Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Pantalonnade électorale en Égypte

Sept ans après la révolution qui a mis à bas le président Hosni Moubarak, une chape de plomb s’est abattue sur l’Égypte. Et les consultations électorales se réduisent à une mascarade. Les Égyptiens sont appelés aux urnes du 26 au 28 mars pour désigner le président de la République. S’il fallait un mot, un seul, pour caractériser ce processus que l’on peut difficilement qualifier d’électoral, celui qui vient immédiatement à l’esprit est « pantalonnade », une représentation théâtrale mêlant ridicule et hypocrisie.

Tiré de Orient XXI.

Car la scène a été soigneusement nettoyée pour éliminer tout acteur qui pourrait faire de l’ombre à la vedette, le président Abdel Fattah Al-Sissi, candidat à sa propre succession.

Ainsi, on ne compte plus les responsables politiques qui ont été disqualifiés sous les prétextes les plus farfelus. Et d’abord, l’ancien premier ministre Ahmed Chafik, qui avait obtenu plus de 48 % des suffrages au second tour de l’élection présidentielle de 2012 — la seule de l’histoire du pays qui ait été démocratique — face à Mohamed Morsi, le candidat des Frères musulmans. Ayant annoncé sa candidature à partir d’Abou Dhabi où il était réfugié, il a été mis de force dans un avion pour Le Caire. Il a fallu quelques semaines d’« amicales pressions » pour le contraindre à renoncer.

L’ancien chef d’état-major (2005-2012) Sami Annan affirmait à son tour, début janvier, vouloir concourir. Mal lui en a pris : il a été arrêté et jeté en prison, le pouvoir rompant ainsi avec une règle non écrite qui voulait que les anciens généraux ne soient jamais embastillés. Le colonel Ahmed Konsouwa s’est lui aussi vu condamné à six ans de prison par une cour martiale pour avoir osé faire acte de candidature. Dans ces conditions, les derniers candidats en lice : Mohamed Anouar El-Sadate, le neveu de l’ancien président — à qui on a même refusé l’autorisation de tenir une conférence de presse — et Khaled Ali, un avocat de gauche ont annoncé leur retrait d’une compétition truquée.

Acte 2 de la pantalonnade, à quelques jours de la clôture des candidatures, Sissi se trouvait dans la situation délicate de devoir concourir sans aucun adversaire, ce qui risquait d’aboutir à la démobilisation d’un électorat déjà peu enclin à se rendre aux urnes. Lors de sa visite au Caire au mois de janvier, le vice-président américain Mike Pence avait confirmé le soutien des États-Unis à un deuxième mandat de Sissi, mais à la condition qu’il ne soit pas le seul en lice. On a donc assisté, fin janvier, à une série de manœuvres de coulisses qui ont fait la joie des réseaux sociaux, mais ont été passées sous silence par les médias officiels (les seuls désormais autorisés), à côté desquels la Pravda du temps de Leonid Brejnev apparaît comme un havre de pluralisme.

Le choix des autorités, ou plutôt des moukhabarat, les services de police qui s’occupent de ce type de besogne, s’est d’abord porté sur Al-Sayid Al-Badaoui, un dirigeant du néo-Wafd, héritier d’une formation nationaliste. L’homme a accepté, cependant un vent de révolte a soufflé sur le vieil appareil et sa direction a refusé ce diktat, d’autant qu’elle avait déjà entériné le président Sissi. Pressée par le temps, la police politique s’est rabattue sur Moussa Mostafa Moussa, un obscur politicien, lui assurant, quelques minutes avant le délai règlementaire, les signatures de 27 députés indispensables pour se présenter. Et le nouveau candidat a dû effacer à la hâte de sa page Facebook son appel à voter pour… le président Sissi.

Ces manœuvres ont amené un sursaut de la part d’une opposition égyptienne plutôt moribonde, qui a décidé de s’unir pour la première fois depuis 2013. Le 30 janvier, une demi-douzaine de partis et cent cinquante responsables et militants politiques, dont Khaled Ali, Abdel Moneim Aboul Foutouh, dirigeant du parti Pour une Égypte forte, Hamdin Sabahi, dirigeant d’un parti nassérien, et Mohamed Anouar El-Sadate appelaient au boycott de la farce électorale, autre terme pour pantalonnade. Le résultat ne s’est pas fait attendre : Aboul Foutouh1 a été jeté en prison le 14 février, accusé de terrorisme, et son parti devrait bientôt être dissous.

À ceux qui n’auraient pas compris, Sissi en personne a déclaré le 1er février : « Faites attention. Ce qui s’est passé il y a sept ou huit ans [la révolution de 2011] ne se répétera pas. Ce qui n’a pas marché à l’époque ne marchera pas. (…) Ceux qui veulent ruiner l’Égypte auront d’abord affaire à moi. Au prix de ma vie, et de celle de l’armée. »2 Déjà, en septembre 2016, le président avait menacé : « Nous avons un plan pour déployer l’armée dans tout le pays en six heures pour protéger la sécurité de l’État. »

Élu — mais ce terme semble bien inapproprié —, le président devrait changer la Constitution qui garde encore quelques traces de l’esprit du 25 janvier 2011. On annonce qu’il supprimera l’interdiction de deux mandats pour le président, ce qui ouvre la voie à la « présidence à vie ». Il annulera aussi sans doute la clause qui prévoyait que le ministre de la défense devait rester en poste pendant dix ans. Cette disposition, adoptée à l’époque pour préserver l’armée du pouvoir civil, est désormais inutile, voire dangereuse : l’actuel ministre de la défense Sedki Sobhi serait un des derniers hauts gradés à faire obstacle au pouvoir personnel de Sissi, alors qu’il a entamé une purge qui va du changement du chef d’état-major en octobre 2017 à la destitution du chef des Renseignements généraux en janvier 2018, qu’il a remplacé par son propre chef de cabinet. Le cercle de confiance du président se rétrécit dangereusement.

Dans un éditorial, le Washington Post du 24 janvier titrait : « Le dictateur égyptien n’est pas un ami des États-Unis. » Il est, en revanche, un « ami de la France », son premier fournisseur d’armes. Recevant Sissi le 24 octobre 2017 à l’Élysée, Emmanuel Macron déclarait qu’il ne voulait pas « donner des leçons » à son homologue en matière de droits humains. En 2005, à l’issue d’une élection présidentielle remportée avec 99 % des voix par Hosni Moubarak, Jacques Chirac envoyait un télégramme de félicitations à l’heureux élu. À ceux qui le lui reprochaient, il faisait remarquer que Moubarak était « le grand homme d’État du Proche-Orient » et que « le despotisme est la forme d’organisation politique la mieux adaptée à la culture arabe »3. Décidément, le nouveau monde d’Emmanuel Macron ressemble comme deux gouttes d’eau à l’ancien.

Alain Gresh

Notes

1- Après avoir rompu avec les Frères musulmans, il a été candidat à l’élection présidentielle de 2012. Il est arrivé en quatrième position au premier tour, avec 17,47 % des voix.

2- Voir la vidéo diffusée par Misr TV (en arabe).

3- Cité par Guy Sorman, J’aurais voulu être français, Grasset, 2016.

Alain Gresh

Spécialiste du Proche-Orient, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont De quoi la Palestine est-elle le nom ? (Les Liens qui libèrent, 2010) et Un chant d’amour. Israël-Palestine, une histoire française, avec Hélène Aldeguer (La Découverte, 2017).

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