En août 2010, j’ai commencé à m’inquiéter de la question des gaz de schiste qui a connu une première implantation presque en cachette. Des « claims » avaient été vendus, on avait fait des levés sismiques sans que quiconque comprenne ce qui se tramait, quand soudainement les populations des villages québécois ont compris qu’on allait faire du développement industriel et minier dans des zones rurales. Alors, nous nous sommes mobilisés et nous avons refusé cet envahissement de notre territoire. Nous nous sommes fâchés, nous avons manifesté, battu de la casserole, fait des marches de centaines de kilomètres et des rassemblements monstres.
Nous avons traversé un BAPE, suivi d’une étude environnementale stratégique qui s’est terminée sur un autre BAPE, lequel se tient présentement. Un tour complet de carrousel. Rien n’a fait, si ce n’est que nous avions obtenu du futur gouvernement péquiste, en 2012, une promesse de moratoire. La loi est morte au feuilleton lors des dernières élections.
Sans doute suis-je naïve, mais j’avais une certaine confiance dans le système démocratique : s’il est vrai que généralement on prend en compte le besoin des corporations, quand la population refuse quelque chose fermement, on peut avoir confiance que le gouvernement écoutera ses électeurs. C’est une certitude à laquelle nous nous accrochons avec ferveur, c’est une idée très importante que nous chérissons et que nous ne voulons surtout pas qu’elle s’avère fausse. Nous vivons en démocratie, c’est le peuple qui décide, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ?
Sauf que notre démocratie est de type britannique, uninominale à un tour, dans un régime fédéral dont nous ne contrôlons pas tous les pouvoirs et qui est soumis à des accords de libre-échange favorisant la libre entreprise et la protection des investissements, lesquels ont été négociés en secret. Autrement dit, quand on y regarde de près, la démocratie et le pouvoir du peuple, c’est très théorique. Quatre ans de militance active m’ont appris cela.
Il y a un penseur nommé Chomsky qui a développé un concept qui se nomme « la fabrication du consentement. » Dans diverses analyses, il réussit à démontrer comment les gouvernements, ou les agences de publicité, arrivent à influencer des pans entiers de la population pour leur faire accepter ce qu’ils veulent. Une des techniques répandues est d’épuiser les adversaires en multipliant les instances de consultation. Cela finit par leur donner le tournis.
En écologie, notre ennemi se nomme l’acceptabilité sociale. Il s’agit d’une notion de développement durable (apprécions la contradiction profonde d’une société capitaliste qui prospère justement sur le gaspillage) dont on se soucie beaucoup pour préserver l’environnement. Son existence est attestée par la loi sur le développement durable de 2006. Ainsi, lorsqu’il est question de développement, on doit vérifier que la population est d’accord.
Cette notion est aberrante, parce qu’elle ne se base pas sur la démocratie, elle en est un faux-semblant. Aurait-on pu demander à la population par référendum si elle voulait du développement gazier et pétrolier ? Moins cher que la série d’opérations que sont le BAPE de 2010, l’ÉES de 2011 à 2013, la commission parlementaire partiellement avortée de 2014 et finalement le nouveau BAPE de 2014. N’oublions pas aussi les consultations sur l’avenir énergétique. On pose la question clairement, une bonne fois et nous avons une réponse démocratique. Et définitive. Mais, ça ne nous permet pas d’obtenir la réponse attendue, celle que veulent les industriels : « M. Binnion affirme d’ailleurs qu’il a bon espoir de voir les compagnies gazières pouvoir fracturer à nouveau dans la Vallée du Saint-Laurent. « Nous avons vu avec l’étude environnementale, il n’y a pas de problème pour l’eau. (…) Je suis un éternel optimiste pour ce qui est du développement du gaz de schiste. Nous avons bon espoir d’avoir une acceptation sociale pour aller de l’avant » »1 Le président de l’association gazière serait-il un fanfaron ? D’où peut-il prendre l’idée que les gens sont d’accord pour la fracturation après tout le tapage que nous avons fait contre son implantation depuis quatre ans ? La population aurait changé d’opinion, aurait oublié ? Peut-être est-ce juste que nous avons trop fait de tours de manège et que nous avons mal au coeur.
L’acceptabilité sociale n’est pas une notion politique. Elle n’est pas, par ailleurs, une notion scientifique. Y a-t-il ou non danger de pollution des nappes phréatiques ? Les liquides de fracturation sont-ils toxiques ou non ? 99.5% de monsieur et madame tout-le-monde pourraient être convaincus que c’est une bonne idée de développer l’industrie gazière au Québec, si les scientifiques démontrent que l’on va contaminer l’eau de manière irrémédiable, procède-t-on ? Binnion nous dit que l’ÉES n’a pas trouvé de liens significatifs entre la contamination des nappes phréatiques et la fracturation hydraulique.2 Ils n’ont pas cherché très fort, parce que le collectif scientifique contre les gaz de schiste en a trouvé, lui, des études bien documentées, mais les commissaires de l’étude environnementale ont refusé d’entendre ce groupe. Rappelons aussi que l’étude environnementale ne se préoccupe pas fondamentalement du procédé de fracturation, mais de la possibilité d’implanter l’industrie, autrement dit, elle n’étudie pas spécifiquement les problèmes de santé ou de pollution. C’est comme d’essayer d’observer les étoiles avec des jumelles plutôt qu’un télescope, c’est possible, mais ce n’est pas le meilleur outil.
Les consultations répétitives sont une manière de faire fi de l’opinion démocratique et scientifique d’une population avec des tours de magie et des carrousels pour fabriquer notre consentement. J’invite les citoyens à ne pas être dupes : nous ne sommes pas plus avancés aujourd’hui qu’il y a quatre ans, mais nous restons déterminés à protéger ce qui nous appartient. Chassons ces bonimenteurs de foire de chez nous. Fi, nous descendons du manège et nous vous chassons.
Notes
1 - http://argent.canoe.ca/nouvelles/lindustrie--des--gaz--de--schiste--veut--calmer--le--jeu--
13052014
2 - http://quebec.huffingtonpost.ca/michael--binnion/fracturation--hydraulique--
informations_b_5255711.html