Édition du 3 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Nouveau numéro de la revue Relations. L’Amérique latine : boussole pour les temps présents

Alors que le néolibéralisme se consolide dans plusieurs pays, à la faveur de la crise, l’Amérique latine se distingue. On y trouve des gouvernements de gauche, on y invente de nouvelles formes de citoyenneté, on reconquiert de diverses façons les leviers nécessaires pour réaliser une plus grande justice sociale. Quel contexte a permis à ces initiatives d’émerger ? Quelles difficultés, contradictions et luttes rencontre-t-on ? Et surtout, quelle inspiration tirer de ces expériences ?
Le revue Relations se penche sur le sujet dans son édition de janvier-février 2012 (no 754).

Texte de présentation du dossier

Le Nord est ébranlé. L’ordre injuste du monde est entré dans une nouvelle valse qui fait perdre pied à de plus en plus de gens. Ici comme ailleurs, les Indignés l’ont signifié avec courage et originalité, se joignant à la multitude de groupes et de citoyens qui le disent ces dernières années : on enrichit une minorité et on sauve les banques en perdant les peuples.

L’indignation n’est certes pas à son comble lorsque passe pour sensée cette idée : « Parachuter des dirigeants non élus pour faire le sale boulot était sans doute la seule solution dans le contexte politique qui prévaut actuellement en Italie » (Ariane Krol, La Presse, 14 novembre). Plusieurs leaders d’opinion la partagent et ne conçoivent même pas que leur devoir serait de s’insurger devant ce qui s’apparente à un putsch de technocrates (non élus) de la finance se produisant au cœur même de l’Europe.

Le Nord est ébranlé, regardons au Sud, du côté des pays d’Amérique latine – Bolivie, Équateur, Venezuela, Brésil, Argentine, etc. – qui ont basculé à gauche, ou à tout le moins au centre-gauche. Ils ont traversé tout ça : crises économiques, crises de la dette, mainmise des institutions financières internationales, affaiblissement de l’État et privatisation de presque tout, spéculations, fuites de capitaux, désillusions, aggravations des inégalités et des injustices, etc. Leurs populations se sont révoltées, des mouvements sociaux impressionnants ont fait tomber des gouvernements et porté au pouvoir des partis de gauche, incluant l’élection historique d’Evo Morales, premier président bolivien d’origine amérindienne. Ces pays paraissent en quelque sorte dans le début d’un autrement, dans l’après. Comment ne pas y voir une captivante boussole pour les temps présents ?

Certes, il ne s’agit pas de prétendre que cette région incarne un éden alternatif porteur de tous les espoirs. Si les auteurs de ce dossier présentent bien l’originalité et la complexité d’initiatives tentées dans ces pays, ils n’en masquent pas les failles et les écueils. Parmi ceux-ci, le fait que la globalisation poursuive sa charge sauvage, rien n’étant fait pour changer son principe moteur : la liberté de circuler des capitaux, soit la liberté d’investir et de conquérir en prédateur de nouvelles terres et ressources. C’est en outrepassant des limites jusque-là infranchies que cette globalisation continue de soulever l’ire des populations locales indigènes et paysannes – au cœur de mobilisations historiques – qui perdent la possibilité de vivre, et de bien vivre, là où elles ont leurs racines, leur histoire, leurs traditions.

Ainsi, rares sont les changements qui se produisent sans le désespoir, le sens moral, la dignité et le courage de tous ceux et toutes celles qui finissent toujours par devoir bloquer des routes à répétition, occuper des terres, paralyser la vie économique, entamer de longues marches, subir la violence de la répression, pour se faire entendre et exiger la justice. Comme le dit tristement le personnage du leader de la lutte indigène et populaire contre la privatisation de l’eau à Cochabamba, en Bolivie, dans le film Même la pluie d’Icíar Bollaín : « On paie toujours le prix fort. Si seulement il y avait un autre moyen, mais il n’y en a pas. » La tristesse s’accroît du fait d’avoir parfois à vivre encore tout cela, même sous des gouvernements progressistes.

Le défi est énorme : comment opérer un tournant post-néolibéral, assurer une redistribution et un développement social attendus, en misant sur la consolidation d’États dépendant largement des revenus tirés des ressources naturelles et de l’exportation des matières premières ? Comment le faire sans que cela n’implique, comme c’est souvent le cas, le viol des territoires et des droits des populations locales, toutes réalités en porte-à-faux avec les désirs et discours de la gauche ? Notre regard doit être critique, mais aussi se prémunir contre la mythification des acteurs en présence, notamment en ce qui concerne la figure de l’indigène, qui n’est pas un sujet collectif homogène, et les peuples qui, comme leurs gouvernements, ont des contradictions et paradoxes. D’autres simplifications peuvent aussi nous faire oublier les forces oligarchiques et impérialistes à l’œuvre.

Ce dossier montre bien qu’il se concrétise dans ces pays des audaces qu’on n’ose imaginer ailleurs, et que cela est une puissante source d’inspiration et d’espoir dans le contexte actuel. À une époque où l’on cherche à nous convaincre de la fatalité de l’ordre économique dominant, des pays d’Amérique latine ont osé suspendre le paiement de dettes privées, s’affranchir du Fonds monétaire international, renationaliser des fonds de retraites privés (Argentine), ou encore nationaliser l’exploitation des ressources en négociant une plus juste part pour le pays, sans expropriations unilatérales. Ils ont ouvert ces possibles – et bien d’autres dont fait état ce dossier –, notamment par de nouvelles formes de citoyenneté, la tenue d’assemblées constituantes et une forte politisation de la population qui contraste avec notre réalité nord-américaine.

Le Nord est ébranlé, regardons chez nous. Avec à l’esprit ces pays, ces gouvernements et ces peuples en quête d’une manière combative et novatrice qui, nous l’espérons, résonnera au cœur de nos questionnements québécois concernant nos ressources, nos terres, nos relations avec les Autochtones, nos luttes, notre souveraineté.

Catherine Caron, rédactrice en chef adjointe, revue Relations

Catherine Caron

Rédactrice en chef adjointe de la revue Relations.

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