Les signaux d’alarme pointant la protection du patrimoine québécois n’ont
pas manqué au cours des dernières années. Plusieurs voix se sont élevées
pour dénoncer les carences en effectif pour assurer la conservation du
patrimoine bâti sur l’ensemble du Québec et le défaut d’une vision d’État
pour protéger le patrimoine immobilier.
Début septembre, Nathalie Roy, ministre de la Culture et des
Communications, a fait l’annonce d’un montant d’environ 22 millions $
supplémentaires destiné au Programme de soutien au milieu municipal en
patrimoine immobilier ; il vise la sauvegarde des maisons et des immeubles
patrimoniaux du Québec. Cette somme permettra l’embauche d’agents de
développement en patrimoine immobilier pour guider les municipalités dans
leurs projets.
L’ajout de professionnels spécialisés en patrimoine pour mieux encadrer les
pouvoirs locaux constitue une bonne nouvelle. Les professionnels du
patrimoine au ministère de la Culture et des Communications (MCC) auront
ainsi des interlocuteurs privilégiés en région pour améliorer les
connaissances et permettre aux responsables locaux de s’outiller pour
intervenir efficacement en matière de patrimoine.
Toutefois, cette amélioration ne peut faire oublier qu’en juin 2020, le
rapport de la vérificatrice générale *Guylaine* Leclerc exposait les
lacunes du MCC pour respecter son engagement d’inspecter tous les quatre
ans chaque bien immobilier classé afin d’acquérir une meilleure
connaissance de l’état des biens immobiliers patrimoniaux. Madame Leclerc
notait aussi l’absence d’inspection prévue pour connaître l’état des biens
situés sur les sites patrimoniaux déclarés, de même que l’absence de
coordination et de suivi des inspections.
Depuis des décennies, le Syndicat de professionnelles et professionnels du
gouvernement du Québec (SPGQ) observe que le MCC détient de moins en moins
de ressources pour étudier les demandes de classement, de désignation et
d’autorisations de travaux et faire les recommandations nécessaires, pour
élaborer et mettre en œuvre les plans de conservation, pour coordonner
l’acquisition de connaissances et la réalisation d’inventaires, pour gérer
et rendre accessibles les données sur le patrimoine.
Inexorablement, après des années d’austérité ayant accentué les départs et
le non-remplacement d’experts, cette situation a provoqué la
déprofessionnalisation du MCC en matière de sauvegarde du patrimoine
matériel. Les professionnelles et professionnels de l’État au service du
patrimoine sont en nombre clairement insuffisant pour permettre au MCC
d’épouser une réelle vision d’exemplarité de l’État en matière de
sauvegarde et de valorisation du patrimoine immobilier.
Dans son rapport de 2020 intitulé *Notre patrimoine, un présent du passé*,
Roland Arpin, fondateur du Musée de la civilisation et ancien sous-ministre
à la culture, notait : « tandis que les requêtes du milieu s’accroissaient,
que l’éventail des objets patrimoniaux ne cessait de s’élargir, que le
développement industriel et urbain intensifiait la pression sur le
patrimoine archéologique et bâti et que de nouvelles problématiques
émergeaient, le Ministère était de moins en moins équipé pour suffire à la
tâche. » Parions que la situation n’a pas beaucoup changé depuis 20 ans.
Alors que le gouvernement appelle de ses vœux la relance économique,
qu’attend-il pour regarnir ses effectifs et développer son expertise en
patrimoine ? Qu’attend-il pour fédérer l’ensemble des ministères et
organismes responsables de bâtiments patrimoniaux autour d’une vision
commune ? Qu’attend-il pour amorcer de grands chantiers visant le
classement, la protection, la restauration et la mise en valeur de notre
riche patrimoine immobilier ? Assurément, ce patrimoine ne mérite pas de
devenir un présent empoisonné du passé.
Line Lamarre
Présidente
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