pour la gauche radicale africaine que cinq décennies de néocolonialisme. Un néocolonialisme qui n’a cessé de se complexifier et d’avoir des conséquences plus tragiques : du développement des inégalités sociales dans tous les pays aux guerres néolibérales dans certains d’entre eux, en passant par la diversité des acteurs de l’exploitation des salarié/es. Sa réalité dans chaque pays est bien sûr particulière, malgré des traits communs généraux. Cette complexification du néo-colonialisme s’est malheureusement accompagnée d’un affaiblissement de la conscience antinéocoloniale/anticapitaliste radicale organisée, en phase avec le reflux de la conscience anticapitaliste et socialiste révolutionnaire
organisée au niveau mondial, mais de façon plus prononcée ou plus grave.
Le moralisme est imposé comme horizon indépassable de la critique. C’est pourquoi il faut, plus que jamais, se démarquer, par exemple, de la conception apolitique d’une trahison de l’Afrique par les bourgeoisies au pouvoir. Car, si elles sont africaines, sans l’avoir choisi, elles ont par contre fait le choix du capitalisme. Autrement dit, elles sont guidées et motivées surtout par leurs intérêts de classe et individuels. Elles ne sont pas en cela fondamentalement différentes de la bourgeoisie française, par exemple, qui avait fait le choix, dans son écrasante majorité, de collaborer sous l’occupation avec l’économie allemande nazifiée.
Pour sortir l’Afrique de sa situation tragique, il n’y a pas objectivement d’autre voie que celle de l’anticapitalisme, au-delà de l’antinéolibéralisme (qui peut n’être que l’illusion d’un capitalisme à visage humain, s’appuyant sur une conception du capitalisme des « trente glorieuses » qui ne tient compte ni de la pression de la guerre froide, autrement dit le compromis capital-travail motivé par la propagande anti-communiste et conseillé par J. M. Keynes, ni du fait impérialiste qui est l’une des caractéristiques de cette phase de la mondialisation capitaliste). Aujourd’hui, ni la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil et d’autres ne peuvent faire illusion, car les coûts sociaux et écologiques de la croissance dans ces économies ne peuvent être négligés. Ces pays ne peuvent être des exemples de société d’égalité et de justice sociale, de satisfaction des besoins fondamentaux de chaque individu et des peuples. Le développement des injustices sociales y sont aussi la règle.
Au moment de la célébration du cinquantenaire du néocolonialisme, l’une des meilleures façons d’honorer celles et ceux qui ont lutté contre le néocolonialisme/capitalisme en Afrique — plutôt que les « pères de l’indépendance » néocoloniale — est de faire de véritables bilans des luttes, qui ont été menées localement et continentalement. D’en tirer des leçons pour la construction de nouvelles organisations antinéocoloniales/anticapitalistes devant contribuer à l’auto-organisation et aux luttes des salarié/es, de la petite paysanerie, des femmes, de la jeunesse et de toutes les autres catégories sociales opprimées.
Des organisations qui luttent contre l’exploitation économique des humains par d’autres, contre les différentes oppressions et contre les effets nocifs évitables sur l’environnement. Autrement dit pour la construction des sociétés socialistes c’est-à-dire socialement justes et égalitaires, féministes, anti-homophobes et écologiques. Ce qui ne peut être effectif dans les limites des territoires nationaux actuels. La construction de ce socialisme exige son inscription dans une perspective panafricaine. Ce que favorisent d’ailleurs la présence des mêmes entreprises exploiteuses dans plusieurs pays, qu’elles soient extra africaines ou africaines, et les groupements d’intégration économique régionaux.
C’est donc une urgence pour les organisations qui se revendiquent encore socialistes et panafricanistes d’initier une véritable dynamique d’échanges, de solidarité, d’apprentissage de l’élaboration et de l’action commune, localement et régionalement, de façon démocratique. L’appartenance à des traditions politiques différentes ayant caractérisé le mouvement socialiste pendant XXe siècle ne devrait pas être un obstacle. Aucune organisation socialiste et démocratique repliée sur soi localement ou sur sa tradition politique internationale n’est en mesure de résoudre les problèmes théoriques et pratiques auxquels elle est confrontée, ainsi que les classes exploitées et les couches opprimées.
C’est dans la construction de cette dynamique de concertation et d’action panafricaine socialiste et révolutionnaire que chaque organisation contribuera mieux à la construction d’une Afrique réellement et intégralement décolonisée, émancipée du capitalisme. Ce panafricanisme socialiste et révolutionnaire ne peut consister en un repli continental, il est appelé à contribuer à la construction d’un nouvel internationalisme, héritier critique des traditions internationalistes encore existantes. Comme, voire plus que partout ailleurs, l’alternative en Afrique est soit la lutte pour et la construction d’un socialisme démocratique, soit l’aggravation du désastre social capitaliste.
* Jean Nanga est le correspondant d’Inprecor pour l’Afrique subsaharienne.
Notes
1. Selon l’African Economic Outlook/Perspectives économiques
en Afrique, 2010, le
taux de rentabilité en Afrique serait de 12,1 %, supérieur à celui des autres
continents.
2. L’Espagne, la France, le Portugal et le Royaume-Uni occupent encore des territoires
africains : Açores, Ceuta et Melilla, Îles Canaries, Îles Chagos, Îles Madères, Île
Sainte Hélène, Mayotte, Réunion.
3.
La somme des sept premiers exportateurs d’armes de l’Union européenne
(Allemagne, France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, Suède, Espagne) a dépassé
les exportations états-uniennes, en 2006 et en 2007, selon les chiffres du SIPRI
(Suède).
4. « Vu de Chine : les embarras de la France en Afrique », Quotidien du peuple, 29
février 2009, disponible en ligne sur : http://contreinfo.info/prnart.php3 ?
id_article=2994.
5. Depuis mai 2009, les relations entre les États-Unis et le Sénégal ne sont plus au beau fixe : sous couvert de dénonciation, par l’ambassadrice des États-Unis, du développement de la corruption au Sénégal, il est en fait reproché au président sénégalais, A. Wade, le développement sans voile de ses relations avec l’Iran d’Ahmadinejad.
6. Cité dans « Affaire contrats chinois : Kinshasa donne raison à Pékin par la bouche du porte-parole du gouvernement », Le Palmarès (un journal de Kinshasa), 4 juin 2009, disponible sur :http://www.digitalcongo.net/article/58575
7. Idem.
8. Selon le Pew Global Attitudes Project Global Unease With majors World Powers : « http://orta.dynalias.org/inprecor/article-inprecor?id=960
Page 15 sur 16 Across Africa, favorable views of China outnumber critical judgements by two-to-one or more in every country except South Africa, where opinion is divides »,
Washington, Pew Research Center, June 2007, p. 41, disponible sur :
www.pewglobal.org.
9. Abdoulaye Bio-Tchané, « La Chine n’est pas une menace
pour nos économies », entretien publié par le journal abidjanais, Nord-Sud, 30 mai 2007.
10. Dambisa Moyo dans L’aide fatale. Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique, avant-propos de Niall Ferguson, Paris, JC Lattès, 2009, p.
189.
11. Selon la formule du Premier ministre chinois Wen Jia Bao, Rapport d’activité du gouvernement à l’Assemblée Populaire Nationale, 5 mars 2010, http://french-newsen/documents/2010-03
12. « La Chine défend ses investissements en Afrique », 8 mars 2010,
http://www.focac.org/fra/zfgx/jmhz/t662292.htm
13. Lionel Zinsou, « Plus du tiers des investissements en Afrique sont africains », Les Afriques, n° 96, 5-11 novembre 2009. Certaines de ces investisseurs sont autant africains que Total est français, car ce sont des institutions ayant aussi des actionnaires extra-africains.
14. « Rapport du Directeur général », Bureau International du Travail, Onzième
Réunion régionale africaine (Addis-Abeba, avril 2007) : L’Agenda du travail décent en Afrique : 2007-2015, Genève 2007.
15. Ces taux et chiffres sont ceux des chômeurs/chômeuses déclaré/es, non pas de l’ensemble des chômeurs/chômeuses sud-africain/es.
16. Cf. Jean Nanga (2004), « Darfour : les enjeux d’un conflit meurtrier »,
http://www.solidarites.ch/journal/index.php3?action=4&id=1693&aut=244 ; le rapport de l’United Nations Environment Programme (UNEP), Sudan Post-Conflict
Environmental Assessment, Nairobi, 2007 aussi établit le rapport entre l’agriculture intensive et l’épuisement des sols subséquent comme l’un des facteurs de la crise du Darfour.
17. Cf. Karl Marx, Le Capital, Livre 1er, Chapitre XXVII : L’expropriation de la
population campagnarde.
18. Le journal finance africaine, Les Afriques a publié un dossier favorable au « green business » sur plusieurs numéros, pendant le dernier trimestre 2009, en phase avec le Sommet de Copenhague.
19. Le dernier ralliement est celui du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) zimbabwéen entré au gouvernement de la ZANU-PF, présidé par Robert Mugabe, en janvier 2009, au nom de la réconciliation nationale, avec son leader Morvan Tsvangirai nommé Premier ministre. Avant la création du MDC, M. Tsvangirai, ancien mineur mais diplômé de Harvard, a dirigé le Congrès des syndicalistes zimbabwéens, ce qui a favorisé l’adhésion massive des couches populaires au MDC en même temps que des zimbabwéens blancs. Aux dernières nouvelles, les ministres du MDC ont avalisé le gel des salaires des fonctionnaires zimbabwéens.
20. Cf. par exemple : Charles Gueboguo, « Pour une lecture revue et corrigée de l’homosexualité dans la pensée doxique africaine : Impacts, dérapages et risques », semgai.free.fr/doc_et_pdf/CG_pour_une_lecture.pdf ; le journal en ligne Behind the Mask. The Voice of Africa’s LGBTI Community, http://www.mask.org.za.