Édition du 15 avril 2025

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Afrique

Mines d'or au Soudan : le compte à rebours

Histoires d’or au Soudan, ou pourquoi on ne peut parler de politique ni d’économie sans parler du marché et de l’exploitation de l’or. Une enquête exclusive menée par Rifaat Sheikh Eldeen Ismail, volet 1.

Tiré du blogue de l’auteur.

On ne peut vraiment parler de politique ni d’économie au Soudan, sans parler de l’or...

Quelques chiffres pour en avoir un aperçu. L’or représente 70% des biens exportés par le Soudan, après quoi l’on trouve le bétail (25%), mais aussi le pétrole et le coton. Le partenaire officiel principal de ces exportations est la Chine, suivie par les Emirats Arabes Unis, le Japon, l’Arabie Saoudite et l’Italie. Le Soudan est le troisième pays en termes de production d’or en Afrique, derrière le Ghana et l’Afrique du Sud, avec une production annuelle de 93 tonnes en 2021, dont 75% est extraite par des techniques dites « artisanales » (non mécanisées, non protégées et non régulées).

Les mines d’or soudanaises emploient ainsi deux millions de personnes et se trouvent dans les régions du Nord Soudan, de la Mer Rouge, du Nil, de Gadaref, et du Sud Kordofan et Nord Kordofan. La quantité d’or extraite au Soudan augmente chaque année, avec de loin la production la plus importante comptabilisée en 2021. Sur une même période (janvier à juin), on compte ainsi une production de 30 tonnes en 2021, contre 15 tonnes l’année précédente. La production annuelle a de fait triplé d’une année à l’autre.

Le gouvernement a mis en place une série de mesures pour tenter de capter une part plus importante des revenus de l’or, par le biais de la taxation des exportations, puisque la majorité de ceux-ci lui échappent actuellement, par le fait de la contrebande et de production non régulée ni encadrée par l’Etat. Pourtant, ces mesures ne risquent de pénaliser que les « petits contrebandiers » puisque la plupart des bénéfices liés à l’or sont déjà captés, bien qu’officieusement, par des cadres de l’Etat. De fait, le contrôle accru de l’extraction et l’exportation d’or était un des facteurs de la prise de pouvoir de l’armée.

Actuellement, l’aviation russe ne fait l’objet d’aucun processus de contrôle ou d’inspection, et est chargée de tonnes d’or qui quittent le pays de manière officieuse via l’aide et la supervision de personnel étatique. Parmi les personnes les plus haut placées dans cette exportation officieuse et massive d’or vers la Russie, il y a Mohamed Hamdan Hemetti, leader de milices Forces de Support Rapide, plus connues sous le nom de Janjaweeds, ayant commis un génocide ethnique au Darfour, ainsi que de nombreux massacres dans les régions du Nil Bleu et à Khartoum, ainsi qu’ailleurs. Ces faveurs envers la Russie permettent en échange à l’armée et aux milices paramilitaires l’obtention d’armes et d’entrainement de la part de la Russie.

Des archives historiques indiquent que l’exploitation de l’or existait déjà sous le royaume de Meroe, durant le royaume de Nubie ainsi que pendant les ères des pharaons et l’ère romaine. D’ailleurs, l’étymologie même du mot « Nubie » est incertaine mais certaines chercheurs affirment que le terme est dérivé de « Neb » ou « Nbu » qui signifie dans la langue nubienne « or », désignant ainsi la région comme « la terre de l’or ». La région était aussi appelée « la terre du métal » par les Anglais lors de la période coloniale, en référence, donc, à la richesse minière des sols. Intensification de l’exploitation minière à partir de 2011 Au-delà des archives, de nombreux artefacts témoignent de l’exploitation minière dans des temps anciens, et l’on sait maintenant qu’au 19e et 20e siècles, l’exploitation minière et en particulier celle de l’or était un des principaux objectifs de la colonisation anglaise.

Entre la fin de la colonisation et la sécession du Soudan du Sud, il y eut une période pendant laquelle de nombreux sites d’exploitation étaient à l’arrêt dans le pays, mais la séparation entre le Soudan et le Soudan du Sud en 2011 a fait perdre au Soudan (anciennement, Soudan du Nord) environ 75% de son pétrole et a amené une quête urgente pour de nouvelles sources de revenus budgétaires pour l’Etat pour compenser cette perte. Dans le même temps que cette crise économique suite à l’indépendance du Soudan du Sud, les prix de l’or ont considérablement augmenté au niveau mondial, puisque celui-ci est passé de 2 631 dollars en janvier 2007 à plus de 4 000 dollars en janvier 2011. Cette hausse du prix a provoqué la hausse de la demande d’exploitation, ainsi que le nombre de Soudanais qui se tournaient vers ce gagne-pain, les autres secteurs professionnels, publics et privés, ayant été durement impactés par la crise économique. L’Etat a ainsi encouragé, sans planification et sans anticipation, l’exploitation artisanale de l’or, le voyant comme une solution à la perte de ressources suite à l’indépendance du Soudan du Sud et une solution au chômage et à la crise économique du pays

Enquête de terrain : l’exploitation de l’or dans la région de la Nubie (Nord Soudan)

On estime que les activités minières se sont donc intensifiées dès 2011, notamment dans la région de la Nubie (Nord Soudan). Cela a transformé le territoire puisque l’intensification de l’exploitation a provoqué une migration de main d’œuvre en provenance d’autres régions, et donc une nouvelle implantation démographique autour de ces mines, sans pour autant que les services publics aient anticipé ni puissent suivre les besoins de la population nouvellement installée et de plus en plus nombreuse. En même temps, l’intensification de l’activité minière a conduit à la mise en place de marchés, dont les exemples les plus intéressants dans la région sont les marchés de Sowarda, Al Boom, Doulgo, Absara, Shada, Khanaq ou encore Halfa. Des entreprises se sont installées, dont la société Al-Mahwati en 2010 et la société turque Al-Hasour en 2012. Plusieurs de ces entreprises prévoient d’extraire de l’or à moins de cinq kilomètres des habitations, des terrains agricoles et du Nil.

Or, à la lumière d’un récent rapport que j’ai pu consulter, il est clair que les activités d’exploitation causent de la pollution, des maladies, ainsi que la mort importante d’animaux, notamment d’oiseaux. Parmi les activités de production industrielle, l’activité minière est une des plus dangereuses, puisqu’elle affecte durablement et considérablement l’environnement naturel et la vie humaine. L’intensification des activités minières dans les conditions actuelles entraîne, au-delà de la pollution, un certain nombre de conflits, de violations des droits humains (notamment en termes des conditions de travail, du travail des enfants, de la protection sociale, etc.). Le rapport montre, d’après l’analyse des sols et de l’eau autour du village de Sowarda, de hautes concentrations en métaux lourds, qui excèdent de loin les taux alarmants fixés par les institutions internationales et locales.

La concentration de mercure et de nitrate, qui découlent de l’utilisation de cyanide, menace la vie humaine, la vie agricole et la vie animale. Cette concentration est accentuée par le fait que les composants chimiques (mercure, cyanide) sont drainés par l’eau de pluie et l’eau des torrents à partir des sites d’exploitation jusque dans le village de Sowarda et les villages et terres des alentours. Les habitants de ce village ont remarqué l’émergence de symptômes récurrents et répandus qui ne l’avaient jamais été avant cette intensification de l’exploitation minière : souffle court, allergies et maladies de peau, convulsions ; ils remarquent aussi un nombre important et inhabituel de morts de bétail et d’oiseaux. Un oiseau emblématique, la tourterelle appelée en anglais European Turtle Dove, a notamment disparu de la région de manière très brusque, notent les habitants.

Toutes les illustrations suivantes ont été prises par Mohamed Salah, dans son travail de documentation sur l’impact des mines d’or dans la région de Sowarda.

L’exploitation minière artisanale : qu’est-ce que c’est ?

Dans ce village et sa région, différentes techniques d’exploitation se sont développées. Parmi ces méthodes, il y a les « puits », qui représentent la source principale de l’or que l’on peut trouver au marché de Sowarda : les puits sont creusés à plus de 50 mètres de profondeur. Les puits étant construits sans supervision ou révision, ils sont susceptibles de s’écrouler, emportant avec eux les personnes qui y travaillent. De même, de nombreux puits, après achèvement de l’exploitation, restent en l’état et ne sont pas rebouchés, ce qui constitue un danger important pour les habitants et le bétail.

De la machinerie lourde est employée à l’intérieur même des puits. La poussière et la terre est ensuite transférée : elle est mélangée à différents métaux (arsenic, zinc, cobalt, nickel). Ces métaux sont souvent drainés et se retrouvent mélangés à l’eau, ce qui pollue considérablement les sols. Les pluies torrentielles de la région aggravent ce drainage et fragilise considérablement les maigres installations du puits ; l’eau contenue dans les puits est parfois extraite et réutilisée dans divers contextes, alors que celle-ci est extrêmement polluée et dangereuse.

Une autre technique d’exploitation consiste à utiliser des tamis ; ils travaillent en surface, et cette technique est davantage utilisée dans les régions à l’est de Kuweika. Le mercure y est utilisé pour extraire l’or, ce qui est extrêmement dangereux. Cette technique a été employée sans en connaître les dangers. Cette technique est considérée comme l’une des causes principales de la poussière qui couvre la région et transporte des polluants dans l’air jusque dans des régions éloignées. Cette technique provoque également l’érosion de la terre et modifie le cours de l’eau. La terre récoltée est ensuite écrasée en morceaux et transportée dans des sacs jusqu’au marché de Sowarda.

Or, les quantités de mercure utilisées sont conséquentes : pour 180 grammes d’or extraits de la pierre, il reste 3132 grammes de mercure utilisés, ce qui est énorme, surtout étant donné le fait que les personnes qui y travaillent n’ont aucune protection, et que le mercure est brûlé et lavé à l’air libre avant de s’écouler dans les sols. La quantité de mercure utilisée est supérieure à la quantité d’or extraite.

La dernière remarque importante concernant le mercure est que, si le mercure s’associe avec d’autres composants issus de la pierre (autres que l’or), il peut également produire des substances encore plus néfastes que le mercure initial lui-même, ce qui aggrave les conséquences pour le sol et la santé. A cela s’ajoute le matériel (tamis, bouteilles en plastique, composants en plastique) souvent laissés sur place dans les lieux d’exploitation et qui contribue à polluer ces régions. Sur le long terme, l’exploitation minière change même la composition des sols. Les métaux lourds ne se dissolvent pas et ne se décomposent pas, mais sont absorbés dans la matière organique, notamment dans les plantes aquatiques, puis les animaux, puis les humains, et ainsi bouleversent et tuent les écosystèmes. Un compte à rebours effroyable est désormais lancé pour ces terres et les populations.

Sur le plan de la santé humaine, ces métaux lourds causent la détérioration des systèmes physiologiques, à savoir la perturbation et détérioration des systèmes osseux, nerveux, respiratoires et intestinaux, ainsi que des maladies des poumons, de la peau, du cœur, de l’estomac et des reins, menant jusqu’à la mort. Ainsi, nous sommes incapables de savoir la taille exacte de l’exploitation minière artisanale et locale, ainsi que ses conséquences à venir sur les régions où elle se trouve, ni même combien de personnes exactement travaillent dans ce domaine, si ce n’est que cela doit être colossal, et que la précarité et la dangerosité de ce travail sont édifiantes.

La caractéristique de cette exploitation est qu’elle a lieu près du Nil et près des villages, ce qui aggrave les conséquences actuelles et à venir. Certains sites d’exploitations apparaissent et opèrent sans même que la population des villages environnants soit au courant ; c’est théoriquement en opposition au droit soudanais, puisque celui-ci stipule que l’activité industrielle et commerciale doit se faire dans l’exception des cas où elle porte atteinte aux intérêts de santé publique (article 518 de la Loi des Transactions Civiles de 1984). L’article 11 de la constitution de 2005 a confirmé que l’environnement et les ressources naturelles, ainsi qu’un environnement propre et diversifié, sont les droits du peuple soudanais et l’Etat ne peut mettre en place ou permettre des actions qui les affecteraient négativement.

Mais tant que la demande mondiale en or et en métaux restera forte, appuyée par les pouvoirs publics soudanais, qui allient corruption, répression et dissimulation, cette situation perdurera, et s’aggravera sans doute.


Par : Rifaat Sheikh Eldeen.

Sudfa est un petit blog participatif franco-soudanais, créé par un groupe d’amis et militants français et soudanais. On se donne pour objectif de partager et traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par personnes soudanaises et françaises, sur l’actualité et l’histoire politiques, sociales et culturelles du Soudan, et la communauté soudanaise en France. Si vous souhaitez nous contacter, vous pouvez nous écrire à sudfamedia@gmail.com, ou via notre page facebook. Vous pouvez également nous retrouver sur notre site internet : sudfa-media.com. Pour plus d’infos, voir notre premier billet « qui sommes-nous ».

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