Retenue en Europe pour avoir critiqué le roi, J. Yimprasert défend les droits des migrants et lutte pour la démocratie.
Elle a décidé de ne plus se taire. Après la répression sanguinaire de l’armée contre la révolte populaire pour la démocratie en Thaïlande, qui a fait 88 morts en avril, Junya Yimprasert a libéré son verbe contre la monarchie. Alors qu’elle se trouvait au même moment en Suède pour un voyage professionnel, l’activiste des droits des travailleurs, âgée de 43 ans, bien connue dans son pays, a publié en mai sur Internet un texte sans concession intitulé « Pourquoi je n’aime pas le roi » (en anglais). Un crime de lèse-majesté punissable de 15 ans de prison en Thaïlande. « De la lutte étudiante, puis sociale, je passe aujourd’hui à la lutte politique », explique-t-elle lors d’une rencontre à Genève, où elle a été invitée par le Syndicat des services publics. De fait, elle a signé son exil en Europe.
Des champs à l’université
Pourtant, rien ne prédestinait particulièrement Junya Yimprasert, plus connue sous son surnom de « Lek », à cette vie militante. Issue d’une famille paysanne pauvre d’un petit village de 200 âmes, ses parents et grands parents arboraient fièrement des portraits de la famille royale dans leur modeste demeure. Mais la petite thaïlandaise fait preuve de facultés scolaires remarquables et obtient un prix octroyé par le roi aux meilleures élèves de sa région à la fin de ses études secondaires. Une récompense qu’elle recevra des mains de la princesse en personne ! C’est à l’université, où elle réalise vite qu’elle fait partie des 5% des élèves venus de milieux défavorisés, que sa conscience de classe et sociale commence à s’éveiller : « C’est là que j’ai compris que je devais travailler pour les pauvres ».
Paradis du sexe tarifé ?
Son diplôme en sciences sociales en poche, en 1989, son premier emploi consiste à assister une doctorante qui mène une recherche sur l’impact du tourisme dans l’île de Koh Samui. Un « paradis sexuel » pour de nombreux européens à la recherche de prostitution bon marché, venant en majorité d’Allemagne, de Suède et de Suisse. Et un enfer social pour les jeunes filles exploitées et pour les paysans locaux forcés de quitter leurs terres pour faire place nette aux hôtels de luxe. « Aujourd’hui, la Thaïlande compte 2,5 millions de travailleurs du sexe sur 65 millions d’habitants », chiffre la militante.
1,4% de syndiqués
Lek s’engage ensuite au sein d’ONG de défense des migrants thaïlandais à Hong-Kong, puis à Singapour, pendant deux ans. A son retour, elle œuvre pour de nombreuses organisations actives dans la défense des travailleurs et le développement. Elle accepte temporairement un poste de coordinatrice du programme des droits humains de la firme Reebok pour surveiller l’application de codes de conduite dans une trentaine de ses usines ... Elle en démissionne 4 mois plus tard à peine, convaincue du manque de bonne volonté de la multinationale. Dans la foulée, elle fonde sa propre ONG, Thai Labour Campaign, qui s’attache à organiser les ouvriers exploités par des firmes locales et multinationales. Parmi ses innombrables actions, la défense des 2000 employés de Triumph licenciés en 2009 lors de la fermeture de la fabrique thaïlandaise prononcée pour des raisons anti-syndicales. 500 d’entre eux ont occupé les locaux du ministère du travail pendant six mois, exigeant de justes indemnisations ! Une action exemplaire dans un pays qui ne compte que 500’000 syndiqués, soit 1,4% de la population active.
Saisonniers thaïs en Suède
En Suède, Lek s’occupe aujourd’hui du sort de milliers de ses compatriotes, pris dans les filets de réseaux de trafic de main-d’œuvre. En 2009, ils étaient environ 8000 à voyager pendant les trois mois d’été pour récolter des myrtilles sauvages. Ces saisonniers de l’autre bout du monde sont engagés par des agences de recrutement et de placement qui servent d’intermédiaire avec les industries suédoises, avec la bénédiction des gouvernements des deux pays. Or, l’année passée, une grande partie de ces travailleurs a perdu de l’argent dans l’opération, au lieu d’en gagner ! Ils ont dû en effet contracter de lourds prêts pour payer les frais de voyage et de séjour et n’ont pas été suffisamment rémunérés pour rembourser ces dettes. Un désastre pour ces modestes paysans. Les ONG demandent aux deux gouvernements d’indemniser les ouvriers et de revoir de fond en comble le système de recrutement. Elles questionnent aussi l’impact sur l’environnement d’une telle migration de courte durée...
Touristes, agissez !
Lek souhaite quant à elle retourner en Thaïlande. Il faudra pour cela que le mouvement des « chemises rouges » se renforce et inclue une base de plus en plus large pour obtenir la démocratie.... Car le roi ne semble pas vouloir céder. Il a soutenu les auteurs du coup d’Etat qui a renversé le gouvernement précédent en 2006, et a accepté l’annulation des élections de 2008. Très touristique, la Thaïlande s’avère cependant réceptive aux pressions extérieures. Lek compte pour sa part distribuer des autocollants dans les aéroports « La démocratie maintenant » aux voyageurs en partance pour la Thaïlande...
Christophe Koessler