À Québec, le 6 novembre dernier, dans l’amphithéâtre de l’ENAP, plus d’une centaine de personnes se sont réunies à l’invitation de QS Capitale Nationale, pour débattre sur le thème de la transition énergétique, un des axes les plus essentiel, controversé et difficile sur le chemin des transformations nécessaires pour répondre aux changements climatiques. Cette rencontre était organisée dans la cadre de la campagne que mène QS cet automne, depuis le 15 septembre, avec comme mot d’ordre « Sortir du noir : choisir l’or vert ! ». Quatre panélistes ont eu comme mandat de dresser un bref portrait des problématiques et des enjeux, pour ensuite lancer la discussion sur cette thématique à la fois urgente et complexe. Le pari a été relevé à grands traits et de façon élégante par Kim Cornelissen (AQLPA), Monique Voisine (QS Capitale Nationale), Steven Guilbeault (Équiterre) et Amir Kadir (député QS). Plusieurs questions étaient soumises au débat : Comment et sur quelle base s’organiser afin de favoriser la mobilisation sur ces enjeux et influencer les instances décisionnelles ? Quelles pistes et défis s’offrent à nous, individuellement et surtout collectivement, afin d’amener notre économie et nos sociétés vers ces transformations qui nous semblent nécessaires et urgentes ? Comment les luttes actuelles et passées peuvent inspirer et guider nos actions futures ?
Kim Cornelissen a bien exposé la vacuité des prétentions des gouvernements actuels en matière de transition énergétique. Le pétrole coule à flot et pas seulement dans les pipelines : déversement de 450 000 litres de mazout dans la baie de Sept-îles, déraillement catastrophe à Lac Mégantic. Le gouvernement du parti Québécois, malgré ses promesses de virage, ouvre la voie au développement du secteur pétrolier. Le PQ évoque comme modèle les « succès » d’États pétroliers comme la Norvège. Kim Cornelissen a pris le temps de décortiquer le mythe surfait de la Norvège et d’une exploitation du pétrole sans conséquences négatives : c’est une ressource non renouvelable, il n’y a de toute façon pas d’avenir à construire une économie en s’appuyant sur cette exploitation.
Par ailleurs, la transition énergétique implique de faire des choix politiques clairs : on ne peut pas butiner à gauche et à droite, comme par exemple appuyer un peu l’énergie verte ici et puiser le pétrole ou le gaz là-bas. Il faut sortir une fois pour toute le « vert » des activités folkloriques, où on le relègue trop souvent, et y aller à fond dans le secteur des énergies renouvelables. Non seulement c’est possible, mais c’est la seule véritable issue vers une transition efficace et soutenue. Et enfin, ces choix sont l’affaire de tous et toutes, pas seulement des lobbies et des instances gouvernementales. La population doit être impérativement consultée, et elle doit même pouvoir s’approprier ces choix stratégiques essentiels pour son avenir.
Monique Voisine a présenté brièvement les options de sorties proposées par QS sur ces enjeux. QS dénonce la politique du gouvernement du PQ qui déroule le tapis rouge aux pétrolières de l’Ouest et qui finalement laisse le champ libre au marché, tout en clamant ses intentions écologistes. L’image qu’on en retient n’est pas très loin du miroir à deux faces. Et la population demeure à toute fin pratique trop souvent exclue de ces débats cruciaux. Alors, dans ce contexte, que propose QS pour résorber cette confusion organisée et enfin sortir du pétrole ?
QS avance une politique énergétique « verte », et prône la planification d’une transition sous la responsabilité démocratique des citoyens et citoyennes. Dans cette perspective, la sortie du pétrole devrait être réalisée d’ici 2030, sous l’égide d’un secteur public, oui, mais davantage sous contrôle de la population. L’énergie est considérée comme un bien commun. Au cours de la période de transition, les tarifs d’électricité devraient être gardés au plus bas niveau possible, les transports collectifs électrifiés seraient développés et rendus, lorsque possible, gratuits. Un gouvernement QS appuierait le développement d’un secteur manufacturier axé sur les technologies des énergies renouvelables et sur la transition énergétique. Bref, les propositions de QS représentent des choix politiques clairs et affirmés. Cependant il n’est pas trop hasardeux d’affirmer que QS ne peut prétendre à court terme obtenir les pouvoirs pour permettre concrètement la mise en oeuvre de son programme. Alors en attendant, sur quoi peut-on s’appuyer pour avancer ?
Steven Guilbeault a souligné que déjà on ne part pas de zéro : au cours des 10 dernières années, il y a eu des avancées, timides mais réelles dans le contexte canadien, autant dans la population que dans les politiques des gouvernements du Québec en la matière. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes admettent l’existence des changements climatiques, reconnaissent la responsabilité humaine sur ce dossier, et considèrent que les instances décisionnelles ne font pas assez pour traiter ce problème. La proportion de ces personnes préoccupées est particulièrement importante au Québec, du moins si on la compare avec les chiffres pour le Canada. Au cours des années, des gains ont été fait dans les secteurs de l’efficacité énergétique, de l’aménagement urbain (qui a été repensé pour contrer l’étalement), et de l’électrification des transports. Aujourd’hui toutes ces options récoltent des appuis auprès d’une part grandissante de la population. Au printemps 2012, près de 300 000 personnes ont marché et manifesté dans les rues de Montréal lors du jour de la Terre, du jamais vu à l’échelle planétaire. Les décideurs et les politiques tiennent compte, à leur manière, de ces changements, de ces événements. Il est évident que les gains sont encore insuffisants, partiels et souvent fragiles, mais ils sont là, et ce sont des acquis sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour aller plus loin, et certainement plus vite, sur la voie des changements nécessaires.
Malgré ces acquis, Steven Guilbeault revient sur l’importance du défi majeur que pose le secteur énergétique et plus particulièrement celui du pétrole. Notre portefeuille énergétique, au Québec, repose encore à 38% sur le pétrole. Et sur cette ligne nos émissions de gaz à effets de serre continuent d’augmenter. Or, selon Équiterre l’application de mesures simples et précises, qui dépendent uniquement de la volonté politique, sur les transports et l’aménagement urbain pourrait nous amener à rapidement diminuer de 60% nos émissions de GES liés au pétrole. Il s’agit avant tout de changer notre façon de penser le transport et l’aménagement : travailler sur la proximité, arrêter de favoriser les déplacements sur de longues distances. Ensuite, et seulement ensuite, il devient plus efficace de promouvoir l’électrification générale des transports. Il semble que la région de Montréal a déjà avancé sur ce sentier, mais la bataille n’est pas gagnée. Il est donc possible de changer, de cheminer vers la transition énergétique, mais pour ce faire nous devrons, ensemble, forcer ceux et celles qui sont au pouvoir à adopter et appliquer ces mesures porteuses de changement.
Les propositions de QS, précise Amir Kadir, sont pour plusieurs catégorisées comme des options plutôt radicales. Or, si on sonde l’opinion de la majorité de la population québécoise sur les questions environnementales, on y retrouve une parentée évidente. C’est que sur ce thème, l’environnement (et pas seulement sur celui-ci en fait), la population pense à gauche, mais vote pourtant plutôt au centre. Le potentiel de mobilisation sur ces questions est donc un possible. C’est pourquoi Amir Kadir insiste sur l’importance à la fois du politique et de la mobilisation des citoyens-nes sur ces enjeux importants. Les défis sont énormes, mais la loi des nombres pourrait faire la vraie différence entre un avenir noir et un avenir vert. Il existe des solutions technologiques, mais le vrai défi concerne l’innovation sociale et politique qui s’avère nécessaire pour envisager les changements. Dans l’optique de mobiliser davantage les politiques et la population, il apparaît important de chercher à diluer ou encore à se débarrasser de l’influence et du voile opaque que déposent les lobbies sur notre compréhension individuelle et collective des problématiques. À ce chapitre une volonté politique de changement qui émerge devrait se conjuguer avec une mobilisation significative de la population. Dans l’exemple récent de la mobilisation populaire contre l’exploitation du gaz de schiste, on a pu constater que des lobbies puissants peuvent être rabroués par un mouvement de masse qui s’affirme, qui s’organise et qui résiste.
Le panéliste a conclu sur cette question : Si « la démocratie fonctionne au bruit »(Amir citant Agnès Maltais), alors quel serait le meilleur moyen, au delà des manifestations, de causer du bruit, de provoquer le bruit nécessaire pour susciter le virage énergétique dont le Québec a besoin ?
En conclusion, les questions et interventions des personnes dans la salle ont contribué à faire progresser la réflexion sur ce thème, mais en bout de ligne le débat n’aura pas permis de dégager une vision stratégique assez claire pour nous permettre de se mobiliser, du moins certainement pas à la mesure des défis et des enjeux que nous posent ces problématiques. Malgré les failles bien identifiées dans les blocages, pourtant de véritables forteresses qui se dressent devant nous, et malgré les ouvertures déjà opérées dans ces murailles, malgré les luttes qui nous ont permis de les faire vaciller ou même s’écrouler, les défis exposés demeurent impressionnants et il en émane toujours une impression d’avoir à gravir une dune de sable sans fin. Les avancées exigent et exigeront beaucoup d’efforts, et ces derniers semblent aujourd’hui un peu beaucoup éparpillés, alors que le temps nous presse. À quand la mobilisation générale autour de la construction d’un escalier ?