L’extension du système de santé aux couches les plus pauvres de la population a été l’un des premiers et des plus importants défis qu’a assumé le gouvernement bolivarien. Selon l’Institut national de Statistiques (INE), plus de 8 millions de personnes profitent aujourd’hui de la mission d’attention médicale Barrio Adentro (développée grâce au partenariat avec Cuba) et le Venezuela destine actuellement environ 9 % de son PIB à la santé
contre 2,3% en 1998).
Pourtant ici aussi les problèmes se font sentir : manque de personnel qualifié, de places disponibles, de matériel, de coordination entre les différents réseaux ; des projets paralysés ou inaugurés à la va-vite, etc. Pour y pallier, le président Chavez annonçait en octobre 2009 l’incorporation de 1 000 nouveaux médecins cubains au programme Barrio Adentro, dont 220 étaient déjà arrivés à Caracas.
Mais selon Luisana Melo, médecin membre du Mouvement socialiste pour la Qualité de Vie et la Santé (Moscavis), les dernières mesures prises par le gouvernement ne sont pas suffisantes pour résoudre le problème structurel. La doctoresse estime que l’obstacle fondamental est le manque d’un véritable système national de santé publique capable de coordonner et de planifier ses propres politiques. « Nous avons actuellement une quantité impressionnante de sous-systèmes et de régimes de prestations de santé. Barrio Adentro en fait partie mais n’est qu’un sous-système de plus, parallèle à tous ceux que nous comptons déjà ».
Il existe en effet de nombreux réseaux : celui du ministère de la Santé, de l’Institut vénézuélien de Sécurité sociale (IVSS). Chaque mairie dispose de son propre système, de même que chaque État régional, sans parler des hôpitaux militaires, cliniques privées et autres. « Cela a constitué l’un des principaux inconvénients pour la construction et le fonctionnement adéquat d’un système national de santé publique. Aujourd’hui le gouvernement investit dans la santé comme aucun gouvernement ne l’avait fait auparavant. Mais étant donné que chaque investissement se fait de façon isolée, les résultats se traduisent au jour le jour par des dépenses considérables et des réponses insatisfaisantes », ajoute-t-elle. En plus de cela, Luisana Melo estime que ce modèle de financement segmenté contribue à reproduire le germe de la corruption.
Lancée au départ comme une réponse « dans l’urgence » au problème de l’accès à la santé et développée en dehors des structures traditionnelles de l’État (dans ce cas-ci du ministère de la Santé), la mission Barrio Adentro en est pratiquement toujours là sept ans plus tard. Même si elle ne se limite plus aujourd’hui à la médecine générale (grâce au développement des centres Barrio Adentro 2 et 3), elle ne s’est en aucun cas constituée en système de santé hégémonique capable de répondre aux besoins de l’ensemble de la population et de lui assurer des soins à tous les niveaux d’intervention (préventif, de proximité, services hospitaliers spécialisés, etc.).
Par ailleurs, l’État contribue paradoxalement à financer les institutions de santé privées via les assurances privées HCM (Hospitalisation, Chirurgie et Maternité) dont jouissent les employés du secteur public. « De l’argent public qui va directement dans les caisses du système privé », juge Luisana Melo, qui estime que cette « énorme contradiction idéologique » ne garantit même pas le droit à la santé des fonctionnaires de l’État.
Vers une réforme du système d’assurances privées
Pour pallier à cette contradiction, l’Assemblée nationale est actuellement sur le point d’approuver une loi qui vise à réguler l’activité des compagnies privées d’assurance santé. Parallèlement à cela, l’État devrait créer sa propre compagnie d’assurance pour y affilier l’ensemble de ses fonctionnaires. L’avis du Moscavis sur cette nouvelle législation est sans appel : « Avec cette nouvelle loi, la santé privée se consolide comme jamais dans ce pays ! ».
En effet, la loi (qui doit encore passer en dernière lecture en séance plénière de l’Assemblée nationale) ressemble plus à la réforme santé de Barack Obama qu’à l’élaboration d’un service public dans un pays en route vers le socialisme. L’État vénézuélien va donc entrer sur le marché des compagnies d’assurance pour que ses fonctionnaires puissent continuer à aller se faire soigner dans des cliniques privées !
« La loi est sur le point d’être approuvée et les compagnies d’assurance n’ont absolument rien dit. Et dans ce pays, lorsqu’une mesure prise par le gouvernement n’est pas critiquée par ceux qui ont de l’argent, cela veut forcément dire qu’elle leur convient et qu’elle a été prise avec leur consentement », fait remarquer Luisana Melo. Et de fait, le secteur privé a été consulté pour l’élaboration du texte, ce qui ne fut pas le cas des organisations populaires. De plus, cette nouvelle mesure, si elle est approuvée, renverra aux calendes grecques la participation populaire et l’idée d’un système de santé pris en main par la population, qu’avait jusqu’à présent favorisé Barrio Adentro.
De son côté, le Moscavis insiste sur le fait que « l’État doit approfondir les avancées obtenues jusqu’à présent en matière de santé et respecter ce qui est établi dans la Constitution, envers laquelle il a une dette de dix ans déjà, qui comprend la promulgation d’une loi de la santé, basée sur les principes de gratuité, d’équité et d’universalité ». •
* Nous actualisons et complétons ici un article publié le 14 novembre
2009 dans le quotidien suisse Le Courrier.