Pourquoi discuter de grève sociale ?
La Coalition contre la tarification et la privatisation des services publics a été formée pour contrer les intentions néo-libérales du gouvernement Charest, qui entend renforcer le caractère régressif des revenus prélevés par l’État tout en diminuant les ressources consacrées aux services publics, ouvrant ainsi la porte au secteur privé dans plusieurs des missions fondamentales qu’il devrait assumer. La coalition regroupe maintenant plus d’une centaine d’organismes communautaires, syndicats et populaires.
Dans le cadre de son opposition aux orientations budgétaires et fiscales du gouvernement Charest et plus particulièrement des hausses de tarifs et de taxes, ainsi que des compressions budgétaires, comprises dans le dernier budget Bachand, la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics a entrepris une réflexion sur les stratégies d’action à déployer au cours de la prochaine période. Elle a dans ce contexte adopté la proposition suivante, lors de sa rencontre du 31 mai 2010 :
« Amorcer une réflexion sur la grève sociale dans l’ensemble de nos organisations. Que les membres de la Coalition mandatent le comité réflexion grève sociale à produire un outil pour accompagner les groupes dans leur réflexion ».
Il ne s’agit pas de discuter de la valeur en soi de la grève sociale, mais de le faire en rapport avec la conjoncture actuelle. Est-elle pertinente et faisable dans la présente lutte contre les orientations du gouvernement Charest ?
C’est quoi une grève sociale ?
Une grève sociale, c’est un arrêt de travail et d’activités le plus large possible des travailleurs et des travailleuses des secteurs publics et privés, ainsi que d’autres mouvements sociaux, des étudiantes et des étudiants, des femmes bénévoles, etc. Elle ne s’inscrit pas dans le cadre légal de la négociation d’une convention collective et a des objectifs à portée sociale et/ou politique larges.
Contrairement à plusieurs pays européens ou sud-américains, le Québec, tout comme le reste du Canada et les États-Unis, n’a pas une grande tradition de grèves sociales. Les raisons sont nombreuses mais l’encadrement législatif actuel, qui rend les individus incitant à une telle grève personnellement responsables, l’explique sans doute en partie ; le type d’organisation syndicale que nous connaissons au Québec, avec la formule Rand, joue aussi un rôle dans la configuration de l’organisation des grandes luttes sociales. Malgré tout, on trouve dans l’histoire quelques exceptions notables.
A) La grève de mai 1972 des travailleurs et des travailleuses du secteur public
Même si elle s’inscrivait dans le cadre de la négociation d’une convention collective, celle des travailleurs et des travailleuses des secteurs publics et parapublics, la grève de mai 1972 au Québec avait plusieurs caractéristiques d’une grève sociale. Ses objectifs étaient à portée sociale (des salaires de 100 $ minimum par semaine). Le débrayage s’est étendu à une partie du secteur privé. Enfin, les moyens d’action utilisés, par exemple des occupations de villes ou de médias, ont dépassé les cadres traditionnels.
B) La grève générale du 14 octobre 1976
C’est à l’échelle canadienne que la grève générale du 14 octobre 1976 a été organisée. Elle avait un objectif politique clair, soit le retrait de la loi C-73 sur le gel des salaires adoptée un an plus tôt par le gouvernement fédéral dirigé par Pierre-Elliott Trudeau et qui affectait l’ensemble de la classe ouvrière. Elle a mobilisé des travailleurs et des travailleuses des secteurs privés et publics, tout en obtenant l’appui de plusieurs mouvements sociaux. Au total, elle a permis le débrayage de plus de 1 000 000 de travailleurs et de travailleuses dans 150 villes au Canada.
C) Le débat de 2004 sur la grève générale contre les premières politiques du gouvernement Charest
En 2004, une proposition de mener une grève générale d’une journée pour s’opposer aux orientations et aux lois adoptées par le gouvernement Charest dès son arrivée au pouvoir a fait l’objet de débats dans les syndicats locaux affiliés aux grandes centrales syndicales et même à l’adoption de mandats de grève dans plusieurs de ces syndicats. Une discussion a aussi été entamée au défunt Réseau de vigilance, coalition formée pour s’opposer aux orientations du gouvernement Charest, sur la pertinence d’étendre la grève à d’autres secteurs, comme le milieu communautaire, et d’en faire une grève sociale. L’idée de la grève générale a été abandonnée, compte tenu de l’exigence posée dès le départ d’obtenir la participation de toutes les centrales syndicales, ce qui s’était montré impossible. Mentionnons tout même que le mandat avait été obtenu dans certaines centrales.
Question à discuter
Partageons-nous la définition proposée d’une grève sociale ? Quelle forme pourrait-elle prendre dans notre milieu ?
La grève sociale serait-elle pertinente pour s’opposer aux politiques du gouvernement Charest ?
Le budget présenté par le gouvernement Charest en mars 2010 est injuste parce qu’il met la majorité de la population à contribution par une augmentation tous azimuts de tarifs et de taxes, tout en maintenant une fiscalité qui ne profite qu’aux plus riches et aux grandes entreprises. Même si cet aspect a été moins dénoncé, il implique également des compressions budgétaires qui mettront encore plus à mal les services publics et ouvriront encore plus grande la porte à leur privatisation.
Tout au long du printemps, la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation a multiplié les interventions et les actions contre ce budget, dont l’organisation, le 1er avril 2010, d’une manifestation qui a rassemblé autour de 15 000 personnes dans les rues de Montréal. Un ambitieux plan d’action a aussi été voté à l’automne, dont la tenue d’une journée de perturbation économique à la fin novembre.
Quant à lui, le gouvernement Charest est durement ébranlé présentement. Le budget a mal passé, y compris chez une partie de la population qui, tout en s’opposant également aux hausses de tarifs et de taxes, réclame plutôt que le gouvernement coupe encore davantage dans ses dépenses. Ce sont cependant les multiples accusations mettant en doute l’honnêteté du gouvernement et, au premier chef, du premier ministre lui-même qui le rendent si fragile présentement.
La réflexion sur l’action politique (puisque c’est bien de cela qu’il s’agit ici) est fortement colorée par un certain déficit démocratique qui s’est développé dans plusieurs pays, et bien sûr au Québec. Les grands médias, pour la plupart de grandes corporations à but lucratif, relaient presque tous des idées néolibérales, ce qui rend fort difficile la mise en place d’expression de véritables débats publics. Les lobbys des grandes entreprises sont aussi très puissants : dès lors les partis politiques, qui ont besoin d’argent pour gagner ces batailles d’image que sont devenues les élections, dérivent ainsi presque nécessairement à droite. Ainsi au Québec, le parti au pouvoir et l’opposition officielle ne sont-ils pas idéologiquement très éloignés ! Privés de revenus en provenance du monde économique, les partis politiques qui pourraient relayer les aspirations citoyennes peinent de leur côté à se développer.
Tout cela nous impose de chercher de nouvelles voies pour nous faire entendre.
Question à discuter
Une grève sociale déclenchée au moment opportun, de préférence avant le prochain budget du gouvernement Charest, serait-elle pertinente ? Nous permettrait-elle d’augmenter la pression sur le gouvernement au point de l’obliger à reculer, au moins sur une partie des mesures annoncées lors du budget ?
La grève sociale est-elle faisable dans le contexte actuel ?
Un certain nombre de conditions doit être rassemblé pour qu’une grève sociale telle que définie précédemment puisse avoir lieu et être un succès.
Il faut avoir obtenu l’adhésion du plus grand nombre de groupes de tous les secteurs, y compris des mouvements syndicaux. Dans le cas de ces derniers, la participation du secteur public est primordiale pour avoir un effet d’entraînement sur le privé. La grève sociale est par ailleurs impossible sans l’adhésion d’au moins une partie des centrales syndicales.
La colère doit être suffisamment grande pour justifier les risques qui seront pris. Le gouvernement ou certaines des mesures qu’il entend prendre doivent être considérés comme illégitimes par de larges segments de la population.
Les moyens traditionnels de lutte doivent avoir montré leurs limites ; la grève sociale doit venir au terme d’un crescendo d’actions, ou apparaître comme justifiée par une rupture démocratique.
Question à discuter
Estimons-nous que les conditions énoncées précédemment doivent toutes être rassemblées pour qu’une grève sociale soit considérée comme faisable ? Sont-elles effectivement rassemblées dans le contexte actuel ? Sinon peuvent-elles être rassemblées dans un avenir rapproché ?
Existe-t-il des alternatives ?
Question à discuter
Si, pour une raison ou une autre, nous n’avons pas considéré la grève sociale comme pertinente et/ou faisable, quel autre moyen d’action pourrait être utilisé en 2011, si possible avant le budget, pour faire monter la pression sur le gouvernement Charest suffisamment pour qu’il recule au moins sur une partie des mesures annoncées lors du budget ? Quelles formes pourraient prendre ces actions dans notre milieu ? Comment sensibiliser les membres de notre organisation à ces questions ?