Édition du 19 novembre 2024

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Le Monde

Quatre provocations de l’OTAN qui ont mené à la crise d’aujourd'hui

Les accusations contre Moscou ignorent invariablement les crimes des E-U et de l’OTAN

À la fin de 1991, l’Union soviétique s’est dissoute – la fin étonnamment pacifique à un régime totalitaire. La Russie, en tant que principal État successeur, a cherché à rejoindre l’Occident. Et les États-Unis et leurs alliés européens ont officiellement salué cette aspiration. Trois décennies plus tard, l’Occident et la Russie sont enfermés dans une guerre froide de plus en plus acrimonieuse, la suite d’une évolution qui peut dégénérer en un conflit armé catastrophique.

Ted Galen Carpenter est chercheur principal à l’Institut Cato aux E-U
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Si aucune des deux parties n’est innocente du déclenchement de cette nouvelle guerre froide, il existe une différence substantielle dans leurs degrés de culpabilité. Les provocations des États-Unis et de l’OTAN ont été plus nombreuses, plus flagrantes, et ont commencé plus tôt.

Les responsables américain.e.s et de l’OTAN, ainsi que la plupart des médias occidentaux, affirment que c’est la Russie qui est responsable de la confrontation actuelle. Et ils et elles mettent en évidence quatre actions du Kremlin qui, selon eux et elles, ont gravement aggravé les tensions Est-Ouest.

Le premier épisode s’est produit en 2008, lorsque les forces russes ont envahi la Géorgie et ont atteint la périphérie de la capitale, Tbilissi. Une deuxième infraction, encore plus grave, a eu lieu en 2014 lorsque la Russie a saisi la Crimée à l’Ukraine et a annexé cette péninsule stratégique après avoir organisé un faux référendum. Le troisième incident a eu lieu quelques mois plus tard, lorsque la Russie aurait orchestré une insurrection séparatiste dans la région orientale du Donbass en Ukraine, puis a envoyé des troupes pour aider la rébellion. Et au cours des années qui ont suivi, le gouvernement de Vladimir Poutine aurait exacerbé l’émergence de la guerre froide, en s’ingérant dans les affaires politiques internes de nombreux pays occidentaux, en particulier les États-Unis.

Si certaines de ces allégations contiennent un élément de vérité, toutes omettent commodément des éléments cruciaux de contexte. Ainsi, par exemple, l’invasion de la Géorgie en 2008 n’a eu lieu qu’après que l’armée géorgienne a tiré sur les troupes russe de maintien de la paix qui se trouvaient dans la région sécessionniste d’Ossétie du Sud depuis le début des années 1990. Même une enquête de l’Union européenne a conclu que les forces géorgiennes avaient déclenché les combats. Le conflit s’est également produit en grande partie parce que le président George W. Bush a encouragé le président géorgien, Mikheil Saakachvili, à croire que les États-Unis et l’OTAN soutiendraient son pays dans un conflit armé avec la Russie, conflit qu’il a déclenché.

La saisie péninsule de Crimée par Poutine était une formellement une violation du droit international. Mais elle n’a eu lieu qu’après que les États-Unis et les principaux alliés de l’UE eurent sans vergogne aidé des manifestant.e.s à renverser le président démocratiquement élu et pro-russe de l’Ukraine, Viktor Ianoukovitch. Ce coup d’État à peine déguisé a fait craindre aux Russes que l’Ukraine ne devienne une zone d’étape avancée pour la puissance militaire de l’OTAN. Entre autres inquiétudes, le Kremlin craignait la perte d’accès à sa base navale cruciale de Sébastopol sur la péninsule de Crimée et verrait y installer une base américaine.

Les accusations unilatérales et intéressées du comportement de la Russie ignorent invariablement les nombreuses provocations occidentales qui ont eu lieu bien avant que Moscou ne s’engage dans des mesures perturbatrices. En effet, la détérioration des relations de l’Occident avec la Russie post-communiste a commencé déjà sous l’administration de Bill Clinton.

Provocation occidentale numéro 1 : première expansion de l’OTAN vers l’Est

Dans ses mémoires Madame la Secrétaire, l’ancienne ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies et secrétaire d’État, Madeleine Albright, admet que les responsables de l’administration Clinton ont décidé déjà en 1993 d’approuver les souhaits des États de l’Europe centrale et orientale de rejoindre l’OTAN.

L’Alliance a ensuite ajouté la Pologne, la République tchèque et la Hongrie en 1998. Albright écrit que le président russe d’alors, Boris Eltsine et ses associé.e.s, d’ailleurs fortement pro-occidentaux et occidentales, étaient extrêmement mécontent.e.s de cette évolution.

Cette réaction russe était compréhensible, puisque l’expansion violait les promesses informelles que l’administration du président George H. W. Bush avait faites à Moscou lorsque Mikhaïl Gorbatchev avait accepté non seulement l’unification des Allemagnes, mais aussi une Allemagne unie au sein de l’OTAN. La contrepartie explicite de cette concession était que l’OTAN n’irait pas au-delà de la frontière orientale d’une Allemagne unie.

Provocation occidentale numéro 2 : l’intervention militaire de l’OTAN dans les Balkans

La guerre aérienne de l’OTAN en 1995 contre les Serbes de Bosnie cherchant à se séparer du nouveau pays de Bosnie-Herzégovine et l’imposition des accords de paix de Dayton ont grandement agacé le gouvernement d’Eltsine et le peuple russe entier.

Les Balkans étaient une région d’un intérêt religieux et stratégique considérable pour Moscou depuis des générations. Il était humiliant pour les Russes de regarder, impuissants, une alliance dirigée par les États-Unis dicter les résultats dans cette région.

Les États occidentaux ont fait une provocation encore plus grande quatre ans plus tard lorsqu’ils sont intervenus pour soutenir une insurrection sécessionniste dans la province agitée du Kosovo en Serbie. Détacher cette province de la Serbie et la placer sous le contrôle de l’ONU a non seulement créé un précédent international malsain, mais cette décision a également affiché un mépris total pour les intérêts et les préférences de la Russie dans les Balkans. Aujourd’hui, 26 des 30 membres de l’OTAN (dont le Canada) reconnaissent l’indépendance du Kosovo. (Mais ces mêmes États refusent de reconnaître le choix, dont personne ne peut douter qu’il reflète la volonté de l’écrasante majorité des Criméen.ne.s, de rejoindre la Russie.)

Les décisions de l’administration Clinton d’élargir l’OTAN et de s’immiscer en Bosnie et au Kosovo ont été des étapes cruciales vers la création d’une nouvelle guerre froide avec la Russie. L’ancien ambassadeur américain en Union soviétique, Jack F. Matlock Jr., cite l’impact négatif que l’expansion de l’OTAN et les interventions militaires dirigées par les États-Unis dans les Balkans ont eu sur les attitudes russes envers les États-Unis et l’Occident : « L’effet sur la confiance des Russes dans les États-Unis ont été dévastateurs. En 1991 des sondages indiquaient qu’environ 80% des citoyen.ne.s russes avaient une opinion favorable des États-Unis ; en 1999, presque le même pourcentage avait une opinion défavorable. »

Provocation numéro 3 : les vagues d’expansion ultérieures de l’OTAN

Non contente de la façon dont l’administration Clinton a contrarié Moscou en déplaçant l’OTAN en Europe centrale, l’administration de George W. Bush a poussé les allié.e.s à donner l’adhésion au reste du défunt Pacte de Varsovie et aux trois républiques baltes.

Admettre ces trois dernières en 2004 a considérablement intensifié l’empiètement militaire de l’Occident. Ces trois petits pays n’avaient pas seulement fait partie de l’Union soviétique, ils avaient également passé une grande partie de leur histoire avant 1917 dans le cadre de l’empire de la Russie tsariste. La Russie était encore trop faible pour faire plus que présenter de faibles protestations diplomatiques, mais le niveau de colère face au mépris arrogant de l’Occident pour les intérêts de sécurité de la Russie a augmenté.

L’élargissement de l’OTAN à la frontière russe n’a pas été la seule provocation. De plus en plus, les États-Unis s’engageaient dans des déploiements « rotatifs » de leurs forces militaires dans les nouveaux membres de l’alliance. Même le secrétaire à la Défense de George Bush, Robert Gates, a exprimé ses inquiétudes quant au fait que de telles actions créaient des tensions dangereuses.

Le discours de Poutine en février 2007 à la conférence annuelle de Munich sur la sécurité a clairement indiqué que la patience du Kremlin face à l’arrogance des États-Unis et de l’OTAN touchait à sa fin. Bush, sourd comme toujours, a même tenté d’obtenir l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine à l’OTAN – une politique que ses successeurs ont continué à défendre, malgré la résistance de la France et de l’Allemagne.

Provocation occidentale numéro 4 : traiter la Russie comme un ennemi absolu en Ukraine et ailleurs

Cependant, les dirigeant.e.s occidentaux et occidentales n’ont pas pris au sérieux les avertissements de Poutine. Au lieu de cela, les provocations sur plusieurs fronts se sont poursuivies et, dans certains cas, se sont même accélérées.

Les États-Unis et les principales puissances de l’OTAN ont contourné le Conseil de sécurité de l’ONU (et un veto russe) au début de 2008 pour accorder au Kosovo une indépendance totale. Trois ans plus tard, l’administration de Barack Obama a trompé les responsables russes sur le but d’une mission militaire « humanitaire » de l’ONU en Libye, convainquant Moscou de suspendre son veto. La mission s’est rapidement transformée en une guerre de « regime change » (changement de régime) mené par les États-Unis pour renverser le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi.

Peu de temps après, les États-Unis ont collaboré avec des régimes du Moyen-Orient partageant les mêmes idées dans une campagne visant à évincer le président Bashar al-Assad, le client de la Russie en Syrie. L’ingérence flagrante des États-Unis et de l’UE dans la politique intérieure de l’Ukraine a suivi.

Il serait donc myope et injuste de juger les actions de la Russie, comme l’annexion de la Crimée, l’intervention militaire en Syrie, le soutien aux séparatistes dans l’est de l’Ukraine, sans reconnaître la multitude d’interventions occidentales qui les ont précédées.

On peut évaluer comme on veut le régime domestique de Poutine, autoritaire et corrompu, mais une analyse objective et juste montre que dans les faits, c’est l’Occident, et non la Russie, qui porte de loin la plus grande responsabilité du déclenchement de la nouvelle guerre froide.

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