Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Antisémitisme et antisionisme : deux enquêtes en forme de démenti cinglant

Un sondage n’est qu’un sondage. Mais les enquêtes dont on trouvera ici les liens, réalisées par deux instituts considérés comme sérieux, ont été étonnamment peu médiatisées. Et pour cause : elles confirment la dégradation sensible de l’image d’Israël dans l’opinion française.

Tiré du blogue de l’auteur.

Sans doute est-ce pourquoi l’extrême droite au pouvoir à Tel-Aviv et ses relais français tentent par tous les moyens de faire taire les voix critiques tout en effrayant les Juifs de France censés subir, selon ces irresponsables, une « terreur » antisémite et une « épuration ethnique » ! Ainsi, après la tentative de criminalisation de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS), le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Francis Kalifat, se précipite dans la brèche ouverte par le président de la République le 16 juillet dernier pour exiger l’interdiction de l’antisionisme ([1])

Or ces deux enquêtes balayent l’idée mensongère selon laquelle ce dernier serait synonyme d’antisémitisme. Plus généralement, elles remettent les pendules à l’heure. Qu’on en juge :

1) La première, réalisée par l’IFOP, à la demande de l’Union des étudiants juifs de France, sur "Les Français et les 70 ans l’Israël", marque une dégradation sensible de l’image d’Israël en France. Et, je le souligne, elle a été réalisée avant les massacres de Gaza, dont on mesure déjà les effets ravageurs pour cette image.

À preuve ces données parmi beaucoup d’autres :

 57 % des sondés ont une « mauvaise image d’Israël ([1]) » (68 % chez les moins de 35 ans) ;

 69 % une « mauvaise image du sionisme » (74 % chez les moins de 35 ans) ;

 71 % pensent qu’« Israël porte une lourde responsabilité dans l’absence de négociation avec les Palestiniens » (68 % chez les moins de 35 ans) ;

 57 % jugent qu’« Israël constitue une menace pour la stabilité régionale » (63 % chez les moins de 35 ans)...

 Notons aussi que, pour les sondés, Israël est une théocratie (51 % contre 49 %), mais pas un pays comme un autre (48 % contre 52 %), ni une démocratie (46 % contre 54 %) et encore moins un État laïque (28 % contre 72 %)…

2) La seconde enquête, réalisée par IPSOS pour la Fondation du judaïsme français, porte sur "L’évolution de la relation à l’autre dans la société française" (https://www.ipsos.com/…/la-relation-lautre-et-aux-minorites…).

Elle est extrêmement riche et parfois contradictoire. Globalement, elle marque une crispation accrue de la société française, dont les immigrés et les musulmans constituent les premières victimes. Si les rapports au quotidien restent plutôt bons, l’irritation contre les signes religieux visibles grandit.

Les Juifs, s’ils restent l’objet de stéréotypes massifs, représentent la « minorité » que les Français jugent massivement la mieux intégrée et à laquelle ils manifestent le plus d’empathie.

Sur l’amalgame antisionisme/antisémitisme, l’enquête conclut dans un style « politiquement correct » : « Si l’existence d’un “nouvel antisémitisme” d’extrême-gauche basé sur le rejet d’Israël plutôt que sur des conceptions religieuses ou raciales n’est pas remise en cause, elle reste sans doute cantonnée aux franges les plus militantes. De manière générale, si les électeurs de gauche radicale sont les plus critiques envers Israël et son gouvernement actuel, ils sont aussi parmi les moins enclins à partager des préjugés antisémites ou à avoir des attitudes de rejet envers les juifs. »

Dans sa présentation vidéo de cette enquête sur le site Akadem, Brice Teinturier se montre beaucoup plus net : « L’image d’Israël n’est pas très bonne. Elle n’est pas catastrophique quand on la benchmarke avec d’autres pays. Mais elle est incontestablement assez dégradée. Mais c’est une image qui joue beaucoup pour la politique menée par Israël, par l’actuel gouvernement israélien. Beaucoup plus qu’Israël en tant qu’État et que des Israéliens en tant que peuple. Là, les niveaux de perception et de jugement sont extrêmement différents : 80 % de la population a une bonne image des Israéliens en tant que peuple, 43 % seulement de l’actuel gouvernement israélien. Et c’est important car, là aussi, on peut mesurer les choses selon les sensibilités politiques. Et notamment la question d’un antijudaïsme qui se dissimulerait derrière un antisionisme est beaucoup plus complexe que ce qu’on entend parfois. »

Brice Teinturier souligne en particulier que « les sympathisants de la France insoumise sont – on l’a vu à propos des stéréotypes antijuifs – ceux qui sont les moins poreux à ces stéréotypes. Mais ils sont les plus critiques à l’égard de la politique de l’État d’Israël. Et quand vous regardez les liens entre ces deux dimensions, ce qui est très clair – je parle bien des sympathisants, pas des dirigeants ou de certains dirigeants –, c’est qu’on ne peut pas dire que les sympathisants de la France insoumise, derrière une critique de l’État d’Israël dissimuleraient une critique des Juifs en général. Au contraire, ils clivent les choses, ils les séparent. Je pense qu’il y a un travail politique, une conscience politique, une critique politique qui est beaucoup plus forte chez les sympathisants de la France insoumise que dans d’autres catégories de la population, mais ça ne débouche pas sur des stéréotypes antijuifs accrus. »

Conclusion de Brice Teinturier : « On ne peut pas, rapidement et un peu caricaturalement, dire que l’un dissimulerait l’autre. »

Bref, si le ridicule tuait, il y aurait une hécatombe à la direction du CRIF et parmi les auteurs du « Manifeste des 300 », à commencer par Philippe Val, sans oublier quelques confrères et consœurs...

Notes
 
([1]) Voir Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron (Libertalia, 2018).

([2]) La seconde enquête, celle d’IPSOS, enregistre seulement 42 % de « mauvaise image d’Israël ». Cette différence s’explique simplement : dans la première, les seules réponses proposées étaient "très bonne", "assez bonne", "assez mauvaise", "très mauvaise" ; dans la seconde, il y avait en plus une réponse "ni positive, ni négative", qui rassemble 31 % des sondés.

Dominique Vidal

Né en 1950, Dominique Vidal a étudié la philosophie et l’histoire. Journaliste depuis 1968, professionnel depuis 1973, il a notamment travaillé dans les rédactions des hebdomadaires "France Nouvelle" et "Révolution", puis du quotidien "La Croix". Après avoir coordonné les activités internationales du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), il a fait partie, de 1995 à 2010, de l’équipe permanente du "Monde diplomatique", dont il a en particulier créé le réseau d’éditions internationales et coordonné les Atlas. Spécialisé dans les questions internationales et notamment le Proche-Orient, il vient de publier "Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron" (Libertalia, 2018). Auparavant, il avait sorti "Comment Israël expulsa les Palestiniens 1947-1949" (Éditions de l’Atelier, 2007, avec une postface de Sébastien Boussois) ; "Israël, une société bousculée. Vingt-cinq années de reportage" (Editions du Cygne, 2007) ; et "Le Mal-être juif" (Agone, 2003). Dominique Vidal a écrit en collaboration avec Alain Gresh : "Les 100 Clés du Proche-Orient" (dernière édition avec Emmanuelle Pauly chez Fayard, 2011) ; ; "Palestine 47 : un partage avorté" (dernière édition chez André Versaille, 2007) ; "Golfe : clefs pour une guerre annoncée" (Le Monde Éditions, 1991) ; et "Proche-Orient : une guerre de cent ans" (Messidor, 1984). Depuis 2010, il dirige avec Bertrand Badie l’annuel collectif "L’état du monde", chez La Découverte. Le dernier en date, paru en 2018, s’intitule "Le Retour des populisme". Autres ouvrages : "L’Opinion, ça se travaille… Les médias, l’OTAN et la guerre du Kosovo" (Agone, Marseille, dernière édition 2015 avec Serge Halimi, Henri Maler et Mathias Reymond) ; "Le Proche-Orient, les banlieues et nous" ( Éditions de l’Atelier, 2006 avec Leila Shahid, Michel Warschawski et Isabelle Avran) ; "Le Mal-être arabe. Enfants de la colonisation" (Agone, 2005 avec Karim Bourtel) ; "Les historiens allemands relisent la Shoah" (Complexe, 2002) ; " Promenades historiques dans Paris" (Liana Levi, 1991 et 1994, avec Christine Queralt) ; "Portraits de China Town, le ghetto imaginaire" (Autrement, 1987, avec Éric Venturini). Chez Sindbad/Actes Sud, Dominique Vidal a coordonné "Palestine-Israël : un Etat, deux Etats ?" (2011) et "Palestine : le jeu des puissants" (2014). Chez Demopolis, il vient de diriger "Les Nationalistes à l’assaut de l’Europe".

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