Nous vous rapportons des informations partagées par diverses personnes venues manifester et nous en avons profité pour poser des questions à des membres du Collectif pour un Québec sans pauvreté, soit le regroupement national qui avait fait naître la fameuse Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Bilan de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale ?
Cette loi, adoptée en décembre 2002 à l’unanimité par l’Assemblée nationale, est accompagnée d’un Plan d’action gouvernemental en matière de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale au Québec. Un nouveau plan doit être concocté tous les cinq ans et la présente édition s’étend jusqu’en 2015.
Nous avons demandé à Micheline Bélisle, porte-parole pour ce rassemblement à Québec, comment elle résume la situation aujourd’hui en comparaison à toute la passion extraordinaire qui a réussi à faire naître cette loi en 2002. Mme Bélisle explique qu’à l’origine tous les ministères devaient agir ensemble pour contrer la pauvreté, mais finalement les ministères fonctionnent en silo et donc les actions ne semblent pas aller au-delà du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Surtout, à l’instar du Collectif, elle dénonce que la ministre n’ait pas fixé clairement des cibles de revenu, tel que l’exige la loi. Le gouvernement doit établir des cibles de revenu, soient un revenu minimal pour les personnes au salaire minimum et un revenu minimal pour celles à l’aide sociale. Un Comité consultatif officiel a remis comme convenu des recommandations à la ministre, sauf qu’elle a esquivé la question des cibles de revenu. Selon des personnes interviewées ayant lu le rapport de la ministre, dont Mme Bélisle, il semblerait que la ministre considère que les programmes sociaux actuels et que le salaire minimum sont suffisants pour que les personnes concernées ne soient pas en situation de pauvreté, tout en reconnaissant que certaines catégories de personnes peuvent pâtir selon leur situation.
Nous avons demandé à M. Robin Couture, porte-parole national du Collectif pour un Québec sans pauvreté, comment il voit l’évolution ou le bilan de cette loi. Or, le Collectif est justement en train d’amorcer un processus pour établir son bilan de la situation. Néanmoins, M. Couture a bien voulu résumer comme suit : « le projet à l’origine, la loi adoptée et le plan actuel sont trois choses très différentes... ». Voilà déjà, en soi, qui en dit long.
Quiconque a écouté l’excellente série Les naufragés des villes à Radio-Canada peut se demander comment la ministre, Julie Boulet, fait pour estimer que l’aide sociale couvre les besoins des gens ou encore pour conclure qu’une famille au salaire minimum peut arriver à subvenir aux besoins. Pour le moment, le Québec rate la cible par exprès.
Journée internationale : objectifs 2015
Un jeune homme est venu rappeler que les Nations unies, par la signature de 189 pays membres, ont déclaré huit grands « Objectifs du millénaire » officiellement prévus pour l’année 2015. Il s’agit, en somme, de sortir les êtres humains des formes extrêmes de pauvreté, dont offrir des soins de santé à toutes les mères, ainsi que rendre l’éducation accessible à tous les enfants.
Selon un rapport en 2010 de Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations unies, il est possible de réduire la misère et d’améliorer la situation, mais les objectifs ne seront pas atteints. Pour Ban Ki-moon, les explications à cette situation sont le « manque d’engagement et de ressources, le déficit de responsabilité des dirigeants, l’insuffisance de soutien technique et de partenariats ».
De 5 à 10 millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à l’eau insalubre. Pendant ce temps les plus riches se sont enrichis et les grands financiers peuvent compter sur leurs alliés politiques à Washington. Il n’est pas innocent que les mouvements sociaux en Europe avaient plutôt baptisé le 17 octobre la Journée mondiale du refus de la misère.
« La pauvreté, c’est aussi les étudiant-es qui doivent travailler plus de 20 heures par semaine pour arriver »
Cette phrase est de Lydia, une étudiante, qui s’est exprimée au micro. Elle estime que travailler 20 heures et plus par semaine, non seulement réduit la capacité des personnes d’approfondir leurs études, mais en plus augmente les taux d’échec.
En effet, nous avons pris connaissance d’études exhaustives effectuées à travers le Québec, confirmées par plusieurs études, concluant que travailler 20 heures ou plus par semaine augmente de manière très significative les taux d’échec et d’abandon aux études collégiales et universitaires.
Les frais de scolarité universitaires —en augmentant « subtilement » de 100 $ par année— passeront à 2168 $ en 2012 puis à 3793 $ en 2017 ; ce qui exigera une moins subtile augmentation de 270 $ par année.
Une agence gouvernementale canadienne conclut qu’il est hautement économique de réduire la pauvreté
Le Conseil national du bien-être social (www.ncw.gc.ca) —une agence du gouvernement canadien— conclut que les coûts engendrés par la pauvreté sont au moins deux fois plus élevés que l’argent public qu’il faudrait pour sortir de la pauvreté toute personne habitant au Canada. Le Conseil résume le tout, de manière efficace sur son site Internet, dans son rapport intitulé Le sens des sous pour résoudre la pauvreté. Le Conseil a évalué en 2008 qu’il nous coûterait collectivement environ 13,1 milliards pour ramener au-dessus du seuil de pauvreté tout le monde habitant au Canada (après impôt), alors que les conséquences de la pauvreté nous auraient coûté au moins 24,4 milliards en 2007. Des études étasuniennes estiment qu’il serait quatre fois plus économique de sortir directement les gens de la pauvreté aux États-Unis au lieu d’assumer les effets de la pauvreté. Le rapport mentionne aussi des aspects non mesurables et humains du bien-être et du mal-être.
Le Conseil dit s’appuyer « sur un large éventail d’études locales, nationales et étrangères dans différents domaines, dont l’économie et l’épidémiologie, pour illustrer comment la réduction de la pauvreté est avantageuse pour tout le monde, peu importe où on se situe sur l’échelle des revenus ».
Au Québec, il faut mériter nos « droits humains » semble-t-il
Pour les organismes de défense des droits, l’accès à l’éducation ou à la santé est un droit social faisant partie des droits humains dans leur ensemble. À ce titre, personne n’a à mériter ses droits sociaux. À l’inverse, un contre-discours tend à estimer que les gens doivent payer ou même que certaines personnes ne les méritent pas. Aux États-Unis, le droit aux services de santé gratuits pour les personnes alcooliques ou fumeuses, par exemple, est mis en cause. De manière parfois plus subtile, on voit se dessiner une vision « méritocratique » des droits sociaux. Croyez-le ou non, plusieurs fonctionnaires québécois répondent, mot pour mot et je cite, « Vous savez, au Québec, la santé n’est pas un droit, c’est un privilège ». Il y aurait long à dire sur cette affirmation, de plus en plus avouée par les agents du gouvernement, mais pour le moment nous la citons pour rappeler que le droit à la dignité de tous les êtres humains n’est pas du tout acquis au Québec.
Actuellement, le Collectif pour un Québec sans pauvreté souhaite que les citoyens et citoyennes demandent aux député-es une commission parlementaire avec une consultation publique pour que soit établi des cibles de revenu et pour qu’ait lieu un réel débat sur ledit plan de lutte à la pauvreté et l’exclusion sociale.**
– Michaël Lessard
Québec, 18 octobre 2011.
* Le rassemblement fut organisé par le Collectif de luttes à la pauvreté (CLAP-03, branche régionale du Collectif national), la Coalition régionale de la Marche mondiale des femmes et le Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC 03-12).
** Cette campagne du Collectif est présentée sur son site www.pauvrete.qc.ca
Photos-crédits : Michaël Lessard, 17 octobre 2011.
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