D’entrée de jeu, le réalisateur affirme, en entrevue ou en conférence, que ce n’est pas lui qui a choisi le sujet de son film : « C’est le sujet qui m’a choisi ». Il y a quelques années, Oscar, le frère de German, est victime d’une tentative d’assassinat. La raison ? Oscar Gutierrez est député à l’Assemblée départementale de la région de Caldes.

Représentant du MOIR [1], il résiste, dans la rue comme au parlement, aux pouvoirs financiers qui dépossèdent les plus pauvres à grands coups de privatisation. Qui a tiré ? Le film ne le dira jamais, mais n’abdique pas à la mission de comprendre les causes plus profondes de la violence en Colombie.

D’abord et avant tout, la Colombie est une nation où les inégalités criantes ne peuvent qu’attiser la révolte. Ceci dit, la violence est alimentée aussi par le jeu du pouvoir et de la répression. La compagnie Coca-Cola est mise au banc des accusés. On accuse la multinationale d’avoir assassiné une dizaine de syndicalistes, de pair avec les paramilitaires. Mais plus encore, les paysans et les paysannes colombiennes sont forcés de quitter leur terre. Les ressources pétrolières convoitées seraient à la source des pires atrocités commises contre les populations civiles.

Avec un syndicaliste étasunien, on découvre les nombreux méfaits de l’armée colombienne et des troupes paramilitaires, accusées du plus grand nombre et des pires atteintes aux droits humains en Colombie. Paradoxalement, le Plan Colombie a financé ces deux groupes, au tournant des années 2000, au nom de la « guerre au terrorisme ». En nous montrant un film d’archives inédit, le documentaire de Gutierrez nous confronte à l’horreur des bombardements sur une population civile.

Mythe de la lutte à la drogue

Le documentaire a aussi le mérite de détruire le mythe de la lutte à la drogue. « Tout le monde connaît Pablo Escobar, le célèbre narcotrafiquant colombien, mais qui peut nommer ne serait-ce qu’un seul trafiquant américain ? », se demande le narrateur.

Les États-Unis sont, après tout, les principaux consommateurs de la cocaïne colombienne. Par des questions simples, mais bien posées, le narrateur, ou les personnes interrogées, interpellent le public et l’amènent à réfléchir sur les fondements structurels du conflit.

On n’a d’autres choix que de prendre acte des ambitions impérialistes des États-Unis et ainsi remettre en question le concept même de « guerre à la drogue ». Leitmotiv remis en question aussi par certains Étasuniens qui le réalisateur a eu la patience d’aller rencontrer. On y voit un ancien mercenaire et des parents d’une soldate défunte confrontés aux inconséquences de la politique étrangère de leur patrie.

Un tel contexte fournirait de nombreuses justifications pour soutenir la guérilla. Sur cette question, Gutierrez ne franchit pas ce pas périeux. Au contraire, il se sert du contexte de violence structurelle pour mettre les FARC [2] devant leurs propres crimes : enlèvements, narcotrafic, atteinte aux droits des populations locales.

Plaidoyer pour la paix, ce film percutant, qui a gagné le prix du public au Festival du nouveau cinéma à Montréal, rappelle que la justice sociale est une condition essentielle à la paix.

En cherchant Qui a tiré ?, German Gutierrez réussit à enseigner à un Québécois, une Québécoise, les sources multiples d’une violence et d’une terreur qu’il méconnaît. En racontant l’engagement de son frère, le réalisateur expose la passion et le courage qui animent tout un peuple, certainement une source d’inspiration de notre côté des Amériques.

Qui a tiré sur mon frère ?, un film de German Gutierrez, produit par Carmen Garcia et German Gutierrez, Office national du film, 2005. En espérant qu’il sera bientôt à l’affiche près de chez vous !