Avant d’analyser le socialisme avancé par Chavez, Wilpert rappelle trois caractéristiques fondamentales du capitalisme ; à savoir la propriété privée des moyens de production, le marché régulé par la compétition pour le profit maximal et enfin, un État, législateur et médiateur, mais qui penche en fait plus souvent et fondamentalement en faveur du capital. C’est d’abord en montrant en quoi les orientations prises concrètement par le gouvernement Chavez depuis quelques année éloignent le Venezuela du capitalisme pur, que Wilpert analyse ce socialisme "nouveau".
S’éloigner du capitalisme
La majorité de la production vénézuélienne est encore privée ou étatique, mais Chavez a largement favorisé le développement de coopératives, la cogestion (gestionnaires/employés) et l’expansion de la gestion/propriété publique. Par exemple, le nombre de coopératives est passé de 800 en 1998 à 100 000 en 2005. De plus, des entreprises majeures dans les domaines de l’électricité et de l’aluminium, sans devenir sous le contrôle exclusif des travailleurs-ses, le sont maintenant partiellement, en cogestion avec des gestionnaires et des fonctionnaires. D’autres entreprises inexploitées (délaissées par les investisseurs ?) se sont vues expropriées et mises entre les mains des travailleurs-ses, avec le soutient de l’Union nationale de travailleurs. Chavez a créé aussi plusieurs nouvelles entreprises publiques dans les domaines de la télécommunication, du transport aérien et de la pétrochimie, d’importance vitale. À signaler aussi des EPS (entreprises de production sociale), les seules pour l’instant à aller clairement contre la logique du profit et qui produisent des biens et services essentiels (éducation, nourriture, etc) dans un esprit d’égalité des membres, de planification participative et non-hiérarchique, où les rémunérations sont égalitaires.
Afin de s’éloigner de la logique du marché, Chavez fait assumer à l’État un plus grand rôle de redistribution des richesses, entre autres par des réforme des terres et l’accès gratuit à des programme sociaux comme la santé et l’éducation. Même esprit pour les relations extérieures : opposition aux accords de libre-échange avec les États-Unis et engagement dans des accords fondés sur la solidarité avec d’autre pays d’Amérique latine comme Cuba, l’Argentine, l’Uruguay, l’Equateur.
Chavez travaille aussi a réduire, de trois façons principales, l’importance des intérêts privés dans l’économie et l’impact d’éventuelles grèves d’investissement. Les revenus du pétrole ont permis de financer la plupart des initiatives et programmes sociaux promus par Chavez. Se mettent en place et s’élargissent aussi des formes poussées de démocratie participative comme les conseils de planification locale, des référendums et l’élection de certains hauts fonctionnaires, la participation citoyenne à la gestion des programmes sociaux et les fameuses "missions", en éducation, en santé, etc. Enfin, par l’union civile-militaire, l’administration Chavez cherche à remplacer le rôle souvent répressif de l’armée par une plus grande indentification au peuple de celle-ci. On lui confie plus de tâches civiles comme la distribution de nourriture, l’aide à la construction et la participation aux "missions". La population est également invitée à joindre l’armée, par souci préventif de résistance à d’éventuels coup d’État.
Obstacles
Toutes ces initiatives ne sont pas appliquée sans critiques, sans opposition et sans obstacles, internes ou externes.
Par obstacles externes au projet bolivarien, Wilpert signale entre autres, l’opposition venant des autres partis politiques, des anciennes fédérations syndicales, de l’Église, des grandes entreprises, et de médias privés de masse. Largement désorganisée, s’excluant volontairement du processus démocratique, l’opposition reste cependant un obstacle négligeable. L’admnistration Bush, qui a soutenu la tentative de coup d’État de 2002 contre Chavez, qui fournit de l’argent à l’opposition, qui impose des sonctions économiques mineures au Vénézuela et qui tente, sans succès, de l’isoler sur la scène internationale, constitue elle aussi un obstacle relatif. Enfin, le potentiel économique du pétrole vénézuelien est trop important pour que des grèves d’investissement puisse être sérieusement entreprises, et elles n’auraient pas un effet dramatique.
Les obstacles les plus sérieux viennent donc de l’interne. Tout d’abord, la persistance d’une certaine "tradition" de clientélisme contredit une des promesses de Chavez et discrédite relativement l’État de droit. Elle augmente le risque de corruption et d’exclusion trop systématique des "anti-chavistas", ce qui donne des munitions à l’opposition. De plus, le culte de la personalité de Chavez, et la personalisation du pouvoir en général, induise une trop grande dépendance du mouvement bolivarien au leadership de Chavez, sa disparition subite risquerait d’affaiblir grandement la motivation du mouvement populaire. De plus l’initiative vient souvent "d’en-haut" et la structure pseudo-militaire de l’administration publique nuit à une application plus poussée de la démocratie participative.
Perspective
Le Vénézuela de Chavez semble pour l’instant en mesure de bien gérer la contradiction propre à tout gouvernement "démocratique" moderne (surtout d’orientation social-démocrate), qui consiste à devoir répondre aux intérêts du peuple sans s’aliéner le pouvoir financier et la capital. Ou du moins faut-il être capable de compenser une éventuelle fuite de capitaux, ce que Chavez a réussi jusqu’à maintenant grâce aux revenus du pétrole. L’évolution politique pragmatique et non-idéologique de Chavez est peu-être aussi un atout. Reste à voir si lui et son peuple pouront surmonter les obstacles internes mentionnés et combien de temps ils résisteront aux pressions externes qui pourraient augmenter, bien que pour l’heure, le gouvernement Bush ait d’autres chats à fouetter...