Tiré d’AfrikArabia.com
Le défi est de taille pour le tout nouveau président congolais, Félix Tshisekedi, fraîchement intronisé à la tête de la République démocratique du Congo (RDC) ce 24 janvier. Après une élection entachée de soupçons de fraude et une alliance passée avec le camp Kabila pour le partage du pouvoir, la présidence de Félix Tshisekedi risque d’être fragile et son espace politique étriqué. Sans majorité à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans les Assemblées provinciales, le nouveau chef de l’Etat sera dans un premier temps l’otage d’une coalition pro-Kabila toute puissante, et risque d’être un président avec la fonction, mais sans le pouvoir. Dans son propre camp, il faudra aussi convaincre que ce rapprochement contre-nature avec l’ancien président Kabila était « un mal » nécessaire pour imposer enfin une alternance politique pacifique en RDC.
Un format inédit de cohabitation
Les premiers jours de la présidence Tshisekedi seront scrutés avec intérêts. L’attente des Congolais est énorme, les faux pas seront impossibles, et il n’y aura pas d’état de grâce. La nomination du gouvernement, dont la Primature devrait revenir à un membre du FCC pro-Kabila, donnera le ton et des indications précieuses sur les marges de manoeuvres possibles du nouveau président Congolais. L’appareil d’Etat semble pourtant avoir été complètement verrouillé par le président Kabila. Et plusieurs lignes rouges ont été tracées entre le président sortant et Félix Tshisekedi. Les hommes de Joseph Kabila devraient rester aux postes-clés de l’appareil sécuritaire, judiciaire et économique du pays, avec une mainmise importante sur les intérêts miniers congolais, clé de voûte du système Kabila. Signe des temps, on parle de plus en plus d’Albert Yuma, pour occuper la Primature. Le grand argentier de la puissante Gécamines, le géant minier congolais, se trouve à la tête de la machine à cash de la RDC. Plusieurs ONG s’étaient récemment inquiétées d’un « trou » de 750 millions de dollars dans les comptes de la Gécamines entre 2011 et 2014 – voir notre article.
Cap sur le développement
Après 18 ans de pouvoir de Joseph Kabila, les attentes des Congolais sont grandes. Répartition des richesses, bonne gouvernance, droits de l’homme, liberté de la presse… la RDC trouve systématiquement dans la queue de peloton des classement internationaux. Les « Cinq chantiers » prônés par Joseph Kabila en 2006 sont encore loin d’être achevés : accès à l’éducation, à l’eau potable, à la santé ou à l’électricité restent encore les principales priorités d’un pays qui n’a jamais décollé économiquement de son indépendance en 1960. Pour cela, le nouveau président Tshisekedi aura des marges de manœuvres étroites, si l’économie et le contrôle des grandes entreprises publiques restent entre les mains de proches de l’ancien président. Dans son discours d’investiture, Félix Tshisekedi a promis de faire rentrer l’argent dans les caisses de l’Etat, notamment en créant un guichet unique pour les entreprises. Une bonne idée, mais qui a déjà été mise place depuis 2006 par Joseph Kabila… sans grand succès.
Une armée encore acquise à l’ancien président
Autre gros dossier sur le bureau du cinquième président de la République démocratique du Congo, le contrôle d’un système sécuritaire particulièrement répressif. Le premier objectif sera de desserrer l’étau de la répression politique, notamment en réformant l’Agence nationale de renseignements (ANR), véritable police politique sous Joseph Kabila. Pour de nombreux spécialistes, le contrôle de l’armée congolaise constitue l’une des priorités de Félix Tshisekedi, avec la remise à plat de l’appareil judiciaire, jugé trop partial. Mais cette tâche s’annonce rude, car Joseph Kabila y a encore tous ses hommes, comme le général Célestin Mbala Munsense, promu chef d’État-Major, le général John Numbi, nommé Inspecteur général de l’armée, ou les généraux Amisi, alias Tango Four, et Delphin Kahimbi, qui s’occupe des très précieux renseignements militaires. L’armée congolaise est entièrement contrôlée par le camp Kabila et les futures nominations seront proposées par le gouvernement, qui sera sans doute contrôlé par la coalition pro-Kabila.
Recherche alliés désespérément
Autour de Félix Tshisekedi, on croit pourtant aux vertus du rapport de force qui pourrait rapidement s’inverser avec l’ancien pouvoir. La coalition Cash du nouveau président congolais recherche des alliés tout azimut pour muscler sa présence à l’Assemblée nationale et au Sénat. Des recherches dans le camp du FCC, mais aussi du côté de la coalition Lamuka de Martin Fayulu, le grand perdant de la présidentielle, qui continue à revendiquer sa victoire, mais qui peine à mobiliser la population. Le camp Tshisekedi tente également d’amadouer les évêques de la CENCO, qui ont pourtant clairement dénoncé les fraudes et annoncé la victoire de Martin Fayulu. La CENCO reste la dernière cartouche du candidat de Lamuka pour contester les résultats des élections, et Félix Tshisekedi se doit de les rassurer en envoyant des signaux forts sur la bonne gouvernance et la décrispation politique, notamment en libérant certains prisonniers politiques et en permettant le retour des exilés comme Moïse Katumbi.
Risque de blocage
Dans sa fragilité, le président Tshisekedi peut désormais compter sur de nouveaux alliés à l’internationale pour démarrer son mandat. L’Union africaine, la SADC, l’Union européenne, l’ONU, après avoir mis en doute la crédibilité des résultats de la présidentielle, se sont résolus à faire le pari de la stabilité et à donner une chance au président Tshisekedi. Mais attention, ce soutien du bout des lèvres sera de courte durée. Mais au premier dérapage, ou à la première crispation politique, les partenaires internationaux risquent d’être moins conciliants. Les pays de la région ont été passablement agacés d’avoir été mis devant le fait accompli d’un nouveau partage du pouvoir entre Cash et le FCC, au mépris de la vérité des urnes et de la démocratie. Le risque est de voir rapidement s’installer un climat de confrontation entre la présidence et le gouvernement. Cette situation inédite de cohabitation pourrait tourner au vinaigre comme en 1995 au Niger, où le pays s’est retrouvé complètement bloqué pendant plus d’une année, avant d’être victime d’un coup d’Etat militaire. Une situation que personne n’ose imaginer dans ce grand Congo si instable.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
Un message, un commentaire ?