Il y a quelques jours, le premier ministre Trudeau a tenté de justifier, une nouvelle fois, le refus de son gouvernement de respecter l’engagement que son parti avait pris, lors de la campagne de 2015, en promettant que ce serait la dernière élection tenue en vertu du système actuel, le scrutin majoritaire à un tour. La représentation proportionnelle serait mauvaise pour notre pays, a-t-il dit en substance, parce qu’elle conduirait à la fragmentation des grands partis politiques. (Entendons par là le libéral et le conservateur).
C’est le même argument dont s’était servi le premier ministre québécois Robert Bourassa, en 1972, alors qu’il avait opté pour une réforme de la carte électorale plutôt que pour l’instauration d’un mode de scrutin proportionne. Ayant mis sur pied un comité d’étude sur la réforme électorale, le premier ministre n’eut rien de plus pressé que de rencontrer ses membres pour leur dire qu’il ne leur servait à rien de recommander l’instauration d’un scrutin à finalité proportionnelle, car il s’y objecterait. Quant à la réforme de la carte électorale, visant à rendre égalitaires les votes des électeurs, elle a été mise en place à temps pour la tenue des élections de 1973. Mais, ô surprise, le nouveau découpage de la carte a produit les plus fortes distorsions de l’histoire du Québec. En effet, les libéraux ont obtenu 93% des députés avec 55% des votes tandis que le Parti québécois a dû se contenter de 5,5% des députés avec plus de 30% des votes. Par la suite, des tentatives d’instaurer un scrutin à finalité proportionnelle ont échoué sous les gouvernements Lévesque et Charest.
Par ailleurs, M. Trudeau a indiqué clairement, lors de sa dernière déclaration, qu’il préférait, l’adoption d’un scrutin préférentiel depuis le début du débat sur la réforme électorale. Mais il n’en s’en était pas ouvert durant la campagne électorale non plus que pendant les six mois qu’a siégé, en 2016, le comité parlementaire multipartite sur la réforme électorale qui avait pour mandat d’étudier toutes les possibilités. Ce dernier a alors entendu quelque 1,300 intervenants qui se sont prononcés en forte majorité en faveur d’un scrutin proportionnel mixte avec compensation.
On se demande maintenant pourquoi le premier ministre a donné l’impression que toutes les options étaient sur la table alors que son opinion était faite depuis longtemps. Cet épisode est une énième illustration des raisons qui alimentent le cynisme des citoyens. Cette saga de la réforme du mode de scrutin, qui dure depuis un demi-siècle au Canada comme au Québec, prouve une fois de plus que notre système démocratique restera bloqué aussi longtemps que la volonté populaire ne sera pas assez forte pour mettre au pouvoir, malgré les obstacles du système électoral en place, des formations politiques qui font passer l’intérêt commun avant leur intérêt partisan. Des partis aussi qui ne changent pas d’idée de façon opportuniste lorsqu’ils prennent le pouvoir comme on l’a vu à quelques reprises ces dernières décennies.
Paul Cliche,
Auteur de livre Pour réduire le déficit démocratique : le scrutin proportionnel
Montréal, le 28 juin 2017
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